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ioTje. Pli/!'iOi«
VOYAGE
k AUX RÉGIONS ÉQUINOXIALES
DU
NOUVEAU CONTINENT.
n
DE LlMPllIMERIE DE J, SMITH.
VOYAGE
AUX RÉGIONS ÉQUÏNOXIALES
DU
NOUVEAU CONTINENT,
F.Açr w >799i iSoo, 1801, 180a, i8o3 et i8o4,
Par AL'. DE HUMBOLDT et BONPLAHD,
Par ALEXANDRE DE HUMBOLDT j
1
AVEC UN ATLAS GÉOGRAPHIQUE ET PHYSIQUE.
TOME PREMIER.
A lalàbrairie grecque-latme-allemande, rue des Fossés-
Montmartre, u." i4.
^ecuea
^Jjefti|^
-4fïv
INTRODUCTIOiN.
XJovzk années se sont écoulées depnîs
qiie je quittai l'Europe pour parcourir
l'intérieur du nouveau coniineut. Livré,
dès ma première jeimessi; , à i'i'tude de
la nature ; sensible à la l)cauté agreste
d'un sol héiissé de montagnes et couvert
d'anliques forèls, j'ai trouvé dans ce
voyage desjouissaTices cpii m'ont dédom-
magé des privations aliacliées à une vie
laborieuse et souvent agitée. Ces jouis-
sances, que j'ai essayé de (aire p.nrliiger
à mes lecteurs dans mes Considérations
sur les Steppes et d;uis V£!ssni sur la
Physionomie des f^ége'taïuc ', n'ont pas
été le seul fruit d'une enireprise formée
dans le dessein de contribuer aux progrès
' Vojez mes Tableaux de la Nature, Paris
2 TOl. ill-12.
3
2 INHTODUCTION.
des sciences physiques. Je m'éloîs pré-
paré depuis long-temps aux observations
qui ctoient le but priiici|):il de mon
voyage à la zone torridc; j'élois muni
d'inslrumens d'un usage prompt et lacile,
et exécutés par les artistes les ])liis dis-
tingués^ je jouissois de la protection par-
ticulière d'un gouvernement qui, loin de
mettre des entraves à mes rccherclies,
m'a honoré constamment de marques
d'intérêt et de confiance; j'étols secondé
par im ami courageux et instruit, et, ce
qui est un rare bonheur pour le succès
d'un travail commun , dont le zèle et
l'égalité de caractère ne se sont jamais
démentis, au milieu des fatigues et des
dangers auxquels nous étions quelquefois
exposés.
Dans des circonstances si favorables ,
parcourant des régions qui, depuis des
siècles, sont restées presque inconnues
à la phijiart des nations de I'Eul'ojic , je
pourrois dire à l'Espagne même, nous
i.mk
avons recueilli ^ M. Boephed ^
nombre considéfable de mm
la pubiicafion sembloit oi&ir l yil y g,
intérêt pour lliistoîre d« penpks i»t h
connoîssance de b nature. 3Sik nocb^nk»
ayant été dirigées vers d» olj|etft tn»-
variés , nous n avons pu en prSsiwtiv ks
résultais sons la forme ordinaire <f m
journal : nous les avoi» consignés dams
plusieurs ouvrages distincts , rédigés dans
le même esprit , et liés entre enx par lai
nature des phénomènes qni y sont dis-
cutés. Ce genre de rédaction « qni fait
découvrir plus facilement llmperfection
des travauiî partiels , n'est pas avantageux
pour lamour propre du voyageur ; mais
il est préférable pour' tout ce qui a
rapport aux sciences physiques et ma-
thématiques, parce qtle les différentes
branches de ces sciences sont rarement
cultivées par la même classe de lecteurs.
. Je m'étoîs proposé un double but dans
le voyage dont je publie aujourd'hui la
1*
relation historique. Je desirois faire coa-
noilrclcs paj-s que j'aï visites, et recueillir
des fiïils propres à répandre dn jour sur
une science qui est à peine ébauchée,
et qiie l'on désigne assez vaguement jiar
les noms de Physique du monde ^ de
■ Théorie de la terre , ou de Géographie
physique. De ces deux objets le dernier
me parut le plus impovlant. J'airaois
passionnément la botanique et quelques
parties de la zoologie; je pouvois me
flatter que nos reclicrclics ajouteroient
de nouvelles espèces à celles qui sont déjà
décrites : mais préférant toujours à la
connoissance des faits isolés, quoique
nouveaux , celle de f enchaînement des
faits observés depuis long -temps, la
découverte d'un genre inconnu me pa-
roissoit bien moins intéressante qu'une
observation sur les rapports géogra-
phiques des végétaux , sur les migra-
lions des plantes sociales^ sur la limite
de hauteur à laquelle s'élèvent leurs
INTRODUCTION." 5
diflFérentes tribus vers la cime des Cor-
dillères.
Les sciences physiques se tiennent par
ces mêmes liens qui unissent tons les
phénomènes de la n;ilure. La classifica-
tion des espères que l'on doit regarder
comme la partie l'onda mentale de la bo-
tanique , et dont l'étude est devenue plus
attrayante et plus fiicile par l'introduc-
tion des méthodes naturelles, est à la
Géographie des végétaux ce que la miné-
ralogie desciipiive est à l'indicalioti des
roches qui constituent la croiite extérieure
du globe. Pour saisir les lois qui suivent
ces roches dans leur gisement, pour dé-
terminer l'âge de leur formation succes-
sive et leur idenllté dans les régions
les plus éloignées , le géologue doit
connoître avant tout les fossiles simples
qui composent la masse des montagnes,
et dont l'oryctognosie enseigne les carac-
tères et la nomenclature. Il en est de
même de cette partie de la physique
6 IMTIiODUCTlOIï.
du monde qui traite des rapports qu'ont
les plantes soit entre elles, soit avec le
sol qu'elles habitent , soit avec l'air qu'elles
respirent et modifient. Les progrès de la
géographie des végétaux dépendent en
grande partie de ceux de la botanique
descriptive, et ce seroit nuire à l'avan-
cement des sciences que de vouloir s'élever
à des idées générales, en négligeant la
connoissance des faits particuliers.
Ces considérations m'ont guidé dans
le''éours de mes reeberclies; elles ont
toTijôiirs été présentes à mon esj)rit à
l'éjïoquc de mes études préparatoires.
Lorsque je commençai à lire le grand
nombie de voyages qui composent une
partie si intéressante de la littérature
moderne j je regreltai que les voyageurs
les plus instruits dans des blanches isolées
de riiisloire naturelle eussent rarement
rémii des connoissances assez variées pour
profiter de tous lesavantages qu'offroit
leur position. 11 lue sembloit que l'im-
INTRODUCTION. 7
portance de résultats obtenus jusqu'à ce
jour, ne répondoit pas entièrement aux
immenses progrès que plusieurs sciences,
et nommément la géologie , l'histoire des
modifications de l'atmosphère, la phy-
siologie des animaux et des plantes,
avoient faits a la fin du dix -huitième
siècle. Je voyois avec peine, et tous les
savans ont partagé ce sentiment avec
moi, que, tandis que le nombre des
instrumens précis se mullipliolt de jour
en jour, nous ignorions encore l'élevé
lion de tant de montagnes et de pla-
teaux , les oscillations périodiques de
l'Océan aérien , la limite des neiges per-
pétuelles sous le cercle polaire et sur
les bords de la zone lorridc, l'intensité
variable des forces magnétiques et tant
d'autres phénomènes égalcpient impor-
tans.
Les expéditions marilimes, les voyages
autour du monde ont justement illustré
les noms des naturalistes et des asiro-
1
nomps que les goiivernemens ont appelés
pour en [larliiger îes périls; mais tout en
donnant des notions exactes sur la con-
figui'alion exlérienre des terres, sur l'his-
toire physique de l'Oréan et sur les
productions des îles et des côtes, ces
exjK'ditions paroissent moins propres à
avancer la géologie et d'autres jiarties
de la physique générale, que des voyages
dans l'intérieur d'un continent. L'intérêt
des sciences naturelles y est subordonné
à celui delà géographie et de l'astronomie
nautique. Pendant une navigation de
plusieurs années, la terre ne se présente
que rarement à l'observation du voya-
geur; et, lorsqu'il la rencontre ajjrès. de
longues attentes, il la trouve souvent
dénuée de ses plus belles jiroductions.
Quelquefois, au delà d'une côte stérile,
il aperçoit un rideau de montagnes cou-
vertes de verdure , mais que leur éloi-
gnement soustrait à ses recherches; et ce
spectacle ne fait qu'augmenter ses regi-cts.
INTRODUCTION. 9
Les voyages de terre offrent de grandes
difficultés pour le transport des instru-
mens et des collections ; mais ces diffi-
cultés sont compensées par des avantages
réels dont il seroit inutile de faire ici
Ténuraération. Ce n'est point en par-
courant les côtes que Ton peut recohnoitre
la direction des chaînes de montagnes et
leur constitution géologique, le climat
propre à chaque zone et son influence
sur les formes et les habitudes des êtres
organisés. Plus les continens ont de lar-ii
geur, et j)lus on trouve développée, à lai
surface du sol , la richesse des produc-
tions animales et végétales ; plus le noyau
central des montagnes est éloigné des
bords de TOcéan, et plus on observe,
dans le sein de la terre, cette variété dt
couches pierreuses, dont la successîoo
pégulière nous révèle l'histoire de noti
planète. De même que chaque être CO]
sidéré isolément est empreint d'un tj
particulier, on en reconnoît égalèflo
im danslarraugeraenl cicsiiiatièrcs brutes
réunies en roches, dans la tiislribution et
les rapports mutuels des plantes et des
animaux. C'est le grand prohlcme de la
physique du monde, que de déterminer
la forme de ces lypes j les lois de ces
rapports , les liens éternels qui enchaînent
les phénomènes de la vie et ceux de la
nature inanimée.
En énonçant les motifs qui m'ont en-
gagé à entreprendre un voyage dans
l'intérieur d'un continent, je ne fais
qu'indiquer la direction générale de mes
idées à un âge où l'on n'a point encore
une juste mesure de ses forces. Les plans
dema première jeunesse n'ont été exécutés
que très-incomplétemcnt. Mon voyage n'a
point eu toute l'étendue que je comptois
lui donner en parlant pour l'Amérique
méridionale; il n'a pas fourni non plus
le nombre de résultats généraux que
i'avois espéré pouvoir recueillir. La cour
de Madrid m'avoit accordé, en 1799,
I>TRODUCTIOX. I I
la permission Je m'einbai-quer sur le
galion J'Aciipiilco , et de visiter les îles
Marianes et Philippines, après avoir par-
ronru les colonies du nouveau conlincnt.
J'avois formé alors le projet de revenir
en Europe parle grand archipel d'Asie,
le golfe Persiqne et la route de Bagdad.
J'aurai occasion d'exposer dans la suite
les raisons qui m'ont déterminé à hâter
mon retour. Quant aux ouvrages que nous
avons publiés, M. Bonplandct inui, nous
nous Uattons que leur inipcrlectiun qui
Inc nous est ])a8 inconnue, ne sera attri-
buée ni à un manque de zèle pendant
leconrs de nos rcchenhes, ni à un trop
grand enqircssemmt dans la publication
■ de nos travaux. Une volonté forte et
I nne persévérance active ne suffisent p^s
toujours pour surnionlei les obstacles.
Après avoir rappelé le but général que
je m'étois jiroposé dans mes courses, je
vais jeter un roup-d'ceil rapide sur l'en-
semble des collections et des oLservaiioiîs
1 2 INTRODUCTION.
que nous avons rapportées ^ et qui sont
le double fruit de tout voyage scienti-
fique. Comme pendant notre séjour en
Amérique^ la guerre maritime rendoit
très-incertaines les communications avec
FEurope, nous nous étions vus forcés,
pour diminuer la chance des pertes, de
former trois collections différentes, dont
la première fut expédiée pour l'Espagne
et la France, et la seconde pour les
Etats-Unis et l'Angleterre. La troisième,
la plus considérable de toutes , resta
presque constamment sous nos yeux : elle
formoit vers la fin de nos courses qua-
rante-deux caisses renfermant un herbiter
de 6000 plantes équinoxiales, desgraines%
^ Parmi les végétaux que nous avons introduits
dans les dififérens jardins de l'Europe, je citerai ici y
comme dignes de l'attention des Botanistes , les espèces
suivantes : Lobelia fulgens , L. splendens > Caldasia
lieterophjlla (Bonplandia gemiaiflora^ €av.)^ Mau-
randia anlhirriniflora ^ Gjrocarpus americana , Jacq. ,
Caesialpinia cassioides , Salvia caesia , Gjperus nodosus^
Fagara leutiscifolia^ Heliotropium chenopodioîdes ^
INTRODUCTION. l3
des coquilles, des insectes, et ce qui
n'avoit point encore été porté en Europe,
des suites géologiques du Chimborazo,
de la Nouvelle - Grenade et des rives de
l'Amazone. Après le voyage à l'Orénoque ,
DOus déposâmes une partie de ces objets
à l'île de Cuba , pour les reprendre
à notre retour dn Pérou et du Mexique.
Le reste nous a suivis pendant l'espace de
cinq ans, sur la chaîne des Andes, comme
à travers de la jVouvelle-Espagne depuis les
côtes de l'Océan Pacifique jusqu'à celles
ConToIvuliis bogolensîs, C. arboresceus, Ipomœa lon-
giflora , Solanum Humboldti , "Willil. , DiciionJra
argeiilea, Pitcairnia furfiiracea , Cassia peintiil;i,
C. mollisslma , C. prostrala, C. cuspidata , Kupliorbia
Humboldli, Willd. , Rucltia fœtiila , Sisyrii.chlum
teQuifolium , Sida coruuta , S. triaugularis, Pjjaseoliia
heleropliyUns, Glycine precatoria,G. sagittatn, Dalca
bicolor , Psoralea divaricata , Myrica mexicana ,
A. lriple&linifoIia,]ngamicropbylla, Acacia dîptera,
A.âexuosa , A. patula, A hrachyacaiillia, Â. clliala,
A. aciciilaris, A. peruviaiia, A. edulia et pliisietirs
Tariétés de Georgines. ( Voyei ffilledeiiow Eiium.
plant, korl. Berol, i8oij. ).
I
1 4 INTBODUCTIOS.
de la mer des Antilies. Le tiansporl de
ces objets et les soins minutieux qu'ils
exigent, nous ont Ciuisé des embarras
dont il est impossible de se faire une idée
exiicte, même après avoir parcouru les
parties les moins cultivées de TEnrope.
Notre marrhc a été ralentie parla triple
nécessité de traîner avec nous , pendant
des voyages de cinq à six mois , douze,
quinze , et quelquefois au-delà de vingt
mulets de charge, d'échanger ces ani-
maux tous les huit à dix jours, et de
surveiller les Indiens qui servent à con-
duire unes! nombreuse caravane. Sonvenr,
pour ajouter à nos eollectious de nouvelles
substances minérales ',nousuous sommes
• Les substances njincrnlps el vôgotales que nous
avons rapportées de nos courses, et dont plusieurs
ttoient inconnues Jusqu'alors , ont éti; soumises à
l'analyse cliimique par MM. Vauquclin, Klaprolli ,
Drscolils, Allen et Drapier, qui les ont ilfcrites dans
des mémoires particuliers. Je rappellerai ici deux noo-
Telles ei.pkes minérales: le Feuer-Opal ou Quarz
resiiiiie nueUé du Mexique (Khproth , c/iem. Unlera.
INTRODUCTMKf. 1 5
VUS forcés d^en abandonner d^antrys
que nous avions recueilliei^ depuis lon^
temps. Ces sacrifices n^étoient pas moins
der Min, j 7*. IK, p, i5S. SanntK^midt Sesckr^ /W
Mex, Bergref. S, 119. J^arst^m min, 7WW7/r», iN^S.
p. 2S, SSJ y et Patgent muriaté conclioide àa VÎTim^
musclilîches Homen (K/apr, IF', 10, JTar»/,,/:, fîo,
97. Magazin der Berl, Nalurf, /, i^SJ; la mlzie
d'argent Paco deVasco ( Klapr. IV^ k); le cuivre irrà
antimonîé, Graugillig-Erz , deTasco (Kî, /f, -4 ,•
le fer météorique ^ Meteor-Eîseo y de Duruigo (KL IF,
\o\ ) ; la chaux carbonatée ferriiere , stan^dier
Braunspath ^ de Guanaxuato , dont les cristaux réunis
en barres forment des triangles équiangles (KL IF^
^99) J 1^' Obsidiennes de la Montagne des Couteaux
deBforan et la pierre perlée de Cinapecuaro (Descoiils,
Annales de Chimie, LIII^ aSoJ; l'étain oxidé concré-
tbnné^ Holz-Zinn, du Meiique (Descotils, Ann. LUI,
a66^;la mine brune de plomb de Zimapan (DescotiL,
Ann. LUI y 'j6SJ;\e sulfate de Strontiane de Popayan
et la Wafelîte ; une pépite de Platine du Choco d'un
poids de 1088'^ grains « et dont la pesantenr i^\}écl^-
fiqoe est de lê,^^ ( Karsten , ^); la Moya de Pélileo ,
fabstanoe T^lcaniqne combustible renfermant fin
tidspiith (Klapr. IF, 'A^) ; le Ooano des W% «hi
Péroa 9 eonteftjot 4e Purs te if9smmnutmi(fm (KL IF ,
299; Fôurcroy et Famqiulin , Mém, de Clnfit ^ fF ,
XjJ; le Dapidié im Km» Xem», e<prcr 4^- tMi^trt^h^rt^
l6 INTRODUCTION.
pénibles que les perles que nous fîmes
accidenlellement. Lne fâcheuse expérience
nous apprit assez tard qn a cause de
la chaleur humide du climat et des
chutes fréquentes des bêles de somme,
nous ne pouvions conserver ni les peaux
d'animaux préparées à la hâte, ni les
poissons et les reptiles placés dans des
flacons remplis d'alcool. J'ai cru devoir
entrer dans cesdétails, très-peu inléressahs
en eux-mêmes, pour prouver qu'il n'a psis
dépendu de nous de rapporter en nature
plusieurs objets de zoologie et d'anatomie
comparée, que nous avons fait connoitre
par des descriptions et des dessins.
blanc que l'on trouve à une demi-toîse de profondeur
dans un terrain humide (^^/^tz^ Journ,Phfs.,litJ, XP^II,
']']); le Tabasheer des Bambousiers de l'Amérique ,
différent de celui d'Asie ( Fauquelin , Mém, dé
Vlnst, VI ^ 382^; le Cortex Angosturae^ écorce du
Bonplandia trifoliata^ de Caronyj le Cinchona conda-
minea de Loxa et plusieurs autres espèces de Quinquina
que nous ayons recueillies dans les forêts de la ^i ouvelle-
Grenade (Kauquelin, Ann* LIX, iSjJ*
INTRODUCTION. I ']
Malgré ces entraves et les faits causés
par le transport des collections , j'ai eu à
me féliciter de la résolution que j'avois
prise avant mon départ , de ne faire pas-
ser successivement en Europe que les
doubles des productions que nous avions
recueillies. On ne sauroit assez le répéter ;
lorsque lès mers sont couvertes de bâ-
timens armés en course , un voyageur ne
peut compter que sur les objets qu il
garde avec lui. De tous les doubles que
nous avons expédiés pour l'ancien conti-
nent , pendant notre séjour en Amérique,
un très -petit nombre seulement a été
sauvé : la majeure partie est tombée entre
les mains de personnes étrangères aux
sciences} car lorsqu'un navire est con-
danmé dans nn port doutre-mer^ le»
cais^ renfermant des plantes sèobe» ou
des roches, loin d'être transmis* aux
savans à qui elles sent adressée», resUmt
abandonnées à 1 oubli. Quelqti#i^-fjrie% d^
nos collections géologiques pri^e^ d/i/is la
I. 2
l8 INXIIODUCTIO^I.
mer du Sud , ont eu cependuut un sort
plus heureux. Nous devons leur conserva-
tion à la généreuse activité du chevalier
Banks , président de la Société Royale de
Londres, qui, au milieu des agitations
politiques de l'Europe , a travaillé sans
relâche à resserrer les liens par lesquels
se trouvent unis les savans de toutes les
nations.
Les mêmes causes qui ont entravé nos
communications, ont aussi ojïposé, de-
puis notre retour, beaucoup d'ul)slacles
à la publication d'un ouvrage, qui, par
sa nature , doit être accompagné d'un
grand nombre de gravures et de cartes.
Si ces difficultés se sont lait sentir quel-
queioîs dans des entreprises laites aux
frais et par la muniticence-des gouvcnie-
mens, combien ne doivent-elles pas être
plus grandes jiour de simples particu-
liers! Il nons auroit été impossible de les
vaincre, si le zèle des éditeurs u'avoit été
secondé pai' l'extrénie bienveillance du
IMTEODUGTION. IQ
public. Plus des denx tiers de noire ou-"
yrage sont déjà publiés. Les cartes de
rOrénoque , du Cassiquiaré et de la ri-
vière de la Madeleine^ fondées sur mes
observations astronomiques , et plusieurs
centaines de planches gravées au simple
trait sont prêtes à paroître, et je ne quit-
terai pas l'Europe pour entreprendre un
voyage en Asie, avant d'avoir offert au
public Fensemble des résultats de ma
première expédition.
Dans les mémoires destinés à appro-
fondir les divers objets de nos recherches,
BOUS avons tâché , M. Bonpland et moi ,
de considérer chaque phénomène sous
différens aspects , et de classer nos obser-
vations d'après les rapports qu'elles of-
froient entre elles. Pour donner une juste
idée de la marche que nous avons suivie ,
je vais présenter succiactement l'énumé-
ration des matériaux que nous possédons
pour faire connoître les volcans d'Anti-
sana et de Pichincha y ainsi que celui de
2+
2 O I>"T110buCTI0?{.
JoruUo sorti de terre dans la nuit du 29
septembre 1759, et élevé de 263 toises
au-dessus des plaines environnantes du
Mexique. La position de ces raonlagnes
remarquables a été déterminée en longi-
tude et en latitude par des observations
astronomiques. Nous en avons nivelle les
différentes parties à l'aide du baromètre j
nous y avons déterminé l'inellnaison de
l'aiguille aimantée et rinlensité des Corées
magnétiques. Nos collections renferment
les plantes qui couvrent la jienle de ces vol-
cans , et les différentes roches superposées
k'sunesaux antres qui en constituent l'en-
veloppe extérieure. Des mesures suffisam-
ment précises nous mettent en état d'in-
diquer, pour chaque groupe de végétaux
et pour cliiique roche volcanique , la hau-
teur à laquelle on les trouve au-dessus du
niveau de lOcéan. Nos journaux nous
offrent des séries d'ol)servalions sur l'hu-
midité, la température, la charge élec-
trique et le degré de transparence de l'air
INTRODUCTION. 2 1
aux bords des cratères de Pîchîncha et de
JoruUo. On y trouve aussi les plans to-
pographîqnes et les profils géologiques de
ces montagnes^ fondés en partie sur la
mesure de bases verticales et sur des angles
de hauteur. Chaque observation à été
calculée d'après les tables et les méthodes
que l'on regarde comme les plus exactes
dans l'état actuel de nos. connoissances;
et, pour pouvoir juger du degré de con-
fiance que méritent les résultats , nous
avons conservé tout le détail des opéra-
tions partielles.
Il auroit été possible de fondre ces di*
vers matériaux dans un ouvrage destiné
uniquement à la description des volcans
du Pérou et de la Nouvelle-Espagne. En
offrant le tableau physique d'une seule
province , j'anrois pu traiter séparément
ce qui a rapport à la géographie, à la
minéralogie et à la botanique : mais com-«
ment interrompre, soit la narration d un
voyage ^ soit des considérations sur lea
,i
m^f^rsn . Va*r^t de U oatrixe oa les stsods
phriioatim^ àt b pitraqne ^àsû^ie . par
TùinriMTation iâti^nte des prodaerlions
di] pay^ . j»3r la descrîpûoa de KKivelles
f^pe"^ d^nim^ox et de plantes oa par le
dcraîl aride des ot^rvitions aïtronomi-
«n#!s? Fin adoptant an genre de rëdac-
lion f\n\ aoroit réuni dâos on même cha-
pitre lont ce qni a êtê obser\ê sur an
irifrme point dn slohe . j'aurois composé
nn oiuTBop d'une longueur excessive, et
surtout dénué de retle clarté qui naît en
^r.\T\f\c partie de la di<tribntion métho-
diqii't des matières. Malgré les elTorls que
j';ii faits jtoiir éviter dans cette relation
de mon voyaî^'e les trucils que j'avois à
rf:(lo«lt:r, je sens vivement que je n'ai
jififi toujours réussi à séparer les observa-
lions de di'itail fie ces résultats généraux
([ui inléiTSsent tons les lioinmes éclairés,
('es résultats embrassentà la fois le climat
et son iiiflnence sur les êtres organisés,
rnsprri du paysage , varié selon la nature
l!VTnODUCTIO:V. 23
du sol et de son enveloppe végétale, la
direction des montagnes et des rivières qui
séparent les races d'hommes comme les
tribus de végétaux; enûu ces modifica-
tions qu'éprouve l'état des peuples placés
à différentes latitudes et dans des circons-
tances plus ou moins favorables au déve-
loppement de leurs facultés. Je ne crains
pas d'avoir trop multiplié des objets si
dignes d'attention : car un des beaux ca-
ractères qui distinguent la civilisation
actuelle de celle des temps plus reculés,
c'est d'avoir agrandi la masse de nos con-
ceptions, d'avoir fait mieux sentir les
rapports entre le monde physique et le
monde intellectuel , et d'avoir répandu
un intérêt plus général, sur des objets
qui n'occupoieut jadis qu'un petit nombre
de savans, parce qu'on les considéroit
isolés et d'après des vues plus étroites.
11 est probable que l'ouvrage que je
faisparoître aujourd'hui fixera l'attentioa
d'un plus grand nombre de lecteurs que
J
le détail de mes observations purement
scientifiques , ou que mes recherches sur la
population , le commerce et les mines de
la Noiivelle-Kspagne. Il me sera par consé-
quent permis de rap[)elcr ici les travaux
que nous avons antérieurement publiés,
M. liunpland et moi. Lorsque plusieurs
ouvrages sont étroitement liés entre eux,
il est de quelque intérêt pour le lecteur
de eonnoitre les sourcesauxquclles il peut
puiser des renseignemens plus circons-
tanciés. Dans lo voyage de M. Pallas , qui
est si remarquable par l'exactitude et la
profondeur des recherches , le même Atla8
oilW; des cartes géographiques, des cos-
tumes de difiérens jicuples, des restes
d'antiquités , des figures de plantes et
d'animaux. D'après le plan de notre ou-
vrage il a fallu disttil)uer ces planches
dans des parties distinctes; on les trou-
vera réparties dans \vs deux Atlas géogra-
phiques et ])hysiques qui accompagnent
la Relation du A'^oyagc et l'Essai poli-
INTRODCCTIOX. iS
tique sur le royaume de la Nouvelle-Es-
pagne , dans les Vues des Cordillères et
monumens des peuples indigènes de l'A-
mérique, dans les Plantes équinoxialcs j
la Monographie des Melastomes, et le Re-
cueil d'observations zoologiques. Comme
je serai obligé de citer assez souvent ces
différens ouvrages, je vais indiquer en
note les abréviations dont je me suis
servi pour en rappeler les titres.
I. Recueil d'observations astrono-
miques , d'opérations trigonométriques
et de mesures barométriques ', faites
pendant le cours d'un voyage aux
régions équino^iales du nouveau con-
' Oba, jiatr, en deux volumes
dans l'Introduction pi:
le choix des iostrumens les plu
dans des Tojages loiotaius , le
l'on peot atteindre dans les dtffêi
Tations, le mouvement propre de
étoiles de niémisplière austral, et
iaai l'usage n'nt pas asseï répai
giteun.
tinent, en 1-99-1804- Cet ouvrage,
auquel on a joint des recherches histori-
ques sur la position de plusieurs points
importans pour les navigateurs, rcnlerme
i." les observations originales que j'ai
faites depuis les 1 2" de latitude australe
jusqu'aux 4i° de latitude boréale, comme
passages du soleil et des étoiles par le
méridien , distances de la lune au soleil
et aux étoiles, occultations de satellites,
éclipses de soleil et de lune , passages de
Mercure sur le disque du soleil, azimuths,
hauteurs circumméridienncs de la lune
pour déterminer la longitude par le
moyen des dilTércnces de déclinaisons,
recherches sur l'intensité relative de la
lumièredes étoiles australes, mesures géo-
désiques, etc.j 2.° un mémoire sur 1rs
réfractions astronomiques sous la zone
torride , considérées comme effet du dé-
croissement du calorique dans les couches
superposées de l'air ; 3." le nivellement
barométrique de la Cordillère des Andes,
mmoDucTioTï, 27
duMexique, de la province de Venezuela,
du royaume de Quito et de la Nouvelle-
Grenade , suivi d'oJiscrvations géologi-
ques et renfermant l'indication de quatre
cent cinquante-trois hauteurs calculées
d'après la formule de M, La Place et le
nouveau coiifEcient de M. Ramond ;
4.° un tableau de pr^R de sept cents posi-
tions géographiques du nouveau conti-
nent, dont deux cent trente-cinq ont été
déterminées par mes propres observa-
tions , selon les trois coordonnées de
longitude, de latitude et de hautein-.
II. Plantes équinoxiales recueillies
au Mexique , dans Vile de Cuba ,
dans les provinces de Caracas , de
Cuniana et de Barcelone , aujc Andes
de la Nouvelle- Grenade , de Quito et
du féi'ouj et sur les bords du Rio
Negro y de l'Orénoque et de la rivière
des Amazones ^ M. Bonpland y a donné
' PI. équin. , en dcus yoliimcs în-rolio , ornés de
plus de i5o planches gravées au hiirîn et tïrtiîscii aoir.
2b INTRODUCTION.
les figures de près de quarante noiivcaiis
genres'^ de phintes de la zone torridc j
rapporïccs à leurs familles nalnrelles. Les
descriptions méthodiques des espèces sont
à la fois en franrois et en latin , et accom-
pagnées d'observations sur les propriétés
médicales des végétaux , sur leur usage
dans les arts et sur le climat des contrées
où ils se trouvent.
III. Monographie des Melasîojiies ,
Rhexia et autres genres de cet ordi'e
de plantes. Cet ouvrage est destiné à
faire connoître plus de cent cinquante
espèces deMclastomacéfS que nous avons
recueillies pendant le cours de notre ex-
' Nous ne cilei'ons ici que 1ns genres Cerosylon ,
Marathrum , Cuisupa , Saccellium , Clieirostcmon ,
Ulietinipliyllum, Machnonia , Limnoclinris , Bertlio-
letîa , Eso&tem» , Vauquclinia , Giiardiolii , Turpinia ,
SalpiaiUliu9,Hermesia,Cladostjles,Lila;a,Culcîtiuiii,
Espelelia, Bonplandia , Plat3carpuiu , Gjnerium,
Eiidema , Tlicnarda , AndriHuacluo , Kunthia , Khap-
loslyluiu , Mciiodora, Gayliissacia, Po.topterus, Leii-
copliylluDij AngeloDia.
ISTBODDCTION. 29
pédition, et qui font un des plus beaux
omemens de la végétation des tropiques.
M. Bonpland y a joint les plantes de la
même famille que, parmi tant d'autres
richesses d'histoire naturelle, M. Richard
a rapportées de son intéressant voyage
aux Antilles et à la Guyane lianroise , et
dont U a bien voulu nous communiquer
les descriptions.
IV. Essai sur la géographie des
plantes , accompagne' tiiat tableau
physique des régions équinoxiales ,
fondé sur des mesures ejcécutées de-
puis le dixième degré de latitude bo-
réale Jusqu'au dixième degré de lati-
tude australe. ' J'ai essayé de réunir
■ Géor. Végét. , un Tolume îii-4.*, avec tme grande
planche coloriée. Cet ouïrage , imprimé pour la pre-
mière fois en 1806, sera réimprimé avec des additions,
et formera la cinquième partie de la collection com-
plète, ayautpour ïilre l'/iystque génèruie. J'ai exposé
les premières idées sur la géograpliin des plantes , sur
leurs asaociaûona naturelle.^ et l'hialuire de leurii
migrations dans m^Flora FriLcr^tiuia plantas .ihlcns
n
3o I,\TRODUCTiO>.
dans un seul tableau l'ensemble des phé-
nomènes physiques que présente la partie
du nouveau continent comprise dans la
zone torride, depuis !e niveau de la mer
dn Sud jusqu'au sommet de la plus liaute
cime des Andes; savoir: la végétation,
les animaux , les rapports géologiques ,
la culture du sol , la température de l'air,
les limites des neiges perpétuelles , la
constitution chimique de l'atmosphère,
sa tension électrique j sa pression baro-
métrique, le décroissement de la gravi-
tation, l'intensité de la couleur azurée
du ciel , l'affoiblisseraent de la lumière
pendant son j)assage par les couches su-
perposées de l'air, les réfractions hori-
zontales et la chaleur de l'eau bouillante
à différentes hauteurs. Quatorze échelles
disposées à côté d'un profil des Andes,
indiquent les modifications que subissent
ciyptiignmicas prœxertcm subterraneas , ciii acceibint
aphorismi ex pkysiologia cAemica pla'itanuii. ( Bercl.
Il
INTRODUCTION. 3 1
ces phénomènes par Tinfluence de Tëlé-
vation du sol au-dessus du niveau de
Focéan. Chaque groupe de végétaux est
placé à la hauteur que la nature lui a
assignée, et Ton peut suivre la prodi-
gieuse variété de leurs formes depuis la
région des palmiers et des fougères en
arbres jusqu'à celles des Johannesia (Chu-
quiraga , ,Juss. ) ^ des graminées et des
plantes licheneuses. Ces régions forment
les divisions naturelles de Tempire végé-
tal; et, de même que les neiges perpé-
tuelles se trouvent sous chaque climat à
one hauteur déterminée, les espèces fé-
brifuges de Quinquina (Cinchona) ont
aussi des limites fixes que j'ai indiquées
sur la Carte botanique qui accompagne
cet Essai sur la Géographie des plantes*
V. Recueil d'observations de zooloffe
et d'anatomie comparée '. . J ai réoni
' Obêeru. zooL en deux Tohniiei iD-4/, àmt %
premier a para en entier^ aTecSoplandies, la pfapw
coionées.
32 INTRODUCTION.
dam cet ouvrage l'histoire du Condor;
des expériences sur l'action électrique des
Gymnotes ' ; un mémoire sur le larynx
des Crocodiles, des quadrumanes et des
oiseaux des tropiques; la description de
plusieurs nouvelles espèces de reptiles,
de poissons , d'oiseaux , de singes et
d'autres manimifères peu connus. Un sa-
vant illustre dont la constante amitié
m'a été si honorable et si utile depuis un
grand nombre d'années, M. Cuvier, a
enrichi ce recueil d'un mémoire très-
étcndu sur l'Axolotl du lat: de Mexico
et sur les Protées en général. Le même
naturaliste a aussi reconnu deux nouvelles
espèces de Mastodontes et un véritable
éléphant, parmi les os ibssiles de qua-
drupèdes que nous avons raj)portcs des
' Ces expériences 3e lient à celles que j'ai publiées,
aviiiit mua départ jiour l'Amérique, clans le second
volume de mon Essai sur Virritatwn de la fibre inii\-
cuiaii'e et nerveuse , et sur l'action chimique qui entre-
tient la i-i< dss animaux et des plantes. 1796.
INTRODUCTION. 33
deux Amériques '. La description des
insectes recueillis par M. Bonpland, est
due à M. Latreille dont les travaux ont
tant contribué de nos jours aux progrès
de Fentomologie. Le second volume de
cet ouvrage renfermera les figures des
crânes mexicains, péruviens et atures
que nous avons déposés au Muséum
d'histoire naturelle de Paris, et sur lesquels
M. Blumenbach a déjà publié quelques
observations dans le Decas quinta cra-
niorum dis^ersarum gentium.
VL Essai politique sur le royaume
de la Nous^elle-Espagne , a{^ec un Atlas
physique et géographique^ fondé sur
des observations astronomiques ^ des
mesures trigonométriques et des nis^el-
lemens barométriques ^. Cet ouvrage,
* Ann. du Muséum d'hist. nat. , T. VIII , pag, 5? :
etpag. 4i3et 4i3^PL ii>fig. i et5.
* N'oup.-Esp. , en deux Yolomes in-4." et ua Atlas
de 20 plaiiches in-folio. Cet ouyrage a aussi été publié
en 5 Tol. ÎQ-S". , sans l'Atlas^ mais ayee une carte
et une coupe. Ma Carte générale du royaume dé
I. 3
34 INTRODUCTION.
fondé sur un grand nombre de mcmoircs
officiels, offre en six divisions des consi-
dérations sur l'elendue et l'aspect pliy-
siquc du Mexique, sur la population,
les mceurs des habitons, leur ancienne
la homélie Espagne di ssée xur des chseiVQtionn
aslronnmii/ues et aur I ensemble des maUriaux qui
existaient a Mexico en i8o4 , a éié copiée par
M. Ari owsmitli qui se l'est ajuiropriée eu la publiant
sur nue plus gi imle échelle en iSo5 (avant que la
tratluction tngloise de mon ouvrage eiit paru à
Londres, chez Longmann , Hurst et Orme), souii
le titre de Neiv Map of Mexico, compiled front original
dociiTTienfs by j^rrovsmith. Il est facile de rccoiinoître
celle carte par Leaucoup de fautes chalcograpliiqucs ,
par l'explication des signes qu'on a oublié de traduire
ilii françois en anglois , et par le mot Océan que
l'on trouve inscrit an milieu des montagnes, dans
nn endroit où l'origimil porte : Le plateau de Tolaca
est élevé de l'ioo tuines au-dessus du niveau, de
l'océan. Le procédé de M. Arrowsmitli est d'autant
plus blAniable , ([ue MM. Dalrymple , Rcnnell, d'Arcy
de la Rocliette , et tant d'autres excellons géographes
quepossèile l'Angleterre, ne lui en oni donné l'exemple
ni dans leurs cartes , ui dans les analyses qui les
ficcompngnent. Le s réclamations d'un voyageur doivent
paroilrc justes , lorsque de Èim|>les copies de ses Ira-
Taux se répandent sous des noms étrangers.
nsTRODUCTIOX, 5j
civilisation et la divisoa politicpe du
pays. Il embrasse à la fois 1 agrîcalture ^
les richesses niiDérales , les manutkctnres^
le commerce, les finances, et la défense
militaire de cette vaste contrée. £a trai-
tant ces différens objets de féconomie
politique , j'ai tâché de les envisager sous
un point de vue général; j*ai mis en
parallèle la Nouvelle-Espagne, non seu-
lement avec les autres colonies espagnoles
et la confédération des États-Unis de
l'Amérique septentrionale, mais aussi avec
les possessions des Anglois en Asie ; j ai
comparé Fagriculture des pays situés sous
la zone torride à celle des climats tem-
pérés; j'ai examiné la quantité de denrées
coloniales dont l'Europe a besoin dans
Tétat actuel de sa civilisation. En traçant
la description géognostique des district^
des mines les plus riches du Mexique,
j'ai présenté le tableau du produit mi-
néral , de la population , des importations
€t des exportations de toute l'Amérique
5*
36 INTRODUCTION,
espagnole; enfin, j'ai abordé phisieins
questions qui , faute de données exactes,
n'a\oient pu être Inntées jusqu'ici avec
toute la profondeur qu'elles exigent ,
comme celles sur le fhix et !e reflux des
richesses métalliques ', sur leur accumu-
' Le voyage récent du Major Zehulon Montfrorrrer/
Pike d;ms les proTÏnces septentrionales du Metii^ue
( Àccaunt iifthf Expéditions to the sources oftlie M t-
tissipi and to the int^iior parts of NeM Spiin. /'fiHii-
delpkia, i8io_J renferme des notions précieuses sur
les rivi(.Tes La Piatte et Arkansaw, ainsi (jiie sur la
haute chaîne de montagnes qui s'ét< nd au nord du
Nouveau-Mexique vers les sources de ces deun rivières:
mais les nombreuses données statistiques qui' M. Pike
a rncueillies chez une natiim dont il ignoroit la langue ,
sont le plus souTent très-lti exactes. Selon cet auteur,
la monnoie de Mexico fabrique annuellement 5n mil-
lions de piastres en argent et i4 millions en or;
tandis qu'il est prouvé, par les tableaus imprimés
annuellement par erdrc de la Cour , et publiés dans
mon Esnai politique , que l'année ou l'exploitation
des mines mexicaines a été la plus active , le mon-
noyage ne s'est élevé qu'à 25,'^ofi,o74 piastres en
argent et à i,35i),8i4 piastres en or. M. Pike' a
déployé un noble courage dans une entreprise impor-
tante pour la connoissance de la Louisiane oceidcn-
nm ODUCfiON * ^7
ftion progressive en Europe et en Asie ,
î^surla quantité doret d'argent qae,
Lepuis la découverte de l'Amérique jas-
u'à nos jours, ruocien continent a reçue
Bu nouveau. L'iiiirodiiction géographique
placée à la tête de cet ouvnige renferme
l'analyse des matériaux qui ont servi à
t'diger l'Atlas mexicain.
VII. f^ues des Cordillères et Mo-
urnens des peuples indigènes du nou-
sau continent *. Cet ouvrage est destiné
la fois à faire connoître quelques-unes
tâle; mais dépourra d'inatrumens, et sévèrement
«nreillé pendaDlk route deSunta-FeàNatclittocbes,
il n'a pu rien faire pour le perfection ne ment de la géo-
graphie Aesproviruias inUniai. Les caites du Mexique
qui M trouvent annexées à la relation de son voyage,
HKit des réductions da ma grand&carte de laNouvelIe-
Esjagne, dont one copie étoit cestéc en i8o4 à la
Secrétairerie d'État de Washington.
, un volume Ïn-Eùlio, avec 6g
tanches , en partie coloriées et accompagnéeÉ de
lïplicalifs. Cet ouvrage peut être oonsi-
B l'Atlas piuoresqne de la Relation liîsto-
Bnque iluVutage. On en a réimprimé le texte en a voL
■Ib-B-", avec 19 planche».
38 INTRODUCTION.
lies grandes scènes que présente la nature
dans les hautes chaînes des Andes, et à
jeter du jour sur l'ancienne civilisation
des Améiicains, par l'étude de leurs mo-
niiniens d'architecture^ de leurs hiéro-
glyphes, de leur culte religieux et de
leurs rêveries astrologiques. J'y ai déciit
la ronstriielion des tcocailisou pyramides
inexic^iines, comparée à celle du temple
de liéhis, les arabesques qui couvrent les
ruines de Mllla, des Idoles en basalte
ornées de la Calantlca des létes d'Isis, et
un nombre considérable de peintures
symboliques représentant la lisnime au
serpent, qui est l'Kvc mexicaine, le
déluge de Coxcox, et les premières mi-
grations des peuples de race aztèque. J'ai
lâché d'y démontrer les analogies frap-
pantes qu'ollVcnt le calendiier des Tol-
tèquesetlescatastérismes de leur zodiaque,
avec les divisions du temps des peuple;
lartnres et tibétains, de même que les I
cms mexicaines sur les quatre régé-
TXTRODTICTIOX. 3gf,l
miralioos du globe, avec los pralayas,!
^Kdcs Hindoux et les quatre âges d'Hésiode : }
^^n'y ai consigne aussi, outre les pciniurcs |
^* hiéroglyphiques que j'ai rapportées en f
Europe , des l'ragmens de tous les ma-
nuscrits aztèques qui se trouvent à Rome,
à Veletri, à Vienne et à Dresde , et dont
I le dernier rappelle, par des symboles
^■linéaires, les konas des Cliinois. A côté 1
^Vdc ces nioaumcns grossiers des peuples de i
' rAmérique, se trouvent dans le mémo I
t ouvrage les vues pittoresques du pays i
bnoulueux, que ces peuples ont liabïté,
somme celles de la cascade du Tequen-
mama, du Clilniborazo, du volcan de
Jorullo et du Cayambé dont la cime
pyramidale , couverte de glaces iitemell
est placée immédiatement £Oiu ]» |
équatoriate. Dans toutes les zoom |
figuration du sol, la pliysîoi
v^éiaux et l'aspect d'une natiu
ou sauvage îuflnenC sur les j
arts et siu' le style qui distin,
4o INTLODUCT10-\.
productions 5 el cette influence est d'au-
tant pins sensible, que l'homme est plus
éloigné de la civiltsatloD.
J'iiurois jni ajouter à cet ouvrage des
reelierehes sin- le caractère des langncs ,
qni sont les nionununs les plus durables
des peiijiles : j'ai recuellii sur celles de
rAiiiérique beaucoup de matériaux , dont
MM. Fréi-léiic Schligel et Vaterse sont
servis, le jtrcmier dans ses Considéra-
tions sur les Uindoujv , le second dans
la conlJniialion du Mithridate d'Ade-
lutig, dans le Magasin ethnographique
et dans ses Recherches sur la population
du nouveau continent. Ces matériaux
se trouvent aiijourd'liiii entre les mains
de mon ("rère. M, Guillaume de Huni-
boldt, qui, ])endant ses voyages en
Esj)agne et pendant un long séjour à
Rome j a formé la plus riche collection
de vocabulaires américains, qui aitiamais
existé. Comme il a des connoissances
étendues sur les langues anciennes et
JJSTnODCCfM
podenies, il a élé en état de ùân des
rapprochemens très-curieux sur cet objet
important pour l'ëtiide philosophique de
histoire de l'homnie. Je me flatte qu'une
farlie de son travail trouvera place dan«
lette relation.
' De ces dîft'crcns ouvrages dont je viens
: faire ici r('numénition,-]e scrond et
b troisième ont été rédigés ]>ar M. Bon-
pland, d'après des obser%'aiioDS qu'il a
consignées sur les lieux luérae dans uit
journal botanique. Ce journal couttenc
plus de quatre mille descriptions métho-
diques de planlts équinoxiales, dont un
neuvième seulement ont été faites par
moi : elles paroftronl dans un ouvrage
particulier, sous le litre de Novagenera
et species plantantm. On n'y trouvera
ps seulemcnl les nouvelles espèces que
nous avons recueillies , et dont le nombre,
d'après les recherches d'un dea premiers
botanistes du siècle, M. Willdenow,
l>aroît s'élever à qualunig ou quinze
/)2 IMUODUCTIOX.
cents ^, mais aussi les oljscrvatioiis inlc-
Fessantes que M. Bonpland a faites sur des
végétaux imparfaitement décrits jusqu'à
ce jour. Cet ouvrage, dont les figures
seront gravées au simple trait , sera exé-
cuté d'après la méthode suivie dans le
Spécimen plantauim Novœ Ilollandiœ
de M. Labillardière, qui oITic un modèle
de sagacité dans les reclierelies , et de
clarté dans la rédaction.
Les obscrvalions astronomiques, géo-
désiques et barométriques que j'ai faites
de 1799 à 1804, ont été calculées d'une
manière iiniiorme , en employant des ob-
servations correspondantes et d'après les
tables les jilns précises, par M. Oltmanns,
professeur d'Asti'onomic et membre de
' TJne partie consklcr.nble Je ces espùccs se Irouve
déjà indiquée dans la seconde division de la (juairitme
partie du Species plantarum, de Linnôe , 4.* édilioQ.
Des Erj-ngiuin que nous avons rapporlccs de notre
voyage, onze espèces nouvelles ont é(é gravées dans
la lictle MoHogriipljic de ce grure , piibUce [Wr M. de
ivrRODucno5. 4 ^
rAcadémie Je Berlin. Ce saTant laboTÎnnL
a bien voulu se charger de la publient ka
de mon Journal astronomique^ quH a
enrichi des résultats de ses recherches scr
la géographie de rÂménqne, sur ks
observations des voyageurs espagnols,
François et anglois , et sur le choix des
méthodes employées par K:$ astronomes.
Pavois calculé j pendant le cours de mon
voyage, les deux tiers de mes propres
observations, dont les résultais ont été
consignés en partie , avant mon retour y
dans la Connaissance des temps, et
dans les Éphémérides de M* de Zach.
Les différences peu considérables qui se
trouvent entre ces résultats et ceux
auxquels s'est arrêté M. Oltmanns , pro-
viennent de ce que ce dernier a soumis
à un culcul plus rigoureux rensembic de
mes observations , et qu'il s'est servi des
tables lunaires de Bùrg et d'observation<i
correspondantes de Grecnwicli, \hw\U
que je n'avois employé que la G/ririoiv
44 INTRODirCTION. '
sance des temps calculée d'après les tables
de Masson*
Les observations que j'ai faites sur Tia-
cliuaison deFaiguille aimantée, l'intensité
des forces magnétiques et les petites va-*
TÎations horaires de la déclinaison , paroî-
tront dans un mémoire parliculier, qui
sera joint à mon Essai sur la Pasi-
graphie géologique. Ce dernier ouvrage
que j'ai commencé à rédiger à Mexico
en i8o3 , offrira des coupes qui indiquent
la superposition des roches dont nous
avons observé le type, M. Léopold de
Buch et. moi 5 dans les deux continens,
entre les 12° de lalilude australe et les
71^ de latitude boréale. En profitant des
lumières de ce grand géologue qui a
parcouru TEurope^depuisNaples jusqu'au
Cap-Nord en Laponie, et avec lequel j'ai *
eu le bonheur de faire mes premières
études à l'école de Freiberg, j'ai pu
étendre Iç plan d'un ouvrage destiné à
pépandre quelque jour sur la construction '
INTRODUCTION. 4^
du globe et sur l'ancienneté relative des
formations.
Après avoir distribué dans des ouvrages
particuliers tont te qui appartient à l'As-
tronomie, à la lîotaniquc, à lii Zoologie,
à la description pollliqut; de la Nouvelle-
Espagne et à l'Histoire de l'ancienne
civilisation de quelques peuples du nou-
veau continent, il restoit encore un grand
nombre de résultats généraux et de des-
criptions locales que j'aurois pu réunir
dans des mémoires particuliers. Pendant
le cours de mon voyage, j'en avois préparé
plusieurs sur les rares d'hommes de r Amé-
rique méridionale, sur les missions de
rOrénoque, sur les obstacles que le climat
et la force de la végétation opposent aux
progrès de la société dans la zone torride,
sur le caractère du paysage dans la Cor-
dillère des Andes couip;u'é à celui des
Alpes de la Suisse, sur les rapports que
l'on observe entre les roches des deux
hémisphères, sur la constitution physique
n
riîsolulion de ne pas écrire ce que l'on
est convenu d'appeler la relation histo-
rique d'un voyage, mais de publier le
l'ruit de mes recherches dans des ouvrages
purement descriplils. J'avois rangé les
laits, non dans l'ordre dans lequel ils
s'étoient présentés successivenienl, mais
d'après les rapports qu'ils ont entre eux.
Au milieu d'une nature imposante, vive-
ment occupé des phénomènes qu'elle offre
à chaque pas, le voyageur est peu tenté
de consigner dans ses journaux ce qui a
rapport à lui-même et aux détails minu-
tieux de la vie.
J'ai composé un itinéraire très-succinct
pendant le cours de ma navigation sur les
fleuves de l'Amérique méridionale ou
dans de longs voyages par terre 5 j'ai aussi
décrit assez régidièrenient , et presque
louionrs sur les lieux mêmes, les excur-
sions vers la cime d'un volcan ou de
INTRODUCTION. 4 7
quelque autre montagne remarquable par
son élévation : mais la rédaction de mon
journal a été interrompue chaque fois
que j'ai séjourné dans une ville, ou que
d'autres occupations ne me permettoient
pas de continuer un travail qui alors
n'étoit pour moi que d'un intérêt secon-
daire. En m'y livrant, je n'avois d'autre
but que de conserver quelques-unes de
ces idées éparses qui se présentent à un
physicien , dont presque toute la vie se
passe en plein air, de réunir provisoire-
ment une multitude de faits que je n'avois
pas le temps de classer , et de décrire les
premières impressions agréables ou pé-
nibles que je recevois de la nature et
des hommes. J'étois bien éloigné alors
de croire que ces pages écrites avec pré-
cipitation feroient un jour la base d'un
ouvrage étendu que j'offrirois au public;
car il me sembloit que mon ouvrage,
tout en fournissant quelques données
utiles aux sciences, offroit cependant bien
peu de ces incidens ûout le récit fait le
charme priotipjl d'un ilinérairo.
Lcâ ùilliciiilés que j ai éprouvées depuîs
mon retour , dans la réd>.ciion d'un
nombre considérable de mémoires des-
tiné-- a (dire cunnoitre certaines classes
de phénomènes, m'ont lait vaincre insen-
siblement mon extrême répugnance à
écrire la relation de mon vovagc. En.
m'imposant celte tâche, je me suis laissé
guider par les conseils dun gi'and nombre
de personnes estimables qui m'honorent
d'un intérêt particulier. J ai niéuie cru
m'apcrcevoir que l'on accorde une pré-
férence si marquée à ce genre de compo-
sition que des savans , après avoir présenté
isolément leurs recherches sur les pro-
ductions , les mœurs et l'état politique
des pays qu'ils ont parcourus, ne semblent
avoir aucunement satisfait à leurs enga-
gemens envers le pubbc, s'ils n'ont pas
écrit leur itinéraire.
Une relation historique embrasse deux
omoDiicnoii. 49
objets trè9-4istincts : les évéûetnens plus
ou moins importans qui ont rapport au
but du voyageur, et les observations qu^il
a fatte^endant ses courses. Aussi lunité
de composition qui distingue les bons
ouvrages d avec ceux dont le plan esc
mal conçu, ne peut y ^re strictement
conservée , qu'autant qu'on dëerit d'une
manière animée ce que Ton a vu de ses
propres yeux , et que Tattention principale
a été fixée ^ moins Sur des observationi
de sciences que sur les mesuré des peuplai
et les grands phénomènes de la nature*
Or le tableau le plus fidèle des mœurs
est celui qui fait connoitre le mieux les
rapports qu*ont les hommes entre eux.
Le caractère d'une nature sanvage ou
cultivée se peint, soit dans les olmt^cles
qui s'opposent an voyageur, soit dans
les sensations qu'il éprouve. CW lui que
l'on désire voir sans cesse en cofifa/i av#^
les objets qui Fentourent, et v/n r^yjt
nous intéresse d autant plus qu'une Uiufj:
^ 4
5o INTRODUCTION.
locale est répandue sur la description du
paysage et des îiabitans. Telle est la
source de l'intérêt que présente l'histoire
de ces premiers navigateurs, qui, moins
guidés parleur science que par une noble
intrépidité, luttèrent contre les élémens,
en cherchant un nouveau monde dans
des mers inconnues. Tel est le charme
irrésistible qui nous attache au sort de
cet homme entreprenant ^ qui , fort de
son enthousiasme et de sa volonté ,
pénètre seul dans le centre de l'Afrique
pour y découvrir, au milieu de la bar-
barie des peuples, les traces d'une an-
cienne civilisation.
A mesure que les voyages ont été faits
par des personnes plus instruites, ou diri-
gés vers des recherches d'histoire naturelle
descriptive , de géographie ou d'économie
politique, les itinéraires ont perdu en
partie cette unité de composition et cette
INTRODUCTIOSI. 5 1
naïveté (}ui distinguoient ceux des siède»
antërieurs. Il n est presque plus pMsible
de lier tant de matériaux divers à la
narration des événemens, et la partie
qu on peut nommer dramatique est reisk
plaeée par des morceaux purement des^
criptife. Le grand nombre de lei^teor%
qui préfèrent un délassement agréable a
une instruction salide n'a pas jg^gne a t^
édiange , et je crains qn'cn ne soit tMV
peu tenté de suivre dans leon ^uMr si»
ceux qui traînent avaceox on a{^f eil tifjtê'
sidérable dTinstromeDS et de ecJkrjtiMMu
Pour que mon cMivrage fut pi«s vafié
dans les formes . j'ai inttrronfpfi ^Muverit
la partie historique par de Mttpk^ d^v
criptioii& Xexpûse d al^id ie^ pOsiM^
mcaesdans Tendre oâ ils k Mikt yii^^cfiXf:^^
et )e ks coKÎdtie e&œhe daiia ï^ojkMJÀjléit
dekiiisiàppoitsiiidîvid£heâs/>^ iftai^^ije
a àe suivie avec saooei» dait^ k v<nv2t^i: <ie
M. de SaiMBore , livre précieux qui ^ plu^
ou anoonaiâre. a ccMïtrilméa/^ vai^^j^m^xit
5a INTBODUCTIO_\.
des sciences, et qui , an milieu de discus-
sions souvent aritîes sur la inéléorologie,
renferme plusicuis tableaux pleins de
cliarme , comme ceux de la vie des mon-
tagnards, lies dangers de la chasse aux
chamois , ou des sensations qn'on éprouve
sur ie sommet des hautes Alpes.
H est des détails de la vie commune
qu'il peut èlre utile de Consigner dans nn
itinéraire, parce qu'ils servent à régler la
condui te de ceux qui pa reourent les
mêmes contrées après nous. J'en ai con-
servé un petit nombre: mais j'ai supprimé
la plupart de ces incidens personnels qui
n'offrent pas un véritable intérêt de situa-
tion , et sur lesquels la perfection du
style peut seule répandre de l'agrément.
Quant au pays qui a fait l'objet de
mes recherches , je ne me dissimule pas
les grands avantages qu'ont sur les voya-
geurs qui ont parcouru l'Amérique, ceux
qui décrivent la Grèce, l'Egyjile, les
bords de l'Euphrate et les îles de l'Océan
INTRODUCTION^ 53
Pacifique. Dans Fancien monde , ce sont
les peuples et les nuances de leur civilisa-*-
siou qui donnent au tableau son caractère
principal ; dans le nouveau j rhomroe et
Èés productions disparoissent , pour ainsi
dire, au milieu d'une nature sauvage et
gigantesque. Le genre humain n^ offre
que quelques débris de hordes indigènes
peu avancées dans la culture, ou cette
uniformité de mœurs et d'institutions
qui ont été transplantées sur des rives
étrangères par des colons européens. Or
ce qui tient a Thistoire de notre espèce ,
aux formes variées des gouvememeos ,
aux monumens des arts , à ces sites qui
rappellent de grands souvenirs, nous
touche bien plus vivement que la des-
cription de ces vastes solitudes qui ne
paroissent destinées qu'au développement
de la vie végétale et à Tempire des
animaux. Les sauvages de TAmérique
qui ont été l'objet de tant de rêveries
systématiques^ et sur lesquels, de nos
B,\ INTRODUCTION.
jours, M. de Volncy a publié des observa-
tions pleines de sagacité et de justesse,
inspirent moins d'intérêt, depuis que des
voyageurs célèbres nous ont fait eonuoître
ces habitans des îles de la mer du Sud
dont le caractère offre im mélange frap-
pant de douceur et de jierversité. L'état
dé demi-civilisation dans lequel on trouve
ces insulaires, donne un charme parti-
culier à la description de leurs mœurs ;
tantôt c'est un roi qui , accompagné d'unt:
suite nombreuse, vient offrir lui-même
les fruits de son verger, tantôt c'est une
fête funèbre qui se prépare au milieu
d'une forêt. Ces tableaux ont sans doute
plus d'attraits que ceux que présente la
morne gravité des liabitans du Missoury
ou du Maranon.
Si l'Amérique n'occupe jias une place
distinguée dans l'histoire du genre hu-
main et des anciennes révolutions qui
l'ont agité , elle offre un ehanip d'autant
aux travaux du pbysieien»
Nulle part ailleurs la Nature ne l'appelle
plus vivement à s'élever à des idées gé-
nérales sur !a cause des phénomènes et
sur leur enchaînement mutuel. Je ne ci-
terai pas celte force de la végétation ,
cette fraîcheur éternelle de la vie orga-
nique, ces climats disposés par étages sur
la pente des Cordillères, et ces fleuves
immenses qu'un écrivain célèbre ■ nous a
peints avec une admirable ûdélité. Les
avant'iges qu'offre le nouveau monde pour
l'étude de la géologie et de la physique
générale sont reconnus depuis long-temps.
Heureux le voyageur qui peut se flatter
d'avoir profité de sa position, et d'avoir
ajouté quelques vérités nouvelles à la
masse de celles que nous avons acquises !
Il est presque inutile que je rappelle
ici ce que j'ai déjà indiqué dans la Géo-
graphie des plantes et dans le discours
préliminaire place à la tète des Plantes
' M. de Cliateaubriand,
1
56 INTRODUCTION.
équinoxiales ^ qu'unis par les liens de
l'aniiiié Id plus intime tant pendant le
cours de noire voyage que pendant les
annéi-'s qui l'ont suivi, nous publions en
commun, M. lîonpland et moi, tous les
ouvr<iges qui sont le fruit de nos travaux.
J'ai tàclié d'exposer les fuils tels que nous
les avons observés ensemble; mais cette
relation ayant été rédigée d'après les notes
que j'ai écrllLS sur les lieux, les inexac-
titudes qui iieuvcnt se trouver dans mon
récit ne doivent être attribuées qu'à moi
seul.
Les observations que nous avons faites
pendant le cours de notre voyage, ont
été distribuées en six sections ; la pre-
mière embrasse la Relation liîstorique;
la seconde , la Zoologie et l'Anatomie
comparée; la troisième, TEssai politique
sur le royaume de la Nouvelle-Espagne ;
la quatrième, l'Astronomie ; la cinquième,
]a Physique et la Géologie , et la sixième,
la Description des plantes nouvelles
«7
iccooDics dans les deux Aménqpn». Lk
éditoors oot déployé ua nie loiutUepcwr
rendre tn ouvrages pfan dig^Ms de fui-
dulgencse dm poUic Je ne saurais passer
soussiksioe ]efinonUs|iiceplacééIa tétede
réditiao io^^. de cet Ilinersiire, M< Gé-
rard, aveclequd ) « le bonheur d'être lié
depuis quinze ans, s'est plu a dérober pour
moi quelques momens à ses travaux : je
sens tout le ipiix de oe témoignage public
de son estime et de son amitié.
J*ai die avec soin dans cet ouvrage les
personnes qui ont bien voulu me com^
muniquer leurs observations : c^est dans
rintroduction m^e que je dois consigner
l'expression de ma reconnoissance pour
MM# Gay-^Loissac et Arago, mes confrères
àr^nstitut, qui oot attaché leur nom à
des travaux importaus, et qui sont doués
de cette élévation de cametère à laquelle
devroit toujours conduire uu amour ar-
dent pour les siences. Ayant 1 avautago
de vivre avec eux dans l'union la plus
58 INTKODUCTiOîr.
droite, j'ai pu les consulter joumëlle^
ment avec fruit sur des objets de chimie,
de physique et de plusieurs branches des
mathématiques appliquées. J'ai déjà eu
occasion de citer , dans le Recueil de mes
observations astronomiques, ce que je dois
à l amitié de M. Arago qui , après avoir
terminé la mesure de la méridienne d'Es-
pagne 5 a été exposé à des dangers si mul-
tipliés 5 et qui réunit les talens de l'astro-
nome 5 du géomètre et du physicien. C'est
avec M. Gay-Lussac que J'ai discuté plus
particulièrement 5 au moment de mon
retour 5 les difFérens phénomènes de mé-
téorologie et de géologie physique que
j'ai recueillis dans mes voyages. Depuis
huit ans nous avons presque constamment
habité sous le même toit eii France , en
Allemagne ou en Italie : nous avons ob-
servé ensemble une dés plus grandes éi*up -
tions du Vésuve; quelques travaux sur
l'analyse chimique de l'atmosphère et sur
les variations du magnétisme terrestre
INTRODUCTION. 5^9
nous ont été communs. Ces circonstances
m'ont mis dans le cas de profiter souvent
des vues profondes et ingénieuses de ce
chimiste , et de rectifier mes idées sur des
objets que je traite dans la Relation his-
torique de mon voyage.
Depuis que j'aî quitté l'Amérique, une
de ces grandes révolutions qui agitent de
temps en temps l'espèce humaine, a éclaté
dans les colonies espagnoles; elle semble
préparer de nouvelles destinées à une po-
pulation de quatorze millions d'iiabitans,
en se propageant de Thémisphère austral
à l'hémisphère boréal, depuis les rives de
la Plata et du Chili jusque dans le nord
du Mexique. Des haines profondes, sus-
citées par la législation coloniale et en-
tretenues par une politique défiante, ont
fait couler le sang dans ces pays qui jouis-
soient , depuis trois siècles , je ne dirai pas
du bonheur, mais d'une paix non inter-
rompue. Déjà ont péri, à Quito, victimes
de leur dcvouement pour la patrie, les
6o INTRODUCTIOiy.
citoyens les plus veriueux et les plus
t'clalrt's. En décrivant des régions dont
le souvenir m'est devenu si clier, je ren-
contre à chaque instant des lieux qui me
rappellent la perte de quelques amis.
Lorsqu'on réfléchit sur les grandes
agitations politiques du nouveau monde,
on observe que les Espagnols Américains
ne se trouvent jias dans une position aussi
favorable que les habitans des Etats-Unis,
préparés à l'indépendance par la longue
jouissance d'une liberté constitutionnelle
peu limitée. Les dissensions intérieures
sont surtout à redouter dans des régions
où la civihsation n'a pas jeté des racines
très-profondes, et oiij par l'influence du
climat, les forets regagnent bientôt leur
empire sur les terres défrichées , mais
abandonnées à elles-nuhnes. Il est à
craindre aus^ï que, pendant une longue
suite d'années, aucun voyngenr étranger
ne puisse parcourir IViisemble des pro-
vinces que j'ai visitées. Cette circoiis-
ranoDccnooL 6i
tance ajoute peut-élrr à rinteiÀ d*«a
ouvrage qui présente Fctat de la
partie des colonies espagnoles an
menoement du dix - ncn^icme sicdci Je
me flatte méme^ en me lirrant a ds
idées plus douces y qull
d attention, lorsque ks
calmées, et que, sons Ilnfluence tfon
nouvel ordre sodal, ces pavs anraot £kit
des progrès rapides tos la proftpêritê
publique. Si alors qnd<pies pages de mon
livre survivent à Foubli , Fliabitant des
rives de TOrénoqiK et de F Atabapo verra
avec ravissement que des villes popnlenses
et commerçantes, que des cliamps labourés
par des mains libres occupent ces mêmes
lieux où, à Fépoqne de mon voyage,
on ne trouvoit que des forets impéné-
trables ou des terrains inondés.
VOYAGE
AUX RÉGIONS É0UINOXIALES
DU
NOUVEAU CONTINENT.
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER.
Préparatifs. — Instrumens. — Départ d'Es-
pagne, — Relâche aux îles Canaries.
IjOBSQtj'uw gouvernement ordonne une de
ces expédûions maritimes qui contribuent à
la connoissance exacte du j^iobe et à l'avaii-
cemenl des sciences physiques, rien ne s'op-
pose à l'exécution de ses desseins. L'époque
du départ et la direction du voyage peuvent
être fixées , dès que l'équipement des vaisseaux
est terminé et que l'on a choisi les astronomes
et les naturalistes destinés à parcourir des mers
incoaaues. Les îles et les cotes, dont ces
1
64 LIVRE I.
voyageurs se préparent à examiner les pro-
ductiuns, ne sont point soumises à l'influence
delà polilique européenne. S'il arrive que des
guerres prolongées entravent la liberté de
l'Océan , des passeports sont accordés niutuel-
leinent p^r les puissances beDigérantes ; les
haines particulières se luisent quand il s'aj^t
du progrès des Inniières, qui est la cause
commune de tous leSpoples.
Il n'en est pas de même lorsqu'un simple
particulier entreprend à ses frais un voyage
dans l'intérieur d'im continent sur lequel
l'Europe a étendu son système de coloni-
sation. Le voyageur a beau méditer un plan
qui lui paroîl convenable , et pour l'objet de
ses reehcrclies, et pour l'état politique 'les
contrées qu'il veut parcourir ; il a beau réunir
tous les moyens qui , loin de sa patrie , peuvent
lui assurer pour long-temps une existence
indépendante : souvent des obstacles imprévus
s'opposent à ses desseins au moment même
qu il croit pouvoir les mettre en exécution.
Peu de particuliers ont eu à combattre des
dllHcullés pins nombreuses que celles qui
se sont présentées à moi avant mon départ
pour l'Amérique espagnole; j'aurois préféré
CHAPITRE T. n *
ïkea point faire le récit, et coaunencer eciie
rdationparlevoyageàlacijiieilaPic leTibié'
riSe, siiues premiers projets manqaés a avoient
inflaé sensiblement sot la direction qiie |'â
donnée à mes courses depuis mon retonr 4e
rOréuoqoe. J'exposerai donc aree rapidité
ces événemens ipû n'offirent aacim iatêrét
pour les sciences, mais que je d^^sire pr<>«
senter dans lenr Trai jour. Comme li c:iriAîute
publique se porte songeât pfais we là per-
sonne des ▼ojageurs qne sar lenr^ ->»i^îrafr-î .
on a défiguré d'me manière etnRtçr^ "^
<pii a rappel aux premiers piaai#pe eA'-^&UA
tracés.
épnmTé, do ma première ^tmuciK :
^ Je dob faire ofaiervcr. a <i»t2e 'V^-ta^wo. tiu^ #e v <«
jasais e« cuvaniMUMCie ^asm ^nrrn^ *n !»t i^Aotu^.
qui a {lani cIukT^ÎIbct a Haini^mrT ¥inm ^ '.f/>
biiarre de Tova^ ^atuma èau jÊ0inttÊt « t;»rut .* Uti^ -
riqueméridinttfe. far A, 4&e Huniuucct ">»?:*( ^^«t ^>i ^
faite en bkmi hmi; a éaé n»di|K^ i vt te* i^/v
d'apiift des boôo» ykiiùjtfA iOLV- m:^ rvu'i^w.- »^
d'après des bk3MÔ«s jk^i ^ut '«. ai^, « ^ ^tmi*'.'*,
daiae de ITsstitarl. Le 'xj!nivlî«vtn.if »i^« I j;»^ ' <
tntkm dn pvUSe, « cm y^ja-v^nr a^tu»:? « ut "» v </^*
dans q n riiy i ^s fovlâe» di» M»r«<stit t^vtf.iu^iK m. '.ï. •
plus attrajasX de Vvi i:^ anni^ur fa ju^^uv^.
66 LIVRE I.
le désir ardent d'un voyage dans des régions
loiiilaiiies et peu visitées par les Européens. Ce
désir caractérise une époque de notre exis-
tence où la vie nous paroît comme un horizon
sans bornes , oii rien n'a plus d'attraits pour •
nous que les fortes agitations de lame et
l'image des dangers physiques. Elevé dans
un pays qui n'entretient aucune communi-
cation directe avec les colonies des deux
Indes , habitant ensuite des montagnes éloi-
gnées des eût s^ et célèbres par de nom-
breuses exploitations de mines , je senïis se
développer progressivement en moi une vive
passion pour la mer et pour de longues
navigalions. Les objets que nous ne connois-
sons qne par les récits animés des voyageurs,
ont nn clianne particulier : notre invagination
se plaît à tout ce qui est vague et indéfini;
les jouissances dont nous nous voyons privés
paroissent préférables à celles que nous
éprouvons journellement dans le cercle étroit
de la vie sédentaire. Le goût des herbori-
sations, l'étude de la géologie, une course
rapide faite en Hollande, en Angleterre et
enFrance ,avec un homme célèbre, M. George
Forster, qui avoit eu le bonheur d'accom-
GHAPITRB I. 67
pagner le capitaine Cook dans sa seconde
navigation auloar du globe^ contribuèrent
à doBnet une direction déterminée aait plans
de Toyages que j'avoia formés à Vêige de dix-
hait ans* Ce n'étoit plus le désir de l'agitation
et de la yie errante , c'étoit celui de voir dû
près une nature sauvage , majestueuse , et va-
riée dans ses productions } c'étoit Tespoif
de recueillir quelques faits utiles aux progrès
des sdences qni appeloient sans cesse mes
vœux vers ces belles régions sitnées sous la
2one torride* Ma position individuelle ne ma
permettant pas d'exécuter alors des projets
qui occupoient si vivement mon esprit ^ j'eus
le loisir de me préparer pendant six ans aux
observations que )e devois £iire dans la
aouveau continent ^ de parcourir différentes
parties de l'Europe , et d'étudier cette haute
dialne des Alpes , dont j'ai pu dans la suite
comparer la structure a celle des Andes de
Qnito et du Pérou. Comme je travaiilois
successivement avec des instrumens de diffé-
rentes constructions , je fixois mon choix sur
ceux qui me paroissoient à la fois les plus
précis et les moins sujets à se briser dans le
transport; j'eus occasion de répéter des
5*
68 l.ivKE r.
mesures qui avoient élé faites U'iiprès les
méthodes les plus rigoureuses, et j'appris à
connoitre par moi-même la limite des erreurs
auxquelles je pouvois être exposé.
J'avois traversé une partie de l'Italie en
179,5, mais je n'avois pu visiter les terrains
volcaniques de Naples et de la Sicile. Je
regrettois de quitter l'Europe avant d'avoir
TU le Vésuve , Stroiiiboli et l'Etna; je sentols
que, pour bien juger d'un grand nombre de
phénomènes géologiques , surtout de la nature
des roches de formation trapéenne, il falloit
avoir examine de prés les phénomènes
qu'offrent les volcans qui sont encore en
activité. Je me déterminai donc à retourner
en ItaUe au mois de novembre 1797. Je fis
un long séjour à Vienne, oii de superbes
collections de plantes exotiques et l'amitié de
MM.deJacquinetdeM.JosephVanderScholt
me furent si utiles pour mes études prépa-
ratoires; je parcourus, avec M. Léopold de
Buch qui , depuis , a puMié un excellent
ouvrage sur la Lapunie, plusieurs cantons
du pays de Salzbourg et de la Styrie, deux
contrées également intéressantes pour le
géologue et pour le peintre paysagiste : mais,
CHAPITRE I. 6g
au moment de passer les Alpes du Tyrol^ les
guerres qui agituieiit alors l'Italie entière
jne Ibrcèrent de reDoncer au projet d'aller
à Naples.
Peu de temps avant , un homme qui étoît
passionné pour les lieaux aris, et qui, pour
en observer les monumens , ^voit visité les
côtes de rili^rie et de la Grèce, m'avoit
proposé de l'accompagner dans un voyage de
la Haute-Egjpte. Celte excursion ne devoit
■ durer que huit mois : munis d'instrumens
astronomiques et accompagnés d'habiles des-
sinateurs , nous devions remonter le Nil jusqu'à
Assooan , en examinant en détail la partie du
Saïd comprise en Ire Ten ty ris et les Cataractes.
Quoique mes vues n'eussent pas été fixées
jusque là sur une région située hors des tro-
piques , je ne pouvois résister à la tentation
de visiter des contrées si célèbres dans les
. fastes de la ci\ilisalion humaine. J'acceptai
les propositions qui m'éloient faites , mais
sous la condition expresse que , de retour
,à Alexandrie, je resterois libre de continuer
seul mon voyage par la Syrie et la Palestine.
Je donnai dés-lors à mes études une direction
t\\ii étoit conforme à ce nouveau pro),ct,et
J
yt) LIVBE I.
dont j'ai profité dans l;i suite , en examinuiit
les rapports qu'offrent les monumens barbares
des Mexicains avec ceux des peuples de
l'ancien monde. Je me croyois liès-près du
moment où je m'einbarqiierois pour l'Êu-^ypte,
quand les événenicns politiques me firent
abandonner un plan qui me promettoit tant
de jouissances. La situation de l'Orient éloît
telle , qu'on simple particulier ne ponvoit
espérer de suivre des travaux qui , même dans
des temps plus paisibles , exposent souvent lu
voyageur à la méfiance desjifouvernemens.
On préparoit alors en France une expé-
dition de d(*couverles dans la mer du Sud ,
dont le commandement dcvoit être confié au
capitaine Baudin. Le premier plan qu'on avoit
tracé étoit grand , bardi , et digne d'êlre exé-
cuté par un cbf'f plus éclairé- L'expédition
devoit visiter les possessions espagnoles de
l'Amérique méridionale , depuis Tombouchure
du lîio de la Plata jusqu'au royaume de
Quito, et à f'istbme de Panama. Après avoir
parcouru l'Archipel du Grand - Océan et
reconnu les côtes de la Nouvelle-Hollande,
depuis la terre de Dienien jusqu'à celle de
NujtSj les deux corvettes dévoient relâcher
CHAl'ITBE I. 71
a Madagascar et revenir par le cap Je Boone-
Espérance, J'éloîs arrivé à Paris au iiiomeot
où l'on commencoit les préparatifs de ce
TOjage. J'avois peu de confiance dans le
caractère personnel du cypilaine Baudin , qui
avoit doniié des motifs de niécontenteiueot à
la cour de Vienne, lorsqu'U étoit chargé de
conduire au Brésil un de mes ainis, le jeune
botaniste M. Van dcr Schott : mais comme
je ne pouvois espérer de faire, par mes propres
moyens, un vojage aussi étendu, et de voir
une si belle parue du globe, je résolus de
courir les chances de celle expédition. J'oblîas
la permission de m'embarquer, avec les ins-
trumensque j'avois réunis, sur une des cor-
vettes destinées pour la mer du Sud , et je me
réservai la liberté de me séparer du capitaiue
Saudin lursque je le jugerois convenable.
M. Michaux, qui déjà avoit visité la Perse
el une partie de rAniérique septentrionale,
et M. Bonpiand, avec lequel je contractai les
liens qui nous ont unis depuis, étoieut des-
tinés à suivre celle expédition comme natu-
ralistes.
Je m'étois bercé pendant plusieurs mois
de l'idée de partager des travaux dirigés vers
^a LIVRE I.
lui but si grand et si honorable, lorsque la
guerre qui se ralluma eii Allemagne et eu
Italie délerinina le Gouvernement François à
retirer les fonds qu'il avoit accordés pour
ce voyage de découvertes, et à l'ajourner à
nu temps 'indéfini. Cruellement trompé dans
mes espérances, voyant se détruire en un seul
joui- les ])lans que j'avois formés pour plu-
sieurs années de ma lie , je clierchai, comme
au hasard , le raojen le plus prompt de
quitLer l'Europe, et de me jeter dans une
entreprise quipiit me consoler de la peine que
j'éprouvois.
Je fis la connoissance d'un consul de Suède,
M. Skicildebrand, qui, chargé par sa cour
de porter des présens au dey d'Alger, passoit
par Paris pour s'embarquer à Marseille. Cet
homme estimable avoit résidé long- temps
sur les côtes d'Afrique : comme il jouissoit
d'une considération parliculiéreprès du gou-
vernement d'Alger , il pouvoit me proearer
des facilités pour parcourir librement celte
partie de la chaîne de l'Allas qui n'avoil point
tic l'objet des intéressâmes recherches de
M. DcsfonLaines. 11 expédîoit annuellement
un bàliment pour Tunis, sur lequel s'enibar-
CUAPITItEI. JO
qooîent les pèlerins de la Mecque, et il me
promit de me faire passer, par la même voie,
en Enypte. Je n'hésitai pas un moment à
profiler d'une occasion sî favorable , et je me
croyoLS à la veille d'exécuter un plan que
j'avois formé avant mon arrivée en France.
Aucun minéralogiste n'avoit encore examiné
cette haute chaîne de montagnes qui, dans
l'empire de Maroc , s'élève jusqu'à la limite
des neiges perpétuelles. Je pouvois être sûr
qu'après avoir fait quelques travaux uliles
dans la région alpine de la Barbarie, j'cprou-
verois, en Egypte, de la part des savans
illustres qui se trouvoient depuis quelques
mois réunis dansl'InsliLutdu Caire, ces mêmes
marques d'intérêt dont j'avois été comblé
pendant mon séjour à Paris. Je comjilétai à
la hâte la collection d'instrumens que je
possédois, et je fis l'acquisition des ouvrages
qui avoient rapport aux pays que j'allois
visiter. Je me séparai d'un frère qui, par
ses conseils et par son exemple , avoit exercé
une grande influence sur la direction de mes
pensées II approuvoil les motifs qui me dcter-
iminoient à m'éloigner de l'Europe; une voix
secrète nous disoit que nous nous reverrions.
n
7i LIVRE I.
Cet espoir , qui n'a pas élé trompé , adou-
cissoit la douleur d'une longue sép;iration. Je
quittai Paris dans le dessein de m'embarquer
pour Alger et pour l'Egypte : et, par l'efièt
de ces vicissitudes qui tiennent à toutes les
choses de la vie, je revis mon frère en reve-
nant du fleuve des Amazones et du Pérou ,
sans avoir touché le continent de l'Afrique.
La frégate suédoise , qui devoit conduire
M, Skioldebrand à Alger, étoil attendue à
Marseille dans les derniers jours du mois d'oc-
tobre. Nous nous y rendîmes, M. Bonpland
et moi, vers cette époque , avec d'autant plus
de célérité que , pendant le voyage , nous
étions sans cesse agités de la crainte d'arriver
trop tard, et de manquer notre embarque-
ment. Nous ne prévoyions pas alors les
nouvelles contrariétés auxquelles nous nous
trouvâmes bientôt exposés.
M. Skioldebrand étoit aussi impatient qwe
nous d'arriver au lieu de sa destination. Nous
visitâmes plusieurs fois par jour la montagne
de Nolre-Dnme de la Gnrde , d'où l'on jouît
d'une vue étendue sur la Méditerranée. Chaque
Tode que l'on découvroît à l'horizon , nous
causoit une vive émotion : mais après deux
CHAPITnS t. jS
mois d'inqnîélndes el de vaines attentes, nous
apprîmes par les jonrnaux que la frégate
suédoise qui devoil nous conduire , avoit
beaucoup souflert dans une tempête snr les
côtes du Portugal, et que, pour se radouber,
elle avoit été forcée d'entrer dans le port
de Cadix. Des lettres particulières confir-
mèrent cette nouvelle, et nous donnèrent la
certitude que le Jaramas (c'étoit le nom de
la frégate) n'arriveroit pas à Marseille avant
le commencement du printemps.
Nous ne nous sentions pas le courage de
prolonger notre séjour en Provence jusqu'à
cette époque. Le pays , et surtout le climat,
nous paroissoient délicieux, mais l'aspect de
la mer nous rappeloit sans cesse nos projets
manques. Dans nne excursion que nous lîmes
à Hyères et à Toulon , nous trouvâmes dans
ce dernier port , appareillant pour l'ile de
Corse , la frégate la Boudausti , qui avoit été
eommandée par M. de Bougainviile dans son
voyage autour du monde. Cet illustre navi-
gateur m'avoit honoré d'une bienveillance
particulière pendant mon séjour à Paris ,
lorsque je me préparois à suivre l'expédition
du capitaine Baudin. Je ne saurois dépeindre
yG LIVRE r.
l'impression que me fit la vue tlu bâtiment
qui avoit conduit Commerson dans les îles de
la mer du Sud. 11 est des disposilions de l'ame
dans lesquelles un sentiment douloureux se
mêle à tout ce que nous éprouvons.
Nous peisislàmes toujours dans l'idée de
nous rendre sur les eûtes de l'Afrique , et
peu s'en fallut que celte persévérance ne nous
devînt funeste. Il y avoit, à cette époque,
dans le port de Marseille, un petit bâtiment
ragusois prêt à faire voile pour Tunis. II nous
parut avantageux de profiler d'une occasion
qui nous rapprochoit de l'Egypte et de la
Syrie. ]\ons convinmes avec le capitaine du
prix de notre passage : le départ fut fixé au
lendemain ; mais une circonstance peu impor-
tante en elle-même relarda heureusement ce
départ. Les animaux qui dévoient nous servir
de nourriture pendant la traversée , étoient
logés dans la grande chambre. Nous exigeâmes
que l'on fît quelques arrangemens indispen-
sables pour la commodité des voyageurs et
pour la sûreté de nos inslrumens. Pendant
cet intervalle, on fut informé à Marseille que
le gouvernement de Tunis scvissoit contre
les François établis en Barbarie, et que tous
CHAPITRB I. 77
!es individus venant d'un port de France
étoient jetés dans les cachots. Cette nouvelle
nous fît échapper à un danger imminent ;
nous nous vîmes forcés de suspendre l'exécu-
tion de nos projets^ et nous résolûmes de
passer Fhiver en Espagne^ dans l'espoir de
nous embarquer au printemps prochain ^ soit
à Carthagène , soit à Cadix y si Pétat politique
de rOrient le permettoit
Nous traversâmes le royaume de Valence
et la Catalogne pour nous rendre à Madrid.
Nous yisitâmes les ruines de Tarragone et
celles de l'ancienne Sagonte : nous fîmes de
Barcelone une excursion au Mont-Serrat',
dont les pics élancés sont habités par des her-
mites; et qui, par le contraste d'une végéta-
tion vigoureuse et de masses de rochers nus
et arides, oflFre un paysage d'un caractère
particulier. J'eus occasion de fixer, par des
moyens astronomiques , la position de plu-
sieurs points importans pour la géographie
* M. Guillaume de Ilumboldt, qui a parcouru toute
PEsps^e peu de temps après mon départ d'Europe , a
donné la description de ce si le dans les Èphéméridas
^^ographiques de Weimar, pour i8o3.
' ^8 I.IVRK I.
de l'Espagne'; je déterminai, à l'aide du
baromètre, la hauteur du plateau central",
et je fis quelques observalions sur l'inclinaison
' Ohx. attr. , T- I, Inlroduction , p. xkxï-isxtïj,
el J-.iv. I, p. 3-33. A cette époque, la latitude de
"Valence ^toit encore incertaine de plusieurs minutes.
Je IroiiTai pour U cathédrale ( que Tofino place par les
3a° 26' 3o") latitude, 39° a8' 42"; et longitude, o''
1 1' o",3. Quatre ans plus lard , le baron de ta Puehla et
M. Méehain ilitrent ce point par des hauteur» zéni-
titales prises aïec un cercle répétiteur, et par des
occultations d'iJtoiIes,à Sg" a8' ^f-^fi en latitude, et i
o"* 1 1' o",6 en longitude. A Murïiedro (l'ancienne Sa-
gontc ) , )e déterminai la position des ruines du temple
de Diane, ]^^ès du couvent des Trinitairea. Ces ruines
sont par les 3})' 'io'aG" de latitude, et les ù 10' 34" de
longitude.
" Vojez, ma Notice sur la ctrafiguration du sol de
l'Espagne, dans l'Itinéraire du M. de La Borde, T. I,
p. cxLvii. D'après M. Banza, la hauteur mojenne du
Baromètre, à Madrid, est de 26 pouces a/i lignes,
d'où .résulte, selon la fui-mnle de 1M. LaPlacectle
uuuvcau cocfljcicni de M. Rauiond, que la capitale de
l'Espafjne est éleTée de 3oçj toises ( (k)3 '" ) au-dessus
du niveau de l'Océan. Ce résultat s'accorde assez bien
avec celui qu'a obtenu Don Jorgo Ju;in, et que M. de
Lalaude a publié, et d'après lequel la hauteur de
Madrit! an-di-'sus du niveau de Paris est de ayV toises.
CHAPITRE I, 79
de l'aiguille aimantée et sur l'inlensité des
forces magnétiques. Les résultats de ces obser-
Tations ont été publiés séparément, et je n'en-
trerai dans aucim détail sur l'histoire physique
d'un pays dans lequel je n'ai séjourné que six
mois , et qui, récemment, a été parcouru par
tant de voyageurs instruits.
Arrivé à Madrid , j'eus bientôt occasion de
me féliciter de la résolution que nous avions
prise de visiter ta péninsule. Le baron de
Forell , ministre de la cour de Saxe prcs de
celle d'Elspagne , me témoigna une amitié qui
me devint infiniment utile. Il rénnissoit des
ïrannoissances étendues eu minéralogie à l'in-
térêt le plus pur pour des entreprises propres
à favoriser le progros des lumières. Il me fit
entrevoir que , sous l'administration d'un
^JUém, de l'Acad-, 177(1, p. i43.) La montagne la
plus élevée iIr tou(c la péninsule n'est pas le Mont-
Perdu, comme on l'a cru jusqu'ici, mais le Mulahacen
qui fait partie de la Sierra Nevada de Grenade. Ce Pic,
d'aprfes le nivellement géodêsique de Don Clémente
Boxas, a i8ai toises de hauteur absolue, tandis que
le Mont-Perdu, dans les Pyrénées, n'a que 1^63 toise».
Près .du Mulahacen se lrou\e situé le Pico de Felela
élevé àe i;8i toises.
m
8o LIVRE I.
niiiiislre éclairé , le chevalier Don Muiùano
Luis de Urquijo, je pouvois espérer d'obteoir
la permission de visiler à mes Irais riiitcrieur
de l'Amérique espagnole. Après toutes les
contrariétés que je venois d'éprouver , je n'hé-
sitai pas un instant de suivre cette idée.
Je lus présenté à la cour d'Aranjuez, au
mois de mars 1799- Le roi daigna ni'accueillir
avec bonté. Je lui exposai les motifs qui m'en-
gageoient à entreprendre un voyage au nou-
veau continent et aux îles Philippines, et je
présentai un mémoire sur cet objet à la secré-
t;iîrerie d'état. Le chevalier d'Urquijo appuya
ma demande, et parvint à aplanir tous les
obstacles. Le procédé de ce ministre fut d'au-
tant plus généreux que je n'avois aucune
liaison personnelle avec lui. Le zèle qu'il a
constamment montré pour l'exécution de mes
projets, n'avoit d'autre motif que son amour
pour les sciences. C'est à la fois un devoir et
une satisfaction pour moi de consigner dans
cet ouvrage le souvenir des services qu'il m'a
rendus.
J'obtins deux passeports, l'un dn premier
secrétaire d'état, l'autre du conseil des Indes.
Jamais permission plus étendue n'avoit été
chapitae t. 8ï
accordée à un voyagRur ; jamais étranger
n'avoil été honoré de plus de confiance de la
part du gouvernement espagnol. Pour dis-
siper tons les doutes que les vice-rois ou les
capitaines généraux , représentant l'autorilé
royîile en Auiérique, pourroient élever sur
la nature de mes travaux , le passeport de la
primera secretaria de estado portoit « que
n j'étois autorisé à me servir librement de
« mes inslrumens de plijsiqueel de géodésie;
« que je pouvoîs faire, dans toutes les pos-
« sessions espagnoles, des observations aslro-
« noniiques ; mesurer la hauteur des inon-
II tagnes; recueillirles productions du sol, et
« exécuter toutes les opérations que je juge-
1 rois utiles à l'avancement des sciences". ■>
' Ordena S. M. a ioa capitnnea gmeriileg , coman-
dante»,gobtrnadores,yntendi-ntes, c-rregidaresy demaa
juaticins no impidan porningun motivola coït /ucc'on de
lo» irutrumetilos de fiiica , qui mica , antronomia y
matemnlican , ni el kacer en lodas lus potseasionea
ultramarinaa la-: observaciones y experimcntos qu«
juBgue utiles , como tampoco el coUclar librement*
plantas, animâtes, semillas y minerutes, medir la,
altura de las monCes , examinnr la naluraleza de estas j
hacer observaciones astronomicai y desciibrimentos
uUlea para el progressa d» tas ciencias ; pues par et
1. 6
s? LI\RE I.
Ces ordres de la cour ont été strictement
suivis, même après les événemens qui ont
forcé M. d'Urquijo de quitter le minislère.
De mon colé j'ai tSché de répondre à des
marques d'un intérêt si consl.int. J';ii pré-
senté, pendant mon séjour en Amérique, aux
gouverneurs des provinces, la copie des ma-
lérianx que j'avois recueillis et qui pouvoient
intéresser la métropole en répandanl quelque
lumière sur la géographie et la statistique des
colonies. Conformément à l'offre que j'en
avois faite avant mon départ , j'ai adressé plu-
sieurs collections géologiques au Cabinet
d'histoire naturelle de Madrid. Comme le but
de notre voyage étoit purement scientifique,
nous avons réussi, M. Bonpland et moi, à
nous concilier à la fois la bienveillance des
colons et celle des Européens chargés de
l'administration de ces vastes contrées. Pen-
dant les cinq ans que nous avons parcouru le
nouveau continent, nous n'avons pas aperçu
le moindre signe de défiance. Il m'est doux
contrario quiere elRey que todas las personas a quienei
correiponda , den al B. de Hamholdt todo el favor,
auxilio y prolecciun que nécessite. { De Aranjueî , j de
maya 1799- )
CHAPITRE I. 83
de rappeler id, qu'au milieu des privations
les plus pénibles » et luttant contre des obsta*
des qui naissent de l'état sauvage de ces pays,
nous n'avons jamais eu à nous plaindre de
Tin justice des hommes.
Plusieurs considérations auroient dû nous
engager à prolonger notre séjour en Espagne.
L'abbé Gavanilies, aussi remarquable par la
variété de ses connoissances que par la finesse
de son esprit, M. Née, qui, conjointement
avec M. Hœnke , avoit sdivi conmie botaniste
l'expédition de Malaspina , et qui lui seul a
formé un de plus grands herbiers que Ton ait
jamais vus en Europe, Don Casimir Ortega^
l'abbé Pourret, et les savans auteurs de la
Flore du Pérou, MM. Ruiz et Pavon, nous
ouvrirent sans réserve leurs riches collections.
I^ous examinâmes une partie des plantes du
Mexique, découvertes par MM. Sesse, Mo-
dno et Cervantes, et dont les dessins avoient
été envoyés au Muséum d'histoire naturelle
de Madrid. Ce grand étabhssement , dont la
direction étoit confiée à M. Clavijo, auteur
d'une élégante traduction des ouvrages de
Bafibn, ne nous offiit , il est vrai , aucune suite
géologique des Cordillères; mais M. Proust ^
6*
84 LIVRE I,
si connu p:ir l'extrême précision de ses tra-
vaux ' Iiiiiiiqiies , et un niinéralui^isle distingué,
M. Ilergin, iujus donnèrent des rensei^ne-
mens curieux sur plusieurs substances miné-
rales de l'Amérique. Ilauroitété utile pour
nous détudier plus lon^- temps les produc-
tions des pajs qui dévoient être le but de nos
recherches, muis nous étions trop impatiens
de profiter de la permission que la cour venoit
de nous accorder pour retarder notre départ.
Depuis un an j'avois éprouvé tant de diffi-
cultés que j'eus de la peine à me persuader
que mes vœux les plus ardens scroient enfin
remplis.
INous quittâmes Madrid vers le miheu du
mois de mai. Nous traversâmes une partie de
la vieille Castille, le royaume de Léon et la
Galice, et nous nous rendîmes à la Gorogne,
où nous devions nous embarquer pour l'île
de Cuba. L'hiver ayant élé très-rude et très-
prolongé, nous jouîmes pendant le voyage
de cette douce lernpérature du printemps
qui, sous une latitude sî méridionale, n'ap-
partient ordinairement qu'aux mois de mars
et d'avril. Les neiges couvroient encore les
hautes cioies granitiques de la Guadarama;
CHAPfTRE I. 85
mais dans les yallées profondes de la Galice
qui rappellent les sites les plus pittoresques
de la Suisse èi du Tyrol , des Cistes chargés
de fleurs, et des bruyères arborescentes tajMS-
soient tous les roch rs. On quitte sans regret
le plateau des Gislilles, qui presque partout
est dénué de végétation , et sur lequel on
éprouve un froid assez rigoureux en hiver ,
et une chaleur accablante en été. D'après les
observations peu nombreuses que j'ai pu faire
par moi-même ; l'intérieur de FEspagne forme
une vaste plaine qui, âevée de trois eents
toises ( 584 '"•) au-dessus du niveau de l'Océan ,
est couverte de formations secondaires , de
grès, de gypse, de sel gemme et de la pierre
calcaire du Jura. Le climat des Castilles est
beaucoup plus froid que celui de Toulon et
Gènes; car sa température moyenne s'élève à
peine à i5^ du thermomètre centigrade '. On
' Cbaqut fois que, dans cet ouyrage y le contraire
n'est pas expressément indiqué ,. les variations de la
température sont exprimées d'après Téclielle centi-
grade du thermomètre à mercure; mais ^ pour éviter
ks erreurs qui peuvent naître des véduclions des difiEè-
rentes^ échelles et de la suppression fréquente des
fractions décimales , j'ai fait imprimer les observations
86 LIVRE T.
est étonné de voir que, sons la kttitudedéla
Galabre, de la Thessàlie et de TAsîe mineure ,
les Orangers ne viennent point en plein air*.
Le plateau central est entouré d'une zone
basse et étroite, où végètent, sur plusieurs
points, sans souffrir des rigueurs de l'hiver ,
le Ghamserops , le Dattier , la Canne à sucre ,
le Bananier et beaucoup de plantes conomunes
à FEspagne et à l'Afrique septentrionale. Sous
les 56 à 4o degrés de latitude , la température
moyenne de cette zone est de 17 à 20 degrés ;
et, par une réunion de circonstances qu'il
seroitlrop long de développer ici, cette région
heureuse est devenue le siège principal de l'in-
dustrie et de la culture intellectuelle.
partielles telles qae les a données rinstrument dont je
me suis servi. J'ai cru devoir suivre , sous ce rapport ,
la marche adoptée par l'illustre auteur de la Base du
Système métrique,
^ Comme dans le cours de cette Relation historique
il est souvent question de l'influence de la température
moyenne sur le développement de la végétation et le&
produits de l'agriculture j il sera utile de consigner ici
les données suivantes, fondées sur des observations
précises et propres à fournir des termes de compa^
raison. J'ai ajouté un astérisque aux noms des villes
dont le climat est singulièrement modifié ^ soit par leur
s?
des bonbdeli
plaines de 11
reooDiiQ&ie iort
ks
V
Pi
UpsaL
Berlia.
Paris.
llarseillc....
Toaloa*....
A<mc ••••.•
Kaplcs
Madrid. ....
Meûco*
Term-Gru ♦. .
Éqaatear as
nÏTeaa de
IXkéui....
Q ito*......
r nliiili rT«iB9.aaf.|
63F59'
^.T
5^56
s-j»
5^5t-
5*^
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o* i4'
i5*,o
%
^
i»
^T
ttMlc«r»3s6
( GaillMMe de HwaboMt ).
Haatcar» 6o5^
Haatcar, 0277 «•
G^e aride. SaUes.
Haatear, a^oS»*
Celte tabk diffère légèrement de celle que j*ai donnée
dans rintroducûon de la ChimU (U Thomson j T. I ,
p. 99 , et qui n'a pas été constraile sur des obserTalions
également préois<^ .
ao LIVRE T.
des eacarpemens prolongés, l'ancienne côle
de la péninsule. Ce phénomène curieux rap-
pelle les traditioDs des Samolhraces, et d'autres
témoignages historiques, d'après lesquels on
suppose que l'irruption des eaux par les Dar-
danelles, en a:^randissant le bassin de la Mé-
diterranée, a déchiré et englouti la partie
australe de l'Europe. Si l'on admet que ces
traditions doivent leur origine, non à de
simples rêveries géologiques, mais au sou-
venir d'une ancienne catastrophe, on voit le
plateau central de l'Espagne résister aux effets
de ces grandes inondations, jusqu'à ce que
l'écoulement des eaux par le détroit, formé
entre les colon rtes d'Hercule, ait fait baisser
progressivement le niveau de la Méditer-
ranée, et reparoître, au-dessus de sa sur-
face , d'un côté la Basse-Êgypie, et de l'autre
les plaines fertiles de Tarragone , de Valence
et de Murcie. Tout ce qui lient à la for-
mation de celte mer ' , dont l'existence a
' Diodor. Sicul., éd. PP'esselmg. Ainstelodam.,\jfiG,
tib. IV, C. xviii, p. 33Î. Ub. V, C. xLvii, p. 36g.
Dionyx. Hnlirarn. , éd. Oxon,, i^o^i, Lih.I , C. i,xi,
p. 49. Aristat. 0pp. amn. ,ed. Casaitb. Lugdun., iSgo.
Meteorolog., Lib. I,C. xrv, ï. I, p. 336. H.Straùo
CHAPITBE I. 8g
influé si puissamment sur la première civi-
lisation de l'espèce humaine , ofîre un intérêt
particulier. On pourroit croire que l'Es-
pagne, formant un promontoire au milieu
des mers , a dû sa conservation pL^-sique à la
Geo^. , ad. TJiomaa Falconer. Oxon. i8o7,T. I, p. 76
cl 83. ( Tournefort, f^oyoge nu Levant, p, 1 a'i. Pollas,
f^oyage en Rmsie , T. V, p. lyS. Choiseiil-Gouffier ,
Voyage pittoresque, T. tl, p. 116. Dtireau de la
SfalU, Géographie physique de la mer ?^oire,'p. 1S7,
I9Get34i. Olifier, Foyage en Perse , T. III, p. l5o.
Sleiners iiberdie yersrhiedenheiten der Hfensckenna-
turen, p. 118). Parmi les géographes anciens, les
ans , comme Straton , Eratoslhèucs cl Siraboii, pun-
■oiest qtie la Méditerranée , enflée par les caiix du
Pont-Eiiiin, lies Palus Méotidcs, lie la mer Caspienne
et du lac Aral , avoit lirisé les colonnes d'Hercule ;
les autres, comme Pomponius Mcla , admetloient que
l'imiplion s'étoit faite par les eaux de l'Océan. Dans
la première de ces li jpollièses . la hauteur du sol entre
la mer Noire et la Paltique, et entre les ports de
Cette et de Bordeaux , détermine la liniile que raccu-
□mlation des eaux, peut aroir atteinle avant la réunion
de Li mer Noire, de la Méditfrranée el de l'Océan,
t4Dtaunord des Dardanelles qu'à l'est de celle langue
de terre qui unissoit jadis l'Europe à la Mauritanie,
et dont, du temps de Strahon, il existoit encore des
vestiges dans les iles de luaon et de la Lime.
go LIVRE I.
hauteur de son sol; mais, pour donner du
poids à ces idées systématiques , il faudroit
éclaircir les doutes qu'on a élevés sur la
rupture de tant de digues transversales; il
faudroit discuter la probabilité que la Mé-
diterranée ait été divisée jadis en plusieurs
bassins séparés, dontla Sicile et l'île deCandie
paroissent marquer les anciennes limites.
Nous ne hasarderons pas ici de résoudre ces
]>roblèmes, et nous nous contenterons d'ap-
peler ratlenlion sur le contraste frappant
qu'offre la configuration du sol dans les extré-
mités orientales et occidentales de l'Europe.
Entre la Baltique et la mer Noire , le terrain
est aujourd'hui à peine élevé de 5o toises îiu-
dessus du ni\eau de l'Océan, tandis que le
plateau de laMancLc, placé entre les sources
du Niémen et du Borysthène , ilgureroit
comme un groupe de montagnes d'une hau-
teur considérable. S'il est intéressant de rap-
peler les causes qui peuvent avoir changé la
surlace de noire planète, il est plussùr de s'oc-
cuper des phénomiines tels qu'ils se présentent
aux mesures et à l'observation du physicien.
D'AsIorga à la Corogne, surtout depuis
Lugo , les montagnes s'élèvent graduellement.
CHAPITRE I. gi
!Les formalions secondaires disparoissentpeti
à peu, et les roches de transilion qui leur
succèdent aanoiicent la proximité des terrains
primitifs. Nous trouvâmes des moiitag'nes
considérables composées de ce grès ancien,
que les minéralogistes de l'Ecole de Freiberg
désignent par les noms de Grauwakke et de
Grauwakkenschiefer. J'ignore si celte for-
mation, qui n'est pas fréquente dans le midi
de l'Europe, a déjà été découverte dans
quelque autre partie de l'Espagne. Des frag-
mens anguleux de pierre Ij^dique cpars dans
les vallées sembloient nous annoncer que
le cliîste de transition sert de base aux coucbes
de Grauwalïke. Près de la Corogne même
s'élèvent des cimes granitiques qui se pro-
longent jusqu'au cap Ortegal. Ces granils,
qui paroissent avoir été contigus jadis à ceux
de ta Bretagne et de Gornouaille , sont peut-
être les débris d'une chaîne de montagnes
détruites et subnit;rgées par les flols. Degrands
et beaux cristaux de feldspath caractérisent
celle roche : la mine d'ctain commune s'y
trouve disséminée , et devient , pour les
liabitans de la Galice, l'objet d'une exploi-
tation pénible et peu lucrative.
%
9 s LimE î.
Arrivés à la Coro^ne , nous trouvâmes
ce port bloqué par deux frégates et un vais-
seau anglois. Ces bâtiuiens éloient destinés
à interrompre la communication entre la
métropole el les colonies de l'Amérique ; car
c'est delà Corogne, et non de Cadix, que
partoient, à cette époque, tous les mois,
un paquet-bot (^correo maritimo) pour la
Havane, et tous les deux mois un autre pour
Buenos-Ayrcs, ou l'einhouchure du Rio de
la Plata. Je donnerai dans la suite une notion
exacte de l'étal des postes dans le nouveau
conlinent. Il suffit de remarquer ici que,
depuis le minislère du comte Florida-Blanca ,
le service des courriers de terre a été si bien
organisé, que par eux seuls un habitant du
Paraguay ou de la province de Jaen de
Bracanioros' peut correspondre assez régu-
lièrement avec un habitant du Nouveau-
Mexique ou des côtes de la Nouveile-Cah-
fornie, sur une distance égale à celle qu'il y
a de Paris à Siam, ou de Vienne au cap
de Bonne-Espérance. De même, une lettre
conlice à la poste , dans une petite ville
' Sur les rives du l'.Viiiazoae.
chapithe i. gS
de l'Aragon, arrive au Chili ou dans les
missîuns de l'Orénoqne , pourvu qu'on in-
dique , d'une manière bien prérise, le nom
du coregùuiento ou district qui comprend le
village} indien auquel celle lellre doil par-
venir. On se plaît à rappeler des instiHilions
que l'on peut regarder conmie un des plus
grands bienfaits de la eivilisation moderne.
L'établissement des courriers maritimes et
celui des courriers de l'inlcrieur ont mis les
colonies dans une relation plus intime entre
elles et avec la mère-patrie. La circulation des
idées est devenue plus rayiide; les phiintes
des colons se sont fait entendre plus faci-
lement en Europe, et l'autorité suprême a
réussi quelquefois à réprimer des vexalions
qui, par l'éloignement des lieux, lui seroient
restées à jamais inconiiues.
Le ministre , premier secrétaire d'état,
nous avoit recommandés Lrès-particulièrenient
au brigadier Don Rafaël Clavijo qui depuis
peu étoit chargé de la direction générale
des courriers maritimes. Cet officier, avan-
tageusement connu par son talent pour la
construction des vaisseaux, étoit occupé à
établir de nouveaux chantiers à la Corogne.
n
g/i Livr.E r.
Il ne négligea rien pour nous rendre ngréablc
le séjour que nous fimes dans ce port, et il
nous conseilla de nous embarquer sur la
corvette ' le Pizarro, qui étoit destinée pour
la Havane et le Mexique. CebAlimenl, chargé
de la correspondance du mois de juin , devoit
l'aire voile conjointement avec XAlctidia, le
paquet-bot du mois de mai, qui, à cause
du blocus, étoit depuis trois semaines retenu
dans le port. Le Pizarro n'étoit pas réputé
grand marcheur ; mais , favorisé par un
hasard heureux, il avoit échappé à la pour-
suite des bàtimens anglois, dans la longue
navigation qu'il venoit d'exucuter du Kio de
la Plata à la Corogne. M. Clavijo ordouna
qu'on lit, à bord de cette corvette, les arran-
gemens convenables pour placer nos instru-
mens, et pour nous facilifer les mo}'ens de
tenter , pendant la traversée , des expériences
chimiques sur l'air. Le capitaine du Pizarro
reçut ordre de s'arrêter à Ténériffe , le temps
que nous jugerions nécessaire pour visiter le
port de rOrotava, et pour monter à la cime
du Pic.
' D'oprès la terminologie espagnole, le Pizano
étoit une frégate légère {fragata tijera).
Noos n'eAmesà attendre notre eiiMi rq nC'>
ment qae dix jours, et et délai noos parai
encore bietf long. Noos nous occupâmes^
pendant cet intervalle , à prépara les planics
recueillies dans les bdies vallées de la Giilice^
qu'aucun naturaliste n'avoit encore visitées:
nous examinâmes les fiicos et les mollusques
que la grosse mer du Nord-Ouest jette abon*
damment au pied du rocjier escarpé sur lequel
est construite la vigie de la Tour d'Hercule.
Cette tour , appelée aussi la Tour de Fer,
a été restaurée en 1788. Sa hauteur est de
quatre-vingt-douze pieds : ses murs ont quatre
pieds et demi d'épaisseur^ et sa construction
prouve incontestablement qu'elle est Pou*
vrage des Romains. Une inscription trouvée
près de ses fondemens , et dont je dois la
copie à l'obligeance de M. de Laborde , nous
apprend que ce phare a été construit par
Gains Sevius ' Lupus , architecte de la fille
SAquaflmia (Gbaves), et qu'A ctoil d^dié
à Blars. Pourquoi la Tour de Fer pf^rit^tiU!^
dans ce pajs le nom dHercole? Le% hfptMif^f^
Fauroient'ib bâtie sur les rainer d^nf§ é4Hî^j^
grec ou phéniden? StrabcM âlSnMre» ^4
tpt la Galice^ k f^j% de» Gdbm^ «9^
fib LIVRE I.
été peuplée pardes colonies tjreeqnes. D'après
une notice tirée de la s^éoj^r;iphie d'Espagne
d'Âsclépiades le Mvrléen , une tradition an-
tique portoit que les cunipagnoiis d'Hercule
s'étoient établis d;ins ces contrées ".
Je fis les observations nécessaires pour
constater la marche du garde-temps de Louis
Berthoud, et je vis avec satisfaction qu'il
n'avoil pus changé son retard diurne , malgré
les secousses auxquelles il avoit été exposé
pendant le trajet de Madrid à la Corogne.
Cette circonstance étoil d'autant plus impor-
tante , qu'il existoit beaucoup d'incertitude
SUT- la véritable longitude du Ferrol , ville
dont le centre se trouve de lo' 20" à l'est
de la Tuui" d'Hercule de la Corogne. Une
occulLilion d'Aldebaran , et une longue ?*uita
d'pclip'ics de satellites de Jupiter, observées
par l'amiral Mazarredo et calculées par Mé-
chain, sembloient prouver que, dans l'Atlas
' Slraho , erf. C'innuh. Lut?t. /■'(ïr., i6so, Lib. III,
p. lây. Les Phéniciens et les Grecs visîtoient les
côtes (le la Galice ( Gallœria) , à cause du commerce
de l'élain qu'ils tiroient de ce paj's comme des
îles Cissit-rldcs. Straho , Lib. III, p. 147. PIm.,
Lib. XXXIV, Cap. XVI.
CHAPITRE I. 97
maritime de Tofino , qui est d'ailleurs si
exact pour l'indication des distances par-
tielles, les positions absolues de la Corogae
et du Ferrot étoicnt fausses de deux à trois
lieues marines. Mon garde-temps ajouta à ces
doutes en déposant contre les opérations de
Tofino. Je trouvai' l'observatoire de la ma-
rine du Fcrrol, de o''/|.2' ai''' à l'ouest de
Paris. La moyenne de toutes les observa-
lions faites par des astronomes espagnols,
et publiées récemment par M. Espinosa ,
donne o''4i' 2i",ïj. J'ai déjà fait observer
ailleurs que, beaucoup d'expédilions étant
sorties de ce dernier port , la fausse position
qui lui a été attribuée, a influé désavanta-
geusement sur les lougiludes de plusieurs
' Obsev. antron. , Introd. , p. xxxvi, Tom, I,
p. 24 et 33, Etpinosa , Memoi-ias sobre las observa-
cionea astron. hechas por Ion navegantes eapano-
Uè , 1809, Tom. I, p. a,1. Si l'on suppose que
inon chronomètre n'a pas augmenté son retard
diurne pendnnt le vojage tie Madiiil à la Corogne ,
ce qni seroil conlraire aux es|iénences directes
faites à Marseille, la longitude du Ferrol sera encore
de a3" en temps plus grande que celle à laquelle
s'est arrêté M. ToCno.
ï- 7
gS LIVRE I.
villes de l'Amérique, déterminées, non par
des observations absolues, mais par le seul
transport du temps. Les montres marines, toul
en étendant la masse de nos connoissances
géographiques, contribnent souvent à pro-
pager l'erreur dont est affectée la longitude
du point de départ, parce qu'elles rendent
dépendant de ce seul point le gisement des
côtes dans les régions les plus éloignées.
Le port du Ferrol et celui de la Corogne
communiquent avec une même baie , de sorte
qu'un bâtiment qui, par un mauvais temps,
est chargé sur la terre , peut mouiller dans
l'un ou l'autre de ces ports, selon que le
vent le lui permet. Cet avantage est inappré-
ciable dans les parages où la mer est presque
constamment grosse et houleuse , coramfr
entre le cap Oricgal et le cap Finistère qai
sont les promontoires Trileucum et Arta-
brum ' des géographes anciens. Un canal
étroit, bordé de rochers granitiques conpés
à pic, conduit au vaste bassin du Ferrol.
L'Europe entière n'offre pas un mouillage
■ Plolérace cite le port des Artabres: Geogr, ,
I,ib, 11 , Cap. VI. ( Berlii Theatr. geojp-aph. vett
AmsUL, iGi8, p. 5'i.)
CHAPITRE I. ^
si extraordinaire > sous le rapport de sa posi--
lion avancée dans l!intérieur des terres. On
diroit que cette passe étroite et tortueuse,
par laquelle les vaisseaux entrent dans le port,
a été ouverte 9 soit par l'irruption des flots,
soit par les secousses répétées deè tremble--
mens de terre les plus violens. Dans le nou-
veau monde 9 sur les côtes de la Nouvelle-
Andalousie , la Laguna del Obispo y lac de
VEs^que y offre exactement la même form«
que le port du Ferrol. Les phénomènes
géologiques les plus curieux se trouvent ré*
pétés à de grandes distances sur la surface
des continens; et les physiciens qui ont ea
occasion d'examiner diverses parties du globe^
sont frappés de la ressemblance extrême que
Ton observe dans le déchirement des cotes,
dans les sinuosités des vallées, dans Taspect
des montagnes , et dans leur distribution par
groupes. Le concours accidentel des mêmes
causes a dû produire partout les mêmes
effets ; et, au milieu de cette variété que
présente la nature , une analogie de stmcloM
et de formes s'observe dans rarrangemeal
des matières brutes comme dans roKaniseliOft
intérieure des plautes et des ammf^ ffy^
7"
lOO LIVRE I.
Pendant la traversée de la CorogTie au
Ferrol, sur un bas-l'oiid, près du Signal
blanc , dans Ja haie qui , selon d'Anville , est
le Poi-tus magnus des anciens, nous finies,
au moyen d'une sonde thennométrique à
soupapes, "quelques expériences snr la tem-
pérature de l'Océan el sur le décroîssement
du calorique dans les couches d'eau super-
posées les unes aux autres. L'instrument
montra, sur le banc, à la surface, i2°,5 à
i3'',5 centigrades ; tandis que, partout ailleurs
où la mer éloit très-proibnde , le thermo-
mètre marquoit jÔ" ou i5",3, l'air étant à
i2",8. Le célèbre Frankhn el M. Jonathan
Williams, auteur de l'ouvrage qui a paru à
Philadelphie , sous le titre de JSavigatioii ther-
momctrique, ont fixé les premiers l'attention
des physiciens sur les phénomènes qu'offr^
la température de l'Océan, au-dessus des
bas-fonds et dans celte zone d'eaux chaudes
el courantes, qui, depuis le g'olfe du Mexique,
se porte au banc de Terre-Neuve et aux
eûtes septentrionales de l'Europe. L'obser-
valion, que la proximité d'un banc de sable
esl indiquée par un abaissement r;ipide de la
température de la mer à sa surface, n'intéresse
HAPITRE I. lOl
pas seulement la physique, elle peol ausâ
devenir très -importante pour la sûreté de
la navigation. L'usage du thermomètre ne
doit certainement pas £aire négliger celui de
la sonde ; mais des expériences que je citerai
dans le cours de cette Relation, prouvent
suffisamment que des variations de tempé-
rature y sensibles pour les instrumens les plus
imparfaits , annoncent le danger, long-temps
avant que le vaisseau se trouve sur les hauts-
fonds. Dans ce cas , le refroidissement de l'eau
peut' engager le pilote à jeter la sonde dans
des parages où il se croyoil dans la plus par-
faite sécurité. Nous examinerons, dans un
autre endroit, les causes physiques de ces
phénomènes compliqués ; il suffit de rappeler
ici que les eaux qui couvrent les hauts-fonds ,
doivent en grande partie la diminution de leur
température à leur mélange avec les couches
d'eau inférieures qui remoutent vers la suc-
£aice sur les acores des bancs.
Une grosse mer du nord-ouest nous em-
pêcha de continuer, dans la baie du Ferrol^
nos expériences sur la température de l'Océan.
lia grande élévation des lames étoit l'effet
4'un vent impétueux qui avoit soufflé au
102 T-IVUE I.
large , et par lequel les vaisseaux anglois
avoient été forcés de s'éloigner de la côte.
On voulut profiter de cette occasion pour
mettre dehors ; on embarqua sur-le-champ
nos înstruniens , nos livres et le reste de nos
effets ; mais le vent d'ouest , qui fraîchit de
plus en plus , ne nous permit pas de lever
l'ancre. Nous profilâmes de ce délai pour
écrire à nos amis en Allemagne et en France.
Le moment où , pour la première fois , on
quitte l'Europe, a quelque chose d'imposant.
On a beau se rappeler de la fréquence des
communications entre les deux mondes , on a
beau réfléchir sur l'extrême facilité avec
laquelle , par le perfectionnement de la navi-
gation , on traverse l'Atlantique, qui, com-
parée au Grand-Océan , n'est qu'un bras de
mer de peu de largeur; le sentiment qu'on
éprouve en entreprenant un premier voyage
de long cours n'en est pas moins accompngné
d'une émotion profonde. Il ne ressemble à au-
cunedes impressions que nous avons reçues dès
notre première jeunesse. Séparés des objets
de nos plus chères affections, enirant pour
Wnsi dire dans une vie nouvelle , nous sommes
forcés de nous replier sur nous-mêmes , et
loas nous tfonraDS dans on isolement ipie
nous n'avions îanuis connu.
Parmi les lettres que j'écrim, an moment
de notre embarquement, il j en ent une dont
Finfloence a été très-grande sor la direction
de nos voyages et sur les travanx auxquels
nous nous sommes livrés dans la suite, honffoe
je quittai Paris dans le dessein de me rendre
sur les côtes d'Afrique , Texpédition de déoon-
vertes dans la mer du Sud sembloit ajournée
pour plusieurs années» J'étois convenu avec
le capitaine Baudin que ^ contre son attente ,
son voyage avoil lieu à une époque plus
rapprochée, et que la nouvelle put m en
parvenir à temps, je tâcherois de passer
d'Alger à un port de France ou d'Espagne
pour rejoindre l'expédition. Je réitérai cette
promesse en partant pour le nouveau conti-
nent. J'écrivis à M. Baudin que si le Gouver-
nement persistoit à lui faire prendre la route
du cap de Hom , je cfaercherois les mojçns
de le trouver , soit à Monte-Video , soit au
Chili , soit à Lima , partout où il relâcheroit
dans les colonies espagnoles. Fidèle à cet
engagement y j'ai ^changé le plan de mon
voyage dès que les journaux américaias ont
annoncé, en 1801 , que l'expédition françoîsc
étoil sortie du Havre pour faire le tour du
globe de l'est à l'ouest. J'ai frété mie petite
embarcadon pour me rendre du Batabano
dans l'île de Cuba à Porlobelo , et de là ,
en traversant l'isthme , :iux côtes de la mer
du Sud. L'erreur d'un journaliste nous a fait
faire, à M. Bonpland et à moi, un chemin
de plus de huit cents lieues dans un pays que
nous n'avions pas le projet de traverser. Ce
/^'estqu'àQuito,c[u'uneJettredeM.Delambre,
secrétaire perpétuel de la première classe de
l'Institut , nous apprit qne le capitaine Baudin
prenoitia route du cap de Bonne-Espérance,
sans toucher les cotes orientales ou occiden-
tales de l'Amérique. Je ne me rappelle pas
sans regret une expédition qui est liée à
plusieurs événemens de ma vie , et dont l'his-
toire vient d'être tracée par un savant ' aussi
distingué par le nombre des découvertes
attachées à son nom que par le noble et cou-
' M. Pérou , enlevé aux sciences a l'âge de
trente-cinq ans, après une maladie longue et dou-
loureuse. Voyez une Kotice inlijrcssniitc sur la tïc
de ce voyageur, par M. Deleute, dans les Aiirtalas du
Muséum, Tom. XVII.
ngeux déwoucBocat qu'il a d<iplow dais sa
carrière aa xniliea des prirabons et des souf-
frances les plus crodles.
En partant pour l'Espagne , \e n'arœs pn
emporter la collection complète de mes ins-
•trnmens de physique^ de géodésie et d'astrono-
mie : j'en avais déposé les doubles à Marseille ,
dans le dessein de les faire expédier direc-
tement pour Alger ou pour Tunis , dès que
^aurois trouvé une occasion de passer sur les
côtes de Barbarie. Dans les temps calmes , on
ne sauroit assez engager les voyageurs à ne
pas se charger de l'ensemble de leurs instru-
mens.; il vaut mieux les faire venir succes-
sivement pour remplacer, après quelques
années^ ceux qui ont le plus souffert par
l'usage et par le transport. Cette précanlion
est surtout nécessaire lorsqu'on est obli*^c
de déterminer un grand nombre de poiiHs
par dès moyeA purement chronométriqnes.
Mais à l'époque d'une guerre maritime , la
prudence exige qu'on ne se sépare pas de
ses instrumens, de ses manuscnt.s et de se^
collections. De tristes expériences, dont j'ai
déjà parlé dans l'introduction de cet ou vra^/; ,
m'ont confirmé la justesse de ce principe*
lOfî LIVRE I.
Notre séjour à Madrid et à la Corogne aToit
été trop court pour que je Esse venir de Mar-
seille l'appareil niétéorologicjue que j'y avois
laisse. Je demandai en vain qu'on me l'ex-
pédiât pour la Havane , après notre retour
de rOrénoque ; ni cet appareil, ni les lunettes
achromatiques et le garde-temps d'Arnold,
que j'avois demandés à Londres, ne me sont
parvenus en Amérique. Voici la liste des itis-
trumens que j'avois réunis pour mon voyage,
depuis l'année 1797, et qui, à l'exceplion
d'un petit nombre , faciles à remplacer, m'ont
servi jusqu'en i8o4-
Liste des instrumens de physique et
d'asti-onomic.
Une montre à longitude de Louis Berthoud,
n. 27. Ce garde-temps avoit appartenu au
célèbre Borda, J'ai publié le détail de sa
marche dans l'introduction de mon Recueil
d'observations aslronomiques;
Un demi -chronomètre de Seyjfirl , servant
pour le transport du temps dans de courts
intervalles;
Une lunette achromatitjue de Dollond^ de trois
CAAPITftE I. 107
pieds y destinée à Tobservation des satellites'
de Jupiter ;
Une lunette de Caroché y d'une moindre
dimension y avec un appareil propre à fixer
l'instrument à un tronc d'arbre dans les
forets;
Une lunette d^ épreuve ^ munie d'un micro-
mètre gravé sur verre par M. Kôlher ,
astronome à Dresde. Cet appareil , placé
sur le plateau de l'horizon artificiel y sert à
niveler des bases , à mesurer les progrès
d'une éclipse du soleil ou de la lune , et à
déterminer la valeur des angles très-petits
sous lesquels paroissent des montagnes très-
éloignées ;
\lxi sextant de Ramsden y de 10 poqces de
rayon, avec un limbe d'argent et des lunettes
qui grossissent douze à seize fois;
Un sextant a tabatière y snuff box-sextant y de
Troughton^ de 2 pouces de rayon, muni
d'un vernier divisé de minute en minute,
de lunettes qui grossissent quatre fois , et
d'un horizon artificiel de cristal. Ce petit
instrument est très-utile aux voy^igeurs qui
se trouvent forcés de relever en canot les
sinuosités d'une rivière , ou qui veulent
108 LIVRE I.
prendre des angles sans descendre de
cheval ;
Un cercle i-épêtiteur à rêflcrion de Le Noir,
de 1 2 pouces de diamètre , muni d'un grand
miroir en plaline ' ;
Un téodoîite de Hurler, dont le cercle azi-
mutal avoit S pouces de diamètre ;
Un horizon artificiel de Ca roche , à verre
plan , de 6 ponces de diamètre , muni d'un
niveau à bulle d'air , dont les divisions écpii-
Talent à deux secondes sexagésimales ;
Un ijuart de cercle de. Bird , d'un pied de
rayon , à double division du limbe en 90 et
(j6 degrés, la vis microniétricjue inditjuant
deux secondes sexagésimales , et la perpen-
dicularitédu plan pouvant être déterminée
au moyen d'un fil d'a])lomb et d'un grand
niveau à bulle d'air ;
Un grajjhomcire de Rainsden, placé sur une
caune, muni d'une aiguille aimantée et
' J'ai comparé, dans un autre endroit, les avan-
tages et les di:suvantaf;es qu'oITrcnl, ilans des voyages
de terre, les instrumens h réileïion et les cercles
répêlileurs asLroiiomiqites, ( OLierf. aalron. j Intr. j,
Tom, \, p. ivij.)
CHAPITRE I. i4>9
d'une méridienne filaire servant à prendre
des azimuts magnétiques ;
Une boussole d'inclinaison ^ de 12 pouces de
diamètre y construite d'après les principes
de Borda , par M. Le Noir. Cet instrument,
d'une exécution très-parfaite , m'avoit été
cédé, lors de mon départ ^ par le bureau
des longitudes de France. Il se trouve
figuré dans la Relation du voyage de
d'Entrecasteaux ' , dont la partie astrono-
mique est due aux soins d'un savant navi-
gateur, M. de Rossel. Un cercle azîmulal
sert pour trouver le plan du méridien
magnétique , soit par des inclinaisons cor-
respondantes y soit en cherchant la position
dans laquelle l'aiguille est verticale, soit
en observant le minimum des inclinaisons.
On vérifie l'instrument par le retournement ^
et en cbaogeant les pôles ;
Une boussole de déclinaison de Le Noir,
construite d'après les principes de Lambert,
et garnie d'une méridienne filaire. Le ver-
nier étoit divisé de deux en deux minutes;
Une aiguille de 12 pouces de longueur, munie
^ Tom. II, p. i4.
JIO LIVRE I.
de piimules, et suspendue à un fil sans
torsion , d'après la méthode de Coulomb.
Cet appareil^ semblable à la lunette aiman^
tée de Pronjy m'a servi à déterminer les
petites variations horaires de la déclinaison
magnétique 9 et Tiotensité des forces qui
change avec les latitudes. Les oscillations
de* la grande aiguille d'inclinaison de
M. Le Noir offrent aussi une mesure très-
exacte de ce dernier phénomène ;
Un magnétomètre de Saussure * , construit
par M. Paul , à Genève , avec un limbe
qui correspond à un arc de 3 pieds de
rayon ;
Un pendule in\?ariable^ construit par M. Mégnié
à Madrid ;
Deux bawmètres de Ramsdenj
Deux appareils barométriques *^ à l'aide des-
quels ou trouve la hauteur moyenne du
* Ce magnétomètre , que j'ai trouvé très-peu exact ,
le téodolite et le cercle à réflexion^ sont les seuls
instrumens que je n'ai pu embarquer avec moi à la
Gorogne.
* J'ai décrit ces appareils dans le Journal de;
Physique^ Tom. XLVIT^ p. 468 ^ et dans mes Obêertf.
ustron., Tom. I^ p. 366*.
CBAPITIIE I« lit
baromètre, en plongeant successivement
dans une cuvette plusieurs tubes de verre
que Ton transporte remplis de mercure ,
fermés à une de leurs extrémités par une
vis d'acier , et placés dans des étuis de métal ;
Husieurs thermomètres de Paul y deRamsden,
de Mégrdé et de Fortin;
Deux hygromètres de Saussure et de DeluCy
à cheveux et à baleine ;
Deux électromètres de Bennet et de Saussure ^
à.fetuQes d'or battu et à moelle de sureau,
inums de conducteurs de^4 pieds de haut,
pour réunir , d'après la mélhode prescrite
par M. Volta , l'électricité de l'atmosphère ,
au moyen d*une substance enflammée qui
répand de la fumée ;
Un cjranomètre de Paul. Pour me mettre à
même de comparer avec quelque précision
la teinte bleue du ciel, telle qu'elle se
présente sur le dos des Alpes et sur celui
des Cordillères , M. Pictet avoit bien voulu
faire colorier ce cyanomètre d'après celui
dont M. de Saussure s'éloit servi à la cims
du Mont-Blanc et pendant son séjour mé-
morable au Col du Géant ;
Uneudiomètre de Fontana^ à gaz nitreux. Sans
lis LIVRE I.
coniioîlre rig'oureusement combien de par-
ties de ce gaz sont iiécessuires poui- satuicr
une partie d'oxygène, on pent encore déter-
miner avec précision la quantité d'azote
atmosphérique , et par conséquent la pureté
de l'air, en employant, outre le gaz nitreux,
l'acide miirialiqne oxygéné ou la dissolu-
tion du sulfate de fer. L'eudioraètre de
Volta, le plus exact de tous, est embar-
rassant pour les voyageurs qui parcourent
des pays humides, à cause de la petite
décharge électrique qu'exige l'inflammation
des gaz oxygène et hydrogène. L'appareil
eudiométrique fe plus portatif, le plus
prompt, et le plus recommandable à tous
égards , est celui que M. Gay-Lussac a fait
couDoître dans les mcinoires de la société
d'Arcneil ' ;
Ud eudiomètre à pîtnsphore (h Relnul.
D'après les belles recherches de M. Tiie-
nard, sur le carbone mêlé au phosphore,
' Tom. n. p. 235. Voyez aussi le Mémoire sur
la composition, de l'air , que j'ai publié , conji >iuteiiien[
avec M. Gay-Iiissac , dans le loitrnul de Physique,
Tom. LX, p. 121), cl mes Obi^erv. zooL Tom. I,
p. a56.
CHA^riTRE I. Il5
il est prouvé que l'action lente de celle
base acidifiable ^ donne des résultats moins
lexacts que la combuslipn vive ;
Uo appareil de Pa^il^ propre à déterminer
avec une extrême précision le degré de
teau bouillante^ k différentes hauteurs au-
dessus du niveau de l'Océan. Le thermo-
mètre à double vernier avoit été construit
d'après l'appareil que M. de Saussure a
employé dans «es courses ;
Une sonde thermométrique de Dumotier ,
consistant dans un vase cylindrique muni
de deux soupapes coniques , et renfermant
un thermomètre ;
Deux aréomètres deNickolson et de DoUondj
Un microscope composé de HofrrMnn y dé-
crit dans l'histoire des Cryptogames de
M. Hedwîg ; un étalon métrique de Le Noir;
une chaîne d' arpenteur; une balance dres-
sai; un hjrétomètrej des tubes d'absorp-^
tion propres à indiquer de petites quantités
d'acide carbonique ou d'oxygène, au moyen
de Teau de chaux ou d'une dissolution de
* Bulletin de la Société philomatiquê , 18 13,
I. 8
Il4 LIVRE I.
sulfure de potasse ; des appareils électro'
fcopiques du Jlnûj ; des vases deslinés à
mesurer la quantité de Yévuporation des
■ H^nides à l'air libre ; un horizon artificiel
à mercure ; de petites bouleilhs de Leyde,
prtipres à être cbar^ées par frottement;
des appareils galvaniques j des réactifs
pour tenter quelques essais sur la compo-
sition chimique des eaux minérales, et im
grand nombre de petits outils nécessaireÊ
aux voyageurs pour raccommoder les ins-
trumens qui se trouvent dérangés par les
chutes fréquenles des bêles de somme.
Séparés de nos instrumens qui étoient ;i
bord de la corvette, nous passâmes encore
deux jours à la Corogne. Une brume épaisse
qui couvroit l'iiorizon annoncoit à la fin le
changement de temps si vivement désiré.
Le 4 i"îi 3U soir, le vent tourna au nord-
est, direction qui, sur les eûtes de la Galice,
est regardée comme très-constante pendant
la belle saison. Le Pizarro appareilla en
effet le 5, quoiqu'on eût eu, peu d'heures
avant, la nouvelle qu'une escadre angloise
avoit été signalée à la vigie de Sisarga, et
qu'elle paroissoit faire route yers l'emboH-
CHAPITRE I. Ilâ
chure du Tage. Les personnes qui virent
lever l'ancre à noire corveltc disoient lout
haut, qu'en moins de trois jours nous serions
pris, et que, forcés de suivre le bâtiment
sur lequel nous nous troOvions, nous serions
conduits à Lisbonne. Ce pronostic nous caa-
soit d'autant plus d'inquiétude , que nous
avions connu à IVIadrid des Mexicains qui,
pour retourner à la Vera-CruK , s'étoient
«mbarqués à trois reprises à Cadix, et qui,
ijant été pris chaque fois presque au sortir
da port, étoient rentrés en Espagne par
la voie du Porturf;:!.
Le Pizarro étoit sons voile à deux heures
de l'après-midi. Le canal par lequel o(i naviguiî
pour sorlh" du port de la Corognd est long
et introït : comme la passe s'ouvre vers le
cord, et que le vent nous étoit contraire,
nous eômes à courir huit petites bordées,
dont trois élnienl à peu près perdues. Un
nremcnl de bord ne se fit qu'avec une len-
teur extrême , et pendant quelques instanS
noQs finies en danger an pied du fort Saint-
Ainarro, le courant nous ayant portés très-
près des récifs sur lesquels la mer biise avec
violeHce. Nos jeux restèrent fixés sur Je
S*
Il6 LIVRE I.
château Saint-Anloine , où l'inforluné Malas-
pina ' géniissoit alors dans une prison d'état.
Au moment de quitter l'Europe pour \isiler
des contrées que cet illustre voyaj^eur avoit
parcourues avec tant de fruit, j'aurois désiré
occuper ma pensée (^l'un objet moins attristant.
A six heures et demie nous passâmes la
Tour d'Hercule, qui est le phare de la Co-
rogne, dont nous avons parié plus haut, et
sur laquelle, depuis les temps les plus re-
cules, on entrelient un l'eu de charbon de
terre pour diriger les vaisseaux. La clarté
de ce feu ne répond pas à la belle cons-
truction d'un si vaste édifice; elle est si foible
que les bâtimens ne l'aperçoivent que lors-
qu'ils se trouvent déjà en danger d'échouer
sur la côte. Vers l'entrée de la nuit, la mer
devint très-rude, et le vent fraîchit beau-
coup. Nous lîmes route au nord-ouest pour
éviter la rencontre des fréj^ates angloises que
l'on supposoit croiser dans ces parages. Vers
les neuf heures, nous vîmes lu lumière d'une
cabane de pêcheurs de Sisarga : c'étoitleder-
* Essai poîilifiue sur le Mexique, Toni. TI, p. 48^4
de l'éditioi» iu-S". Obsen>, aslron. , Tom. Ij p> t tt' T-
nier objet qoe nous offraient les cotes de l*Eii«
rope. A mesure que nous nous élo^ions, cette
foible lumière se confoadoit avec celle des
étoiles qui se leToient sur Fhorizon , et nos re-
gards j restoient inTolontairement attachés.Ge^
impressions ne s^effîicent point de la mémoire
de ceux qui ont entrepris des navigations
bintaines à un ^e où les émotions de Tame
sont encore dans toute leur force. Que de
souvenirs réveille dans l'imagination un point
lumineux qui> au milieu d'une nuit obscure,
paroissant par intervalles au-dessus des flots
agités, désigne la côte du pays natal!
Nous fumes forcés de courir sur les basses
voiles. Nous filâmes dix nœuds, quoique la
construction de la corvette ne fût pas avan-*
tageuse pour la marche. Le 6 au matin , le
roulis devint si vif qu'il brisa le petit mât de
perroquet Cet accident neut aucune suite
fâcheuse. Gomme notre traversée de la Go-
rogne aux îles Ganaries dura treize jours ^ elle
fut assez assez longue pour nous exposer,
dansi des parages aussi fréquentés que le sont
les côtes du Portugal, au danger de rencon-
trer des bâtimens anglois. Les premiers ir<f\%
îours^ aucune yoUe ne parut à Th^irizon , re
IlS LIVRE I.
qui commença à rassurer l'équipage, qui
n'éloit pas en état de soutenir un combat.
Le 7, nous coupâmes le parallèle du cap
Finistère. Le groupe de rocliers granitiques,
auquel appartient ce promontoire, de même
que celui deTori;ines et !e Mont-de-Corcu-
biun , porte le nom de la Sierra deToriiîona.
Le c;ip Finistère est plus bas que les terres
Toisines ; mais ta Turinona est visible au large
à 17 lieues de dislance, ce qui prouve que
l'élévation de ses plus hautes cimes n'est pas
moindre de 3oo toises (582'"). Les naviga-
teurs espagnols prétendent que , dans ces
attérages, la déclinaison magnétique difiere
extraordinaircmenl de celle que l'on observe
au large. En effet , M. Bory ', dans l'expé-
dilion de la corvette ÏAiiiarauthe , a trouvé,
en 1751, que la variation de l'aiguille, dé-
terminée à terre au cap même, étoit de
4- degrés plus petite qn'on ne pouvoit le
supposer d'après les observations iiiiies à la
même époque le long de ces côtes. De même
que le granit de la Galice contient de la
; de l'Avadëm.ie des sciences, 1768,
ieuj Voyage de l'Jsis, Tom. I, p. asS.
CHiPlTRE 11^
mine d'ëtaîn dissétiiioée dans sa masse, celui
du cap Finislère renferme peul-êlie du fer
nûcacé. Les montajïues du Hawt-Palatinat
ofirent en effet des roches granitiques dans
lesquelles des crislaux de ter micacé rem-
placent le mica cnnimun.
Le 8 , au couclier du soleil , on signala , du.
haut des nuits, un convoi anglois qui rangeoit
la côte vers le sud-est. Pour l'éviter, nous
fîmes fausse route pendant la nuit. Dès ce
moment il ne nous fut plus permis d'avoir
de la lumière dans la grande chambre, de
peur d'être aperçus de loin. Celte précau-
tion, employée à bord de tous les batimens
marchands , et prescrite dans les réglemens
des paquet-bots de la marine royale, nous
a causé un ennui mortel pendant les traversées
que nous avons faites dans le cours de cinq
années consécutives. Nous avons été cons-
tantiment forcés de nous servir de fanaux
sourds pour examiner la température de
l'eau de la mer, ou pour lire la division du
limbe des iustrumens astronomiques. Dans
la zone torride^ où le crépuscule ne dure
que quelques minutes , on se trouve réduit
à l'inaction dès six heures du soir. Cet état
^
120 LITRE I.
de choses m'a contrarié d'autant plus que,
par l'eflèt de ma constitution , je n'ai jamais
connu le mal de mer, et qne je sens une
ardeur extrême pour le travail pendant tout
le temps que je me trouve embarqué.
Un vo}'age des côtes d'Espagne aux îles,
Canaries, et de là à l'Amérique méridionale,
n'offre presque aucun événement qui mérite
de fixer l'attention, surtout lorsqu'il a lieu
pendant la belle saison, Cest une naviga^
tion moins dangereuse que ne l'est souvent
la traversée des grands lacs de la Suisse. Je
jiae bornerai par conséquent à exposer dans
cette Relation les résultats généraux des expé-
riences magnétiques et météorologiques que
j'ai faites dans cette partie de l'Océan, et
à ajouter quelques notions propres à inté-
resser les navigateurs. Tout ce qui concerae
les variations de la température de l'air et
de celle de la mer, l'élat hygrométrique de
l'almosphcre, la couleur bleue du ciel, l'in-
clinaison et l'intensité des forces magnétiques,
se trouve réuni dans le Journal de route
placé à la fin du troisième chapitre. On verra,
par le détail et par le nombre de ces expé-^
l'iences, que nous avons lâché de tirer parti
CHAPITRE I. 121
des instrumens que nous avions embarqués,
n seroit à désirer que ces mêmes obser-
vations pussent être répétées diiiis les mers
d'Afrique et d'Asie, pour faire connoitre
avec précision la conslitniion de l'atmos-
phère qui couvre le grand bassin des mers.
Le 9 juin, nous trouvant par les oy" 6q' de
latitude et les iG» lo' de longitude à l'ouest
du méridien de l'Observatoire de Paris,
nous commençâmes à sentir l'effet du grand
courant qui, des îles Açores, se dirige sur
le détroit de Gibraltar et sur les îles Canaries.
Eu comparant le point déduit de la marche
de la montre marine de Louis Berlhoud à
celui de l'estime des pilotes, j'étois eu état
de découvrir les plus petits changeniens dans
la direction et la vitesse des courans. Depuis
les 37" jusqu'aux 5o" de latitude, le vaisseau
fut porté quelquefois , en vingt-quatre heures ,
de 18 à 26 milles à l'est. La direction du
courant é toit d'abord E. fS. E. ; mais, plus
près du détroit, elle devient directement Est.
Le capitaine MaskintosU, et l'un des naviga-
teurs les plus instruits de notre temps, sir
Erasmus Gower, ont observé les modifica-
tions qu'éprouve ce mouvement des eaux daui
122 LIVRE I.
les (lifiereales saisons de l'année. Beaucoup
de pilotes qui fréquentonl les (les Canaries,
se sont vus sur les eûtes de Lancerolte , quand
ils s'attendoient à faire leur allérage sur l'île
de TénérifTe. M. de Bongainville', dans son
trajet du cap FinJslére aux îles Canaries, se
trouva, à la vue de l'Ile de Fer, de 4° plus à
l'est que sou estime ne le lui indiqiioil.
On attribue vulfjaîrement le courant qui
se fait sentir entre les îles Acores, les côtes
méridionalfs du Portugal et les îles Canaries,
à cette tendance vers l'est , que le détroit
de Gibraltar imprime aux eaux de l'Océan
AllanLiquc. M, de Fleuricu , dans tes notes
ajoutées au voyage du capitaine Marchand,
observe même que la Méditerranée, perdant
par l'évaporation plus d'eau que les fleuves
ne peuvcnL en verser, cause un mouvement
dans l'Océan voisin, et que l'influence du
détroit se lait sentir au large dans un éloi-
gnemcnt de six cents lieues. Sans déroger
aux sentimens d'estime que je conserve pour
un navigateur dont les ouvrages justement
' Voyage aiilour du. nicndc , Vol, J, )'. 10.
" Vol. Il, i>, 9 et aag.
CHAPIT&E I. I3S
eétebres jDi'oDt fourni beaucoup dliustruc-
fion p il m» 6era pawif de considérew cel
ohy^ important wu$ qn poinjt de vi^ beau-
coup ^uf général.
Quaiid (9B 4BD¥i$age d'w icoup d'œî) l'Ai*
ImUfl^^f ^^ ^ette i^alljée profonde qui sépare
jes céies ecciden taies de l'Europe et de
l'Afrique -des eètes orieutaie^ du nouveau
continent , on distingue une direction oppo-
sée dâ9â le oiouyement des eaux. Pntre les
topiques, surtout depuis les côtes du Sé-
Mg^l jiitsqu'à la mer des Antilles y le courant
général, ei le plus anciennement connu des
rnarinii, porfe constamooent d'orient en occi-
dent. On le désigne sous le nom de courant
é^uim^xifll. Sa rapidité mojenne^ corres-
pondant à différentes latitudes^ est à peu
près la même dans l'Atlantique et dans la
mer du Sud. On peut l'évaluer a 9 ou 10
milles eh vingt-quatre heures, par conséquent
à 0,69 ou à 0,65 pieds par seconde '. Dans
' En réi^nissaot Iês obseryatioafi que j^ai eu occa-
sion 4e foire daiis lei^ àsxxn hémisphères avec celles
^ sont rapportées dans les Vojages de Cook ,
Lapérouse, d'£ntrecasteaux , VancouTer, Macari-
nay, Knisenstem et Marchand; je trouve que la
124 LIVRE I.
ces parages, leseauxcoiirentversl'ouest av
une vitesse égale au quart de celle delà pUip;
des grandes rivières de l'Ei]ro|ie. Le mouv
ment de l'Océan, opposé à celui de la rotatl
du globe, n'est vrnisemblabletnent lié à
dernier phénomène qu'autunlque hi rotalî'
change en vents alizés tes vents polaires qi
dans les basses régions de l'atmosphèr
ramènent l'air froid des hautes lalitut
vers l'équateur'. C'est à l'impulsion gén
raie que ces vents alizés doniieut à la su
face des mers qu'on doit attribuer le co
rant éqiiinoxial, dont les variations locales
l'atmosphère ne modifient pas sensiblemc
la force et la rapidité.
Dans le canal que l'itlantîque a creï
entre la Guyane et la Guinée, sur le méridi
vitesse du cournnt général des tropiques Tarie d(
à 18 milles en vingt-quatre heuies, ou de o,3
1,2 pieds par seconde,
' HaUey on tke cause of the gênerai trade ti>im
dans les Phtl. Trana. for the ysar 1735, p. 58. D
ton, Metaorogicdl Exp and. Essavs, 17g3j p.
La Pince, Exposition da système du moid' , p. a
Les lioiiles des vents alizés ont été déterminées p<
la première fois par Dampierre, en 1666.
CHAPITRE I. . isS
de 2Ô OU s3 degrés, depuis les 8 oo 9 jus-
qu'aux 3 ou 3 degrés de latitude boréale ,
où les vents alizés sont souvenl interrompus
par des vents qui soufflent du sud et du sud*
sud-ouest, le courant équinoxial est moins
constant dans sa direction. Vers les côtes
d'Afiriqtie , les vaisseaux se trouvent entratnés
au sud-est ; tandis que , vers la baie de tous
les Saints et vers le cap Saint-Augustin,
dont les attérages sont redoutés par les navi-
gateurs qui se dirigent sur l'embouchure du
Rio de la Plata, le mouvement général des
eaux est masqué par un courant particulier.
Les effets de ce dernier courant s'étendent
depuis le cap Saint-Rodi fusqu'à Ffle de la
Trinité : il porte dans le nord-ooest avec une
vitesse moyenne d'un pied à un pîed et demi
par seconde.
Le coorantéqnînoxial se fait sentir, quoique
foiblement, même au-delà du tropique du
Cancer, par les 36 et 38 degrés de latitude*
Dans le vaste bassin de TOcéan Atlantique,
à six on sept cents lîenes des cotes d'Afrique,
les vaisseaux d'Europe , destinés aux âes
Antilles, trouvait leur marcbe accélérée anra»t
^Ik parfieniienl à b xoDe tûnide. Pfasani
12G LIVRE t.
nord, sous les 28 et 33 degrés, entre les
pariillêles (le Ténénlfe et de Ce(jla , par les
46 et 48 degrés de lonf^rtnde , on ne remarfitio
aucun inoiiveinent cuiisiant : car une itoaé
de i4o lieues de l;irgenr sépare le Courant
érjuinoxiitl, dont la tendance est Vers l'OGcï-
derit , de celte grande niasse d'eati qui sft
dirige vers IWienl, et se distingue par Aa
température singulièrcinent élevée. C'est sut
cette masse d'eau, coiinne sous le nom de
Gulf-stream' , tjne les belles observations
de Franklin et de sir Charles Blagden ont-
appelé l'attention des pliT^iciens, dès l'année
1776. Comme sa direction est devenue ré-'
cemment un objet important de recherches
parjnl les navigateurs américains et anglois,
nons devons remonter [ilns h«dl pour em-
brasser ce phénomène dans sa géftéraiilé.
Le courant équinoxial pousse les eaait de
rOcéan Atlantique *ers les eûtes habitées
par les Indiens Mosquitos et vers celles de
Honduras. Le nouveau continent, prolongé
du sud au nord , s'oppose comme une
' Sîi- Francis firaVe remarqua déià ce mnoTement
Extraordinaire «les eaux , mais il ne connoissoif pai
ieur température élevée.
CHAPITRE I. 127
dirue à ce courant. Les eaux se portent
d abord au nord -ouest; et^ passant dans
le golfe dd Mexique , par le détroit que
forment le cap Catoche et le cap Saint-An*
toine » elles suivent les sinuosités de la côte
mexicaine y depuis la Vera-Croa jusqu'à lem-
bouchnre du Rio del Norte, et de là aux
bouches du Mississipi et aux bas-fonds situés
à Touest de Textrémilé australe de là Floride.
Après ce grand tournoiement à l'ouest, au
oord , à Test et au sud , le courant se porte de
nouveau au nord, en se jetant avec impé-
tuosité dans le canal de Bahama. J'y ai ob-
servé y au mois de mai 1 8o4 9 sous les 26 et
27 degrés de latitude, une célérité de 80 milles
en vingt-quatre heures, ou de 5 pieds par
secoïkle, quoiqua cette époque le vent du
nord s<nïfflàt avec u»>e force extraordinaire.
Au débcniqùemeiit du canal de Bahama , sous
le parallèle du cap Canaveral , le Gulf-
Stteaffty on coUraht de la Floride, se dirige
au nord-est. Sa vitesse ressemble à celle d'un
torrent : elle j est quelquefois de cinq mil!e$
par heure. Le pilote peut juger, avec quelque
certitude , de Terreur de son point d'estime
et de la proximité de son attérage sur New*
ISO LIVRE I.
York, surPIiiladelpliie ou sur Charlesloftil '»
(les qu'il atteint le bord du courant : car la
température élevée des eaux , leu r forte salure,
leur couleur bleu-indigo , et les traînées de
varech qui en couvrent la surface , de même
que la chaleur de l'atmosphère environnante,
très-sensible en hiver , font reconnoître le
Gulf-slream. Sa vitesse diminue vers le nord
en même temps que sa largeur augmente
et que les eaux se refroidissent. Entre Cajo
Biscaino et le banc de Bahaina^ cette lar-
' Le courant de la Floiide s'éloigne de plus eu
phis des dites des Etats-Unis, à mesure qu il aïanfe
vers le nord. Sa position étant assez exactement indi-
quée sur les nouTcUes cartes marines , le navigaleur
trouTC la longitude du vaisseau avec la précision d'un
demi-degré , lorsque , sur le bord du courant oii com-
mence le Eddy ou Contre- Courant, il obtient une
bonne obervation de latitude. Cette métliode est pra-
tiquée par un grand nombre de capitaines de bâtimen»
luarcliands qui font le trajet d'Europe à l'Amérique
septentrionale.
" Journal of Andrew Ellicott, Commissioner of ike
United States for deiermining the boundary on the
O/tio and Mississipi , i8o3, p. aGo. HydrauUc and
naiit. obser. on the Atlantic Océan, by Gov. Pownall.
(Lond. 1787).
^ur n'est que de i5 lieiies, Undis que sous
les 28 degrés et demi de latitude elle est déjà
àei^y et^ sur le parallèle de Gharlestown,
T£S-a-Tis du cap Heolopeo , de 4o à 5o lieues.
La rapidité du courant atteint trois à cinq
nulles par heure là où la rivière est le plu*
étroite : eUe n est plus que d'un mille en
avancement vers le nord. Les eaux du golfe
mexicain ; entraînées avec force au nord-
est, conservent à tel point leur haute tem-
pérature, que, sous les4o et4t degrés da
latitude > je les ai encore trouvées de 2%^,i
{iS^R.)y quand, hors du courant, la diah
leur de FOçéan , à sa surface , étoit à peine
de l7^5 ( i4'' R.)- Sur le parailde de Kew-
York et d'Oporto , la tempénrtOTe do Gu/f-
stream égale par conséquent edle qoe Im
mers des tropiques nous olBre&t p» W \ ^
degrés delatitode, cesl-à-dbe swr le ptir^l-
lèle de Porto-Rico et des fle» du; ca^ V ^^.
ATest du port de Boston, et mv fe rtw»r>
dien de EUJifax, soos les ^i^ d V de nuvuUt ^.
Jes 67 d^rés de lon^ita^ie, le ^îr^^wmt ^f^f^xsx.
près de 80 lieoes nui^Tuvts èi^ la^^/aw. ^J*^ ^
qu'il se<lii%e tûQtif'aa o!>«iÇi.^ if iML^^(e2iuMi^4
^ son bofd o ^e w te ntrt , ea ut f/^^wMnt
4
#
|5o LIVltE X.
devient la limite boréale des eaux courantes,
et qu'il rase l'exlrémité du grand banc de
Terre-Xeuve , que M. de Voiney appelle
très-ingéuiensement la barre de l'embou-
chure de cet énorme fleuve marin '. Le»
eaux froides de ce banc qui, selon mes expé-
riences, ont une température de 8",7 à lo**
(7° ou 8" R.), ofl^reot un contraste frappant
avec les eaux de la zone torrtde, poussées
au nord par le Gulf-strt'nm ^ dont lu tem-
pérature est de 21° à 22",5 (17° à 18" R.),
Dans ces piirages , le calorique se trouve
réparli dans l'Océan d'une manière étrange:
les eaux du banc sont de 9",4 plus froides
que la mer voisine, et celte mer est de 3"
plus froide que le courant. Ces zones ne
peuvent se mettre en équilibre de tempéra-
ture, parce que chacune d'elles a une source
de chaleur ou une cause de refroidissement
qui lui est propre, et dont l'iofluence est
permanente *.
• Tableau du climat et du sol de» Etals- Unie , T. I ,
p. 33o, Roirime, Tableau des vents, des marées et dtt
couraus , T. I , [). aa3.
'' En traitant de la températui'C de l'OcéaTi . il faut
(listiiiguer avec soin quatre phéQQinéues très-dilTéreus ;
CHAPITRE I. iSl
• Depuis le banc de Terre-Neuve , ou depuis
les 52 degrés de longitude jusqu'aux îles
Açores , le Gulf-stream continue à se porter
vers Test et Test-sud-est. Les eaux y con-
servent encore une partie de i'inipnbion
qu'elles ont reçue près de mille lieues plus
loin dans le détroit de la Floride, entre l'île
de Cuba et les bas-fonds de la Tortue. Cette
distance est le double de la lon^fueur du
cours de la rivière des Amazones , depuis Jaën
ou le détroit de Manseriche au Grand-Para.
Sur le méridien des îles de Corvo et de Flores,
les plus occidentales du groupe des Acores,
le courant occupe une étendue de mer de
i6o lieues de large. Lorsque, à leur retour
de l'Amérique méridionale en Europe, les
bâtîmens vont reconnoîlre ces deux îles pour
rectifier leur point en longitude, ils res-
tayoir : i.* la lerapératurc de Peau à sa surface cor-
respondante il diverses latitudes, l'Océan étant consi-
déré en repos; 2.* le décroissement du calorique dans
les couches d'eau saperposées' 1. s unes aux autres ;
3.* VeSei des bas-fonds sur la température de l'Océan;
4.^ la température des courans qui font passer, avec
(Uie TÎtesse acquise , les eaux d'une zone à travers les
tAQx iâimobiles d'une autre zone.
9*
l5% LIVKE I.
sentent constamment le mouvement des eaux
au sud-est. Par les 33 degrés de latitude ,
le courant équinoxial des tropiques ise trouve
extrêmement rapproché du Gulf'$tream\'D^xï%
cette partie de l'Océan , on peut entrer dans
un seul jour des eaux qui courent vers Fouest
dans celles qui se portent au 'sud-est ou à
Test-sud-est.
Depuis les îles Açores, le courant dé la
Floride se dirige vers le détroit de Gibraltar^
l'île de Madère et le groupe des îles Canaries.
L'ouverture des colonnes d'Hercule a accéléré
sans doute le mouvement des eaux vers l'est.
Sous ce rapport, on peut dire avec raison quç
le détroit par lequel la Méditerranée com-
munique avec l'Atlantique fait sentir son è£Pet
à une grande distance ; mais il est probable
aussi que y sans l'existence de ce détroit / les
vaisseaux qui font voile à TénériflFe seroient
poussés au sud-est par une cause qu'il 'faut
chercher sur les côtes du nouveau monde.
Tous les mouvemens se propagent dans le
vaste bassin des mers comme dans l'Océan
aérien. En poursuivant les courans jusqu'à
leurs sources les plus éloignées, en réflé-
chissant sur leur célérité variable , * tdbtôt
CHAPITRE I. l33 '
décroissante comme entre le canal de Bahama
et le banc de Terre-Neuve , tantôt renforcée
comme dans le voisinage du détroit de Gi-
braltar et près des îles Canaries , on ne
sauroit douter que la même cause qui fait
tournoyer les eaux dans le golfe du Mexique^
ne les agite aussi près de Tile de Madère.
C'est au sud de cette île que l'on peut
poursuivre le courant dans sa direction au
sud-est et au sud -sud -est vers les côtes
de l'Afrique y entre le cap Cantin et le cap
Bojador. Dans ces parages , un vaisseau resté
en calme se trouve engagé sur la côte quand
il s'en croit encore très - éloigné , d'après
l'estime non corrigée. Si le mouvement des
eaux étoit causé par l'ouverture du détroit
de Gibraltar , pourquoi au sud de ce détroit
ne suivroit-il pas une direction opposée ? Au
contraire, par les 2 S et les a6 degrés de
latitude, le courant se dirige d'abord direc-
tement au sud et puis au sud-ouest. Le cap
Blanc qui, après le cap Vert, est le pro-
montoire le plus saillant, paroit influer sur
cette direction , et c'est sur son parallèle que
les eaux dont nous avons suivi le cours depuis
les côtes d'Hondura jusqu'à celles d'Afrique
l54 LIVRE I.
se mêlent au grand courant des tropiques
pour recommencer le lour d'orient en occi-
dent. Nous avons observé plus liant que
plusieurs centaines de lieues à l'ouest des
îles Canaries, le mouvement qui est propre
aux eaux éqtiinoxiales se fiiit déjà sentir dans
la zone teinpérée dès les 28 et 29 degrés de
latitude nord; mais, sur le méridien de l'île
de Fer, les vaisseaux avancent au sud jusqu'au
tropique du Cancer, avant de se trouver par
l'estime à l'est de leur véritable position.
J'ai cru donner quelque intérêt à ht Carte
de rOccan Allanlîque boréal que j'ai pu-
bliée ', en y traçant, avec un soin particu-
lier, la direction de ce courant rétrograde
qui , semblable à un fleuve dont le lit s'élargit
gra<luellcnient, parcourt la vaste étendue des
mers. Je nie llatLc que les navigateurs qui
ont étudié les Cartes de Jonallian Williams,
du gouverneur Povvnali, de Healer et de
' Celle C.irte, que }';ii commencé à tracer en i8o4,
offre, outre la tempcvalure de l'eau de la mer, des
oLscr va lions sur l'inclinaison de l'aiguille aimantée,
les ligjii's sans déclinaison , l'inteasitc des ibrces ma-
gnéli<iues, tes bandes de varecli flottant, et d'autres
phénomènes qui ïnléressent lï géograpliie physique.
GHAPimE I. i55
Siricklaii ' 9 troQTeront dans la mienne plu-
sieurs objets dignes de leur attention. Outre
les observations que j'ai faites pendant six
IraTerséeSy savoir : d'^pagne à Cumana, de
Gamana à la Havane ^ de l'île de Cuba à Car-
ihagëne des Indes , de la Vera-Crux à la
Havane , de ce port à Philadelphie , et de
Philadelphie aux côtes de France, j'y ai
réuni tout ce qu'une curiosité active m'a fait
découvrir dans les journaux de route , dont
les auteurs ont pu employer des moyens as-
tronomiques pour déterminer reflet des cou-
rans. J'ai indiqué en outre les' parages dans
lesquels le mouvement des eaux ne se fait
pas sentir constamment ; car , de même que
la limite boréale du courant des tropiques
et celle des vents alizés sont variables selon
les saisons, \e' Gulf-stream change aussi de
place et de direction. Ces changemens de-
viennent très-sensibles depuis les 58 degrés
de latitude jusqu'au grand banc de Terre-
Neuve. On les remarque de même entre lei
* Amer. Trans. , Vol. II , p. 528 ; Vol. III, p. 89
et ig4; Vol. V, p. 90 ^ et un Mémoire inléresMtnt m
les eourans, par M. Delamétherie , Journt de Phfi
1808, T. 67, p. 91. •"
l!i6 LIVRE r.
48 degrés de longitude occideatale de Pam
et le méridien des îles Acores. Les vents va-
riables de la zone tempérée , et la fonte des
glaces du pôle boréal, d'où reilue, dans les
mois de juillet et daoût, une grande quan-
tité d'eau douce vers le sud, peuvent être
regardés comme les causes principales qui
modifient , dans ces hautes latitudes , la force
et ia direction du Gidf-stream.
Nous venons de voir qu'entre les paral-
lèles de ji et de 4'^ degrés, les eaux de
l'Océan Atlantique sont entraînées, par les
courans , dans un tourbillon perpétuel. En
supposant qu'une molécule d'eau revienne à
la mêm.e place d'où elle est partie , on peut
évaluer, d'après nos connoissances actuelles
sur la vitesse des courans, que ce circuit de
38oo lieues n'est achevé que dans l'espace de
deux ans et dix mois, tfn bateau qui serctit
censé ne pas recevoir l'impulsion du vent,
parviendroit en treize mois des îles Canaries
aux côtes de Caracas. II lui faudroit dix
mois pour faire le tour du golfe du Mexique,
et pour arriver à la sonde de la Tortue,
vis-à-vis le port de la Havane; mais qua-
rante à cinquante jours suffiroient pour le
CHAPITRE I. 187
porter de l'entrée du détroit de la Floride
au banc de Terre-Neuve. Il est difficile de
fixer la rapidité du courant rétrograde,
depuis ce banc jusqu'aux côtes d'Arrique ; en
évaluant la vitesse moyenne des eaux à sept
ou -huit milles en vingt-quatre heures , on
trouve , pour cette dernière distance , dix à
onze mois. Tels sont les effets de ce mouve-
ment lent, mais régulier, qui agite les eaux
de- l'Océan. Celles de la rivière des Ama-
zones mettent à peu près quaranle-cioq jours
pour parvenir de l'omependa au Grand-
Para.
Peu de temps avant mon arrivée à Téné-
riffe, la mer avoit déposé sur la rade de
Sainte-^Groix un tronc de Cedrela odorata
couvert de son écorce. Cet arbre américain
Tégëte exclusivement sous les tropiques ou
dans les régions qui en sont les plus voisi-
nes, n avoit été arraché sans doute, soità la ,
côte de la Terre-Ferme , soit à celle d'Hoi
duras. La nature du bois et les lichens ^
couvroient l'écorce, prouvoienl 3
tronc n'avoit pas appartenu à ces (oti
marines que d'anciennes révolutiou
ODt déposées dans lee terrains 1
iSS LIVRE I.
des régions polaires. Si le Oedrela , au lieà
d'avoir été jeté sur la plage à Ténériffe, avoit
été porté plus au sud , il auroit probable*
méot fait le tour entier de TOcéaD Atlao'^
tique , en revenant dans son pays natal à la
faveur du courant général des tropiques.
Cette conjecture est appuyée par un fait plus
ancien , rapporté dans l'histoire générale des
Canaries de Tabbé Viera. En 1770, un petit
bâtiment , chargé de blé et destiné à passer
de File de Lancerotte à Sainte*Groix de Té-
nériffe i fut poussé au large dans un moment
où pas un homme de l'équipage ne se trou^-
Toit à bord. Le mouvement des eaux d'orient
en occident le porta en Amérique où il
échoua sur les côtes de la Gua jra , prés de
Caracas '.
Dans un temps où Fart de la navigation
étoit encore peu avancé , le Gulf-stream a
fourni au génie de Christophe Colomb des
indices certains de l'existence des terres occi-
dentales. Deux cadavres, dont les traits an-
nonçoient une race d'hommes inconnue »
^ Viera ^ HUt, général de lae lelae Canariaê ^
T. II, p. 167.
CHAPTTBB I. iSg
forent jetës , vers la fin do qoînziéme stede,
sor les côtes des fles Âçores. Presque à la
même ëpoqne^ le beao-firère de Colomb ,
Pierre Correa y gooverneor de Porlo-Santo ,
ramassa , snr une plage de cette ile , des mor-
ceaux de bambou d'une grosseur énorme que
les courans et les venls d'ouest j a voient
portés '. Ces cadavres et ces bambous fixèrent
lattention du navigateur génois : il devina
que les uns et les autres venoient d'un con-
tinent situé vers l'ouest. Nous savons aujour-
d'hui que, dans la zone torride> les vents
alizés et le courant des tropiques s'opposent
à tout mouvement des flols dans le sens de
la rotation de la terre. Les productions dn
nouveau monde ne peuvent parvenir à Tan-
den que par des latitudes très-élevées et en
suivant la direction du courant de la Floride.
Souvent des fruits de plusieurs arbres des
Antilles sont jetés sur les côtes des îles de Fer
ti de la Gomere. Avant la découverte de
l'Amérique, les Canariens regardoient ces
fruits comme provenant de l'île enchantée
' MunoZj Hist, del nuevo mundo, Lib. Il, ^ i4<
Pisman Colon ^ vida del jikrUrante , Cap. ix, Her§nÊ>
J)ecad ly Cap, ii.
l40 LITRE I.
de Saint-Borondon qui, d'après les rêveries
des pilotes et d'après quelques légendes, éloit
placée vers l'ouest dans une partie inconnue
de l'Océan, que l'on supposoit ensevelie dans
des brouillards perpétuels.
En traçant ici le tableau des courans de
l'AlIantique , mon but principal a été de
prouver que le mouvement des eaux vers le
sud-est, depuis le cap Saint-Vincent jus-
qu'aux îles Canaries , est l'effet du mouve-
ment général qu'éprouve la surface de l'Océan
à son extrémité occidentale. Nous n'indique-
rons donc que très-succinctement le bras du
Gulf-stream qui , par les 45 et 5o degrés de
latitude, près du banc du Bonnet-Flamand,
se dirige du sud-onest au nord-est vers les
côtes de l'Europe. Ce courant partiel acquiert
beaucoup de force lorsque les vents ont
soufflé loug-temps du côté de l'ouest. Sem-
blable à celui qui rase les iles de Fer et de
Gomere , il dépose, annuellement, sur les
côtes occidentales de l'Irlande et de la Nor-
wège , les fruits des arbres qui sont propres à
la zone torride de l'Amérique. Sur les plages
des îles Hébrides, on recueille des graines
de Mimosa scandeus, de DoUchos urens, de
CHAPITRE I. )4l
Guilaadina bonduc, et de plusieurs autres
plantes de la Jamaïque, de l'île de Cuba et
du continent voisin '. Le courant y apporte
beaucoup de tonneaux de vin de France ,
bien conservés , restes du chargement des
vaisseaux naufragés dans la mer des Antilles '.
A ces exemples de migrations lointaines des
végétaux , se lient d'autres faits propres à
frapper l'imagination. Les débris du vaisseau
angtois the TUburj , incendié près de l'île de
la Jamaïque , ont été trouvés sur les côtes
de l'Ecosse. Dans ces mêmes parages, on voit
de temps en temps arriver plusieurs espèces
de tortues qui habitent la nier des Antilles.
Lorsque les vents de l'ouest sont de longue
durée , il s'établit dans les hautes latitudes
un courant qui porte directement vers l'esl-
sud-est, depuis les côtes du Grœnland et du
Labrador jusqu'au nord de l'Ecosse. Wailacé
rapporte qu'à deux reprises, en 1682 et i684,
' Pennant, Voyage to ihe Hahridus , 1772, p. 2S2.
Gunneri Acta JVidrosiensia , T. II , p. 4lo. Sloane,
dans les Traits. pkil. , u." 22a, p. SgS, Linné, Amon.
acad.,\o\. VII, p. 477.
' Necher, Coup d'œil sur la nature dans les îles
Hébrides, dau» la Sibl. brin.. Vol. XUI, p. 90.
1^3 LIVEB t. 1
des sauvages américains de la race des Eskî-
maux, poussés au !;ir<fe dans leurs canaux de
cnirs, pendant une tempête, et abandonnés
ù la force des cnurans, sont arrivés aux (les
Orcades '. Ce dernier exemple est d'autant
plus digne d'altention qu'il prouve en même
temps eomment, à une époque où l'art nau-
tique éloit encore dans l'enfance, le mouve-
ment des eaux de l'Océan a pu contribuer à
répandre les diftéretites races d hommes sur
la surface du globe.
Le peu que nous savons jusqu'à ce jour sur
la position absolue et la largeur du Gulf-
strcam , de même que sur sa prolongation
vers les côtes de l'Europe et de l'Afrique , a
été observé accidentellement par un petit
nombre de personnes instruites qui ont tra-
versé l'Atlantique en différentes directions.
Comme la connoissance des courans est de
la plus haute importance pi)ur abréger les
navigations , il seroil aussi utile pour la pra-
tique du pilotage , qu'intéressant pour la
» Jamei WaUace{ofKirk:i-all), uccountofthe I^landt
of Orkney , 1700, p. Go. /V.ïcAer, dans Pallai, Neus
Nordlsche Bettrûge , B. 3, p. 3J0. Les Grœnlaiidoii
ont été aperçus ylvans aus îles £da et Wesu-am,
CHAPITRE I. ]43
pb jsîque, que des vaisseaux, munis d'excellens
chronomètres, croisassent tout exprès dans
le golfe du Mexique et dans TOcéan septen*
tnonal, entre les 3o et 54 degrés de latitude,
pour déterminer à quelle distance se trouve
le Gulf-stream dans différentes saisons et
sous Finfluence de différéns vents au sud des
bouches du Mississipi et à l'est des caps Hat-
teras et Codd. Les mêmes navigateurs pour*
roieot être chargés d'examiner si le grand
courant de la Floride rase constamment Fexr
trémité australe du banc de Terre-Neuve, et
sur quel parallèle, entre les 32 et 4o degrés
de longitude occidentale, les eaux qui cou-
lent de l'est à l'ouest se trouvent le plus près
de celles qui suivent une direction contraire.
Ce dernier problème est d'autant plus im-
portant à résoudre , que les parages que nous
venons d'indiquer sont traversés par la plu^
part des bâtimens qui retournent en Europe,
en venant des iles Antilles , ou du cap de
Bonne -Espérance. Outre la direction et la
vitesse des courans, cette expédition pour-
roit servir à faire connoitre la température df
la mer à sa surface , les lignes sans variation
l'inclinaison de l'aiguille aimantée el Imteosî
l4/j LIVRE I.
des forces magnétiques. Des observations
de ce genre deviennent extrêmement pré-
cieuses , lorsque la position du lieu où elles
ont été fitiles a été déterminée par des moj'eDs
astronomiques. Dans les mei-s les plus fré-
quentées par les Européens, loin de lii vue
des terres, un navigateur habile peut encore
se livrer à des travaux importans. La décou-
verte d'un groupe d'iles inhabitées offre
moins d'intérêt que la connoissance des lois
qui enchaînent un grand nombre de faiU
isolés.
En réfléchissant sur les causes des courans,
OQ reconnoît qu'elles sont beaucoup plus mul-
tipliées qu'on ne le croit généralement; car
les eaux de la mer peuvent être mises en
mouvement soit par une impulsion extérieure,
soit par une différence de chaleur et de sa-
lure, soit par la fonte périodique des glaces
polaires, soit enfin par l'inégalité de l'évapo-
ration qui a lieu à diverses latitudes. Tantôt
plusieurs de ces causes concourent au même
effet, tantôt elles produisent des effets op-
posés. Des vents foibles, mais agissant, comme
les vents alizés , sans interruption sur une zone
entière, causent un niouvemeutdetraiiÂlatioQ
CHAPITRE I. l45
q«€ nous n'observons pas dans les plus fortes
tempêtes, parce que ces dernières sont cir-
conscrites à une petite étendue. Lorsque,
dans une grande masse d'eau, les molécules
placées à la surface acquièrent une pesanteur
spécifique différente, il se forme un courant
superficiel qui est dirigé vers le point où se
trouve l'eau la plus froide ou celle qui est
la plus chargée, de muriale de soude, de sul-
fate de chaux et de miiriate ou de sulfate de
magnésie. Dans les mers des tropiques, on
trouve qu'à de grandes profondeurs, le ther-
momètre ne se soutient qu'à 7 ou 8 degrés
centésimauit. C'est le résultat des nombreuses
expériences du commodore EUis et de celles
de M. Peron. La température de l'air ne
baissant jamais dans ces parages au-dessous
de 19 à 20 degrés, ce n'est pas à la surface
que les eaux peuvent avoir acquis un degré
de froid si voisin du point de la congélation
et du maximum de la densité de l'eau. L'exis-
tence de ces couches froides dans les basses
latitudes, prouve par conséquent un courant
inférieur qui se porte des pôles vers l'équa-
teur : il prouve aussi que les substances sa-
lines qui altèrent la pesanteur spécifique de
I. 10
l/|6 LITRE r.
l'eau, sont distribuées dans l'Océan de ma*
nière ' à ne pas anéantir l'effet produit par les
différences de température.
' En effet, si la salure movenne de la mer étoit
de o,O05 plus forte sous l'équatcur que dans la zone
tempérée, comme Ltaucoup de plijsicieus ie préten-
dent, il en résulleroità la profondeur un courant de
l'équaleur vers le pôle ; car un demi-centième produit
une différence de densité de 0,0017 ; tandis que,
d'après les tables de Hallstrom, un refroidissement
de 16" centésimaux, entre 20 et 4 degrés, ne cause
encore, dans le poids spccîiîquc, qu'un cliangement
de o,oaoi5. En examinant attentivement les résultats
des expériences de liladli, réduits par M. Kirwan
à la température de iG^, je trouve, terme mojea, la
densité de l'eau de rac
■r.
de 0" à 14°
de latitude de
1,0272
de 15" à 25"
de
1,0282
de 30" à 14"
de
1,0273
de 54" à 60°
de
1,0371
Les proportions de sel correspondantes à ces quatre
zones sont, d'après M. Watson, 0,03/4; 0,039'!,
o,o385 et 0,0373. Ces nombres prouvent suflisam-
ment que les expériences publiées jusqu'ici ne justi-
fient aucunement l'opinion reçue que la mer est plus
salée sous l'équaleui- que sous les 3oet 4V déférés de
latitude. Ce n'est donc pas une jiliis grande quantité
He subataaces salioes tenues eu dissolution qui s'op*
CnAPITAE I. 1^7
Eq considérant la vitesse des nnolécules
variables selon les parallèles^ à cause du
mouvement de rotation du globe, on pour-
roit être tenté d'admettre que tout courant,
dirigé du sud vers le nord , tend en même
temps vers Test, tandis que des eaux qui se
portent du pôle vers Téquateur tendent à dé-
vier vers Touest. On pourroit penser aussi que
ces tendances diminuent, jusqu'à un certain
point /la vitesse du courant des tropiques,
de même qu'elles altèrent la direction du.
courant polaire qui, aux mois de juillet et
d'août, se fait sentir régulièrement, pendant
la fonte des glaces, sur le parallèle du banc
de Terre-Neuve , et plus au nord. Des obser-
vations nautiques, très-anciennes , et que j'ai
pose k ce coûtant inférieur , par lequel l'Océan équl-
noxial reçoit des molécules d'eau qui, pendant F hîyer
des zones tempérées , sont descendues vers le fond de
la mer, sous les 3o à 44 degrés de latitude boréale et
australe. Baume a analjsé l'eau de mer recueillie par
Pages, sur difiérens parallèles : il a trouvé cette eau
d'un demi-centième moins salée à i^ 16' de latitude
qu'entre les 25 et 4o degrés {Kirvan, Geol, Sssays,
f, 35o. Pages, Voyage autour du monde, T. II, p. 6
et 375). A
10*
l48 LIVRE 1.
eu occasion de confirmer en comparant la
longitude donnée par le chronomèlre avec
celle que les pilotes olUenoient par l'eslime,
sont contraires à ces idées théoriques. Dans
les deux hémisphl-res, les courans polaires,
lorsqir'Us se font sentir, déclinent un peu vers
l'est ; et noHs pensons que la cause de ce phé-
nomène doit être cherchée dans la constance
des vents d'ouest qui dominent dans les hautes
latitudes. D'ailleurs les molécules d'eau ne se
meuvent point avec la même rapidité que les
molécules d'air; et les courans de l'Océan,
que nous regardons comme les plus rapides,
n'ont qu'une vitesse de 8 à 9 pieds par se-
conde : il est par conséquent très-probable
que l'eau, en passant par les dilTérens paral-
lèles, acquiert peu à peu la vitesse qui leur
correspond, et que la rotation de la terre ne
change pas la direction des courans.
Les pressions variables qu'éprouve la sur-
face des mers, par les changemens du poids
de l'air, sont une autre cause du mouvement
qui mérite nue attention particulière. II est
connn que les variations barométriques n'ont
généralement pas lieu simultanément sur deux
points éloignés qui se trouvent au inêuie
chapithe I. i4()
niveau. Si, dans un de ces poînls, le baro-
mètre se soutient de quelques lignes plus bas
que dans l'autre, l'eau s'y élèvera à cause de
la moindre pression de l'air, et cette intu-
mescence locale durera jusqu'à ce que, par
l'effet du vent, l'équilibre de l'air soit rétabli.
M. Vaucher pense que les marées du lac de
Genève, connues sous le nom de seiches j
tiennent à cette même cause. Sous la zone
torride , les variations horaires du baromètre
peuvent produire de petites oscillations à la
surface des mers, le méridien de 4'' , qui cor-
respond au minimum de la pression de l'air,
se trouvant situé entre les méridiens de 2 1'' et
de 1 1^ sur lesquels la liauteur du mercure est
la plus grande ; mais ces oscillations , si toute-
fois elles sont sensibles, ne seront accompa-
gnées d'aucun mouvement de translation.
Partout oii ce dernier uiouvemenl est pro-
duit par l'inégalité de \a pesanteur spécifique
des molécules, il se forme un double courant,
dont le supérieur a une direction contraire à
l'inférieur. C'est ainsi que, dans la plupart
des détroits, de même que dans les mers des
tropiques qui reçoivent les eaux froides des
régions boréales , toute la masse d'eau est
j5o LIVRE T.
agitée jusqu'à de grandes profondeurs. Nous
ignorons s'il en est de même lorsque le mou-
vement de translation , qu'il ne faut pas con-
fondre avec l'oscillation des vagues, est l'effet
d'une impulsion extérieure. M. de Fleurieu ,
dans la relation du voyage de l'Isis ' , elle
plusieurs faits qui rendent probable que la
nier est beaucoup moins calme au fond que
les physiciens ne l'adraeLtent généralement.
Sans entrer ici dans une discussion dont nous
nous occuperons dans la suite, nous obser-
verons seulement que si l'impulsion extérieure
est constante dans son action, comme celle
des vents alizés, le frottement qu'exercent
les molécules d'eau les unes sur les autres
doit nécessairement propager le mouvement
de la surface de l'Océan jusque dans les
coucbes inférieures. Aussi les navigateurs ad-
mettent-ils depuis long-temps celte propaga-
tion dans le G ulf-itream : ils croient en recon-
noîlre les effets dans la grande profondeur
que la mer a partout oii elle est traversée par
le courant de la Floride, même au milieu des
' yoyage fait par ordre durai en 17G8 eï 1^63/JOUV
iprciwer les horloges marines j T. 1, p. Si3.
CHAPITHE I. ï5l
bancs de sable qui enlourenl les côtes sep-
tentrionales des Etals-Unis. Cette immense
rivière d'eaux chaudes, après avoir parcouru,
en cinquante jours, depuis les 2^ jusqu'aux
45 degrés de latitude, une longueur de
45o lieues, ne perd pas, malgré les rigueurs
de l'hiver dans la zone tempérée , 3 à 4 de-
grés de la température qui lui est propre
sous les tropiques. La grandeur de la masse
et le peu de conductibilité de l'eau pour le
calorique empêchent un refroidissement plus
prompt. Or , si le Gulf-slreani s'est creusé un
lit au fond de l'Océan Atlantique , et si ses
eaux sont en mouvement jusqu'à des profon-
deurs considérables, elles doivent aussi con-
server dans leurs couches inférieures une
température moins basse que celle que l'on
observe sur le même parallèle, dans une por-
tion de la mer dépourvue de courans et de
bas-fonds. Ces questions ne peuvent être éclair-
cies que par des expériences directes faites
avec des sondes ihermoniétriques.
Sir Ërasmus Gower observe que, dans la
traversée d'Anfrleterre aux îles Canaries, on
entre dans le courant qui entraîne les vais-
seaux ver» le sud-est, depuis les Sg degrés
L
I
l52 LIVRE I.
de lutitude. Pendant noli-e naçigation delà
Corogiie aux eûtes de l'Ainériqne méridio-
naît', l'effet de ce mouvement des eaux se fit
senlir encore plus au nord. Du 5y.^ au3o.* de-
gré , la déviation fut 1res - inégale ; l'effet
diurne nio^en étoil de la niiUcs, c'est-à-dire
que notre corvelLe se trouva poussée vers l'est,
en six jouis, de y5 milles. En coupant le pa-
rallèle du détroit de Gibraltar, à i/io lieues
de distance, nous eûmes occasion d'observer
que , dans ces parages, le maximum de la
■vitesse ne correspond pas à l'ouverture du
détroit mcnie, maïs à un point plus septen-
trional , qui se trouve sur le |)rolongement
d'une ligne qui passe par le détroit et le cap
Saint-Vincent. Celte ligne est parallèle à la
direction que suivent les eaux, depuis le
groupe des îles Açores jusqu'au cap Canliu.
li i'aut observer de pins, et ce fait n'est pas
-sans intérêt pour ceux qui s'occupent du
mouvement des fluides, que dans cette partie
du courant rétrograde, sur une largeur de
X30 à i/(0 lieues, toute la masse d'eau n'a
pas la niêuic vitesse, et qu'elle ne suit pas
exactement la mùmc direction. Lorsque la
mer est parfailLiueiit calme, il puroit à sa
CHAPITRE I. i53
surface des bandes étroites , semblables à de
petits ruisseaux, et dans lesquelles les eaux
courent avec un bruit très-sensible pour l'o-
reille d^un pilote expérimenté. Le i3 juin ,
par les 34^ 36' de latitude boréale, nous
nous trouvâmes au milieu, d'un grand nom-
bre de ces lits de courans. Nous pûmes en
relever la direction avec la boussole : les uns
portoient au nord-est, d'autres à Fest-nord-est,
quoique le mouvement général de l'Océan ,
indiqué par la comparaison de l'estime et de
la longitude chronométrique,-continuât à être
au sud-est. Il est très-commun de voir une
masse d'eaux immobiles traversée par des
filets d'eau qui courent dans différentes di-
rections ; on peut observer ce phénomène
journellement à la surface de nos lacs : mais il
est plus rare de trouver des mouvemens par-
tiels imprimés par des causes locales à de
petites portions d'eau au milieu d'une rivière
pélagique qui occupe un espace immense,
et qui se meut dans une direction constante,
quoique avec une vitesse peu considérable.
Dans le conflit des courans , comme dans l'os-
cillation des vagues, notre imagination esl
frappée de ces mouVemens qui semblent se
l54 LIVRB I.
pénétrer^ et dont TOcéan est sans cesse
agite.
Nous passâmes le cap Saint-Vincent, qui
est de formation basaltique^ à plus de 80 lieues
de distance. On cesse de le voir distinctement
lorsqu'on en est éloigné de plus de i5 lieues;
mais la montagne granitique appelée la Foja
de Monchique^ située près du cap, se dé-
couvre^ à ce que prétendent les pilotes^
jusqu'à 26 lieues en mer '• Si cette assertion
est exacte, la Foja a une élévation de 700 toises
( 1 363.") ; elle est par conséquent de 1 1 6 toises
(225.") plus haute que le Vésuve. On est
surpris que le gouvernement portugais n'en-
tretienne pas de feu dans un endroit qui doit
être reconnu par tous les vaisseaux qui viennent
du cap de Bonne - Espérance ou du cap, de
Hôrn; c'est l'objet dont ils attendent la vue
avec le plus d'impatience. Entre le Ferrol et
Cadix, il n'y a qu'un seul phare, celui du
cap La Rocque, qui puisse guider le navigateur
sur des côtes dont l'accès est très-dangereux.
' Elementoê de Navesacion de Don Dionisio Mcb*
carte, p. 47. Borda^ Voyage de la Flore^ Yol. I, p. Sg,
PL II. Linh et Hofmannsegg ^ Voyage en Portugal ,
T. II,p. i28jT.llI,p. 323.
CHAPITRE I. 185
Les feux de la Tour d'Hercule et du cap
Spichel sont si foibles et si peu visibles au
loin que Ton ne peut les citer. D'ailleurs le
couvent des capucins qui domine le cap
Saint-Vincent seroit un des endroits les plus
propres à établir un fanal giratoire semblable
à ceux de Cadix ou de Tembouchure de la
Garonne.
Depuis notre départ de la Corogne jus-
qu'aux 36 degrés de latitude , nous n'avions
aperçu , à l'exception des hirondelles de mer
et de quelques dauphins , presque aucui^ élre
. organisé. Nous attendions en vain des fucus
et des mollusques. Le 11 juin nous fûmes
frappés d'un spectacle curieux » mais qui dans
la suite s'est répété souvent pour nous dans
la mer du Sud. Nous entrâmes dans une zone
où toute la mer étoit couverte d'une pro-
digieuse quantité de méduses. Le vaisseau
étoit presque en calme, mais les mollusques
se portoient vers le sud-est avec une rapidité
quadruple de celle du courant. Leur passage
dura près de trois quarts d'heure. Bientôt
nous ne vîmes plus que quelques individus
épars^ suivant de loin la foule, comme s'ils
étoient lassés du voyage. Ces animaux vien**
l56 LIVRE î.
nent-ils dn fond de la mer qui, dans ces
parages, a peut-être plusieurs milliers de
loises de profondeur? ou fonl-ils, par bandes,
des voyages lointains ? On sait que les niol-
lusques aiment les bas-fonds; et si les huit
roches à fleur d'eau , que le capitaine Vobonne
affirme avoir vues en 1732 , au nord de l'île
de Porto Santo, existent effectivement , on
peut admettre que cette innombrable quantité
de méduses en a été détachée : car nous
n'étions qu'à 28 lieues de cet écueiL Nous
reconnûmes, outre le Médusa aurita de Baster
et le M. pelagica de Bosc , à huit tentacules
(Pelagia denticula, Peron), une troisième
espèce qui se rapproche du M. hysocella , et
que Vandelli a trouvée à l'embouchure du
Tage. Elle se distingue par sa couleur d'un
brun-jaunâtre et par ses tentacules qui sont
plus longues que le corps. Plusieurs de ces
orties de mer avoient 4 pouces de diamètre :
leur reflet presque métallique , leurs couleurs
chatoyantes en violet et en pourpre, con-
trastoient agréablement avec la teinte azurée
de l'Océan.
Au miUeu de ces méduses, M. Bonpland
observa des paquets de Dagysa notata, mol-
CnAPITRE I. iS^
tusqiie d'une slnicture bizarre que sir Joseph
Banks a fait connoilre le premier. Ce sont de
petits sucs gélylineux, transparens, cylin-
driques , quelquefois polygones , qui ont
i5 lignes de long, sur a à 3 lignes de dia-
mètre. Ces sacs sont ouverts aux deux bouts.
A l'une de ces ouvertures , on observe une
vessie hyaline marquée d'une taclie jaune.
Les cylindres sont longitudinalement collés les
uns aux autres comme des cellules d'abeilles ,
et forment des chapelets de 6 à 8 pouces de
longueur. J'essayai en vain l'électricité gal-
vanique sur ces mollusques : elle ne produisit
aucune contraction. Il paroît que le genre
Dagysa , formé à l'époque du premier voyage
de Cook , appartient anx Salpas ( Bipborcs
de Bruguière ) auxquels M. Ciivier a réuni
le Thaiia de Brown et le Telhis vagina de
Tilesius. Les Salpas voyagent aussi par groupes
en se réunissant en chapelets, comme nous
l'avons observé dans le Dagysa '.
Le t5 juin , le matin , par les 54° 53' de
latitude , nous vîmes encore passer de grands
' Iteladcn des F'oyng.'s entir/'ris par ordre df
S. M. Britannique, l78r),T. III, p. i''l. J'uudt:-: du
Muséum, ï. IV, p. 36o.
lijS LIVRE r.
amas de ce dernier irjollttsqne , la mer ëlant
parfaileinent calme. Nous observâmes pendant
la Quit que des trois espèces de méduses que
nous avions recueillies aucune ne répandoil
de lueur qu'au moment d'im clioc très-léger.
Cette propriété n'appartient donc pas exclu-
sivement au Médusa nocliluca que Forskœl
a décrite dans sa Fauna yEgyptiaca, et que
Gmelin a rapportée à la Médusa pelagica de
Lœfling, malgré, ses tentacules rouges et les
lubérosités brunâtres de son corps. En plaçant
une méduse très - irritable sur une assiette
d'étain, et en frappant contre l'assiette avec
un métal quelconque , les petites vibrations
de l'étain suffisent pour faire luire l'animal.
Quelquefois , en galvanisant des méduses ,
la pliorpliorescence paroîl au moment que
la chaîne se ferme , quoique les excilaleurs
ne soient pas en contact immédiat avec les
organes de l'animal. Les doigis, a\ec lesquels
on l'a touché, restent luisans pendant deux
on trois minutes, comme on l'observe aut^si
en brisant la coquille des Pholades. Si l'on
fi ollc du bois avec Je corps d'une méduse ,
et que Tcndroil frotté ait déjà cessé de luire ,
la phospliorescence renaît si l'on passe la
CHAFITHB I. l5i)
main sèdie sur le bois. Quand la lumière
s'éteint une seconde fois , on ne peut plus la
reproduire , quoique Tendroit frotté soit
encore humide et visqueux. De quelle manière
doit-on envisager lefiet du frottement ou
celui du choc ? Cest une question difficile à
résoudre. Est-ce une légère augmentation
de température qui favorise la phosphores-
cence 9 ou la lumière renait-elle parce qu'on
renouvelle la surface i en mettant en contact,
avec Foxjgène de Tair atmosphérique , les
parties animales propres à dégager de l'hydro-
gène phosphore? J'ai constaté, par des expé*
riences publiées en 1 797 , que le bois luisant
s'éteint dans le gaz hydrogène et dans le gaz
azote pur , et que sa lueur reparoît dès que
Ton y mêle la plus petite bulle de gaz oxygène.
Ces faits, auxquelles nous en ajouterons plu-
sieurs autres dans la suite , conduisent à dé-
couvrir les causes de la phosphorescence de
la mer et de cette influence particulière que
le choc des vagues exerce sur la production
de la lunûère.
Lorsque nous nous trouvâmes entre Tile
de Madère et les côtes d'Afrique, nous eûmes
de petites brises et des calmes plats , très-
ifiO LIVRE I.
favorablesaiix observations magnétiques, dont
je m'occupuis (!;ins celte traversée. Nous ne
pouvions nous lasser d'admirer la beauté des
nuits : rien n'approche de la transpîjrencc et
de la sérénité du ciel africain. Nous fûmes
frappés de la prodigieuse quantité d'étoiles
filantes qui toniboient à chaque in.starit. Plus
nous avancioLis vers le sud , et plus ce phéuo-
niène deveiioit fréquent , surtout près des îles
Canaries. Je crois avoir observé, pendant
mes courses, que ces météores ignés sont eo
général plus comnuinset plus lumineux dans
certaines régions de la terre que dans d'autres.
Je n'en ai jamais vu de si multipliés que dans
le voisinage des volcans de la province de
Quito , et dans cette partie de la mer du Sud
qui baii^^ne les côtes volcaniques deGuatimala.
L'inlluencc que les lieux , les climats et les
saisons parolssent avoir sur les étoiles filantes,
distingue cette classe de météores de ceux qui
donnent naissance aux aérolilhes , et qui vrai-
semblablement existent }ior,s des limites de
rroire atmosphère. D'après les observations
correspondantes de MM, Benzeuberg' et
■ Gilbert. Anmikn iU Phjmk, Th. XII , p. ZQ8.
CHAPITRE I. 161
Brandes, beaucoup d'étoiles filantes vues ea
Europe n'avoient que Soooo toises de hauteur.
On en a même mesuré une dont l'élévation
n'excédoit pas i4ooo toises ou cinq lieues
marines* Ces mesures, qui ne peuvent donner
qiae des résultats par approximation y méri-
teroient bien d'être répétées. Dans les climats
chauds , surtout sous les tropiques , les étoiles
filantes laissent fréquemment derrière elles
une traînée qui reste lumineuse pendant iz
ou i5 secondes : d'autres fois elles paroissent
crever en se divisant en plusieurs étincelles,
et généralement elles sont beaucoup plus
basses que dans le nord de l'Europe. On ne
les voit que par un ciel serein et azuré ; peut-
être n'en a-t-on jamais aperçu au-dessous
d'un nuage. Souvent les étoiles filantes suivent
iunemême direction pendant quelques heures,
et cette direction est alors celle du \ent '.
Dans le golfe de Naples , nous avons observé,
M, Gay-Lussac et moi, des phénomènes lumi-
«
* C'est le résultat des nombreuses obseryations de
M. Arago qui, lors de la prolougatîon de la mérl-
dîenne en Espagne , a pu suivre la direction des mé«
téores pendant des nuits entières sur le Tosal d'En-^
canade^ montagne du royaume de Yalence.
I. 11
102 LIVRE I.
neux très-analogues à ceux qui ont fixé mon
attention pendant un long séjour à Mexico
et à Quito. Ces météores sont peut-être
modifiés par la nature du sol et de Tâir^
comme certains effets du mirage et *de la
réfraction terrestre propres aux côtes de la
Galabre et de la Sicile.
Nous ne vimes dans notre navigation ni
les îles Désertes ni Madère. J'aurois désiré
pouvoir vérifier la longitude de ces îles, et
prendre les angles de hauteur des montagnes
volcaniques qui s'élèvent au nord de FuncbaL
M. de Borda ' rapporte que ces montagnes
se voient à 20 lieues de distance , ce qui ne
prouveroit qu'une hauteur de 4i4 toises
( 8061B.) : mais nous savons, par des mesures
récentes , que la cime la plus élevée ' de Madère
a 5162 pieds anglois, ou 807 toises. Les petites
* Voyage de la Flore, T. I, p. ^5, Le Salvage est
visible à 8 lieues; les petites îles Désertes le sont à
12 lieues de distance. Borda y T. I , p. ^7 et 70.
^ Smith, Tour of the Continent, Vol. I, p. 2oo»
Irish Trans,, Vol. VIII, p. 124. D'après Heberdeen,
le pic B-uivo de Madère est élevé de 696 toises au*
dessus de la plaine qui environne sa base. Premier
voyage de Çook, Tom. I. p. 272.
CHAPITRE I.
165
I Salv;
. Désertes i
recueille de l'Orseille et du Mescmbryan-
iheoum crystallinuin , n'ont pas 2uo toises
de hauteur perpendiculaire. Je pense qu'il
est utile de fixer l'attention des navigateurs
sur ces déterminiitions, parce que, d'après
une méthode dont cette relation offre plusieurs
exemples, et que Borda, lord Mulgrave, M. de
RosseletdonCosmeChurruca, ont employée
avec succès dans leurs expéditions, on peut,
par des angles de hauteur pris avec de bons
instrumens à réflexion, connoître avec une
précision suffisante la distance â laquelle le
vaisseau se trouve d'un cap ou d'une lie
hérissée de montagnes.
Lorsque nous nous trouvâmes à l\o lïeues
dans Test de l'île de Madère, une hirondelle
vint se placer sur le hunier. Elle étoit si fati-
guée , qu'elle se laissa prendre aisément.
Cétoit l'hirondelle des cheminées '. Qu'est-
ce qui peut engager un obeau , dans celle
saison et par un temps calme, à volerai loin?
Dans l'expédition de d'Entrecasteaux , on
Tit également une hirondelle de clieniinée
' Itinindo rustka , Lïn.
164 LIVRE I.
à 60 lieues de distance du cap Blauc; mais
c'éloit vers la fin d'oclobie, et M, Labillar-
dière lacrul nouvelleaienl arrivée d'Europe.
Nous traversions ces parages au mois de
juin, à une époque où, depuis long-temps,
la mer n'avoit pas élé agitée par des tem-
pêtes. J'insiste sur celte dernière circons-
tance , parce que de petits oiseaux , et même
des papillons, sont quelquefois jetés au large
par l'impétuosité des venis , comme nous
l'avons observé dans la mer du Sud, étant
à l'onest des côtes du Mexique.
Le Pizarro avoil ordre de toucher à l'île
de Lancerotle ( Lanzarote) , une des sept
grandes îles Canaries, pour s'informer si
les Anglois bloquoient la rade de Sainte-
Croix de Ténériffe. Depuis le i5 juin on étoît
inquiet sur la route qu'on devoit suivre.
Jusque-là, les pilotes, à qui l'usage des
horloges marines n'étoit pas très -familier,
avaient montré peu de confiance dans la
longitude que j'oblenois assez régulièrement
deux fois par jour, par le transport du temps,
en prenant des angles horaires le matin et
le soir. Ils hésitèrent de gouverner au sud-
est, de peur d'attaquer le cap de Nun, ou
CBAPITItE I. l63
do moins de laisser l'ile de Lancerote à 1 ooest.
Sofia, le 16 jnia, à neuf heares do matio,
lorsque noas noos troonoos déjà par 2g*> 36'
de latitade, le capitaioe cbangea de romb
et fit Foote à l'est. La precisioo du garde-
temps de Loois Bertfaoud fot bientôt re-
connue : à deux heures de l'après-midi,
nous eûmes la vue de la terre, qui parois-
soit comme un petit uua^ fixé à l'horizon.
A cinq heures, le soleil étant plus bas, l'Ile
de Lancerote se présenta si distinctement que
je pus prendre l'angle de hauteur d'une
montagne conique qoî domine majestueu-
sement sur les autres cimes , et que nous
crûmes être le grand volcau qui avoit fait
tant de ravage dans la nuit du 1." sep-
tembre lySo.
Le courant nous entraîna vers la côte plus
rapidement que nous ne le désirions. En
avançant, nous découvrîmes d'abord 1%; <
PortaTenture {^ortefentura) , célèh
grand nombre de chameaux ' qu'el
' Ces chameaux , qui servent aux lai
le peuple mange quelquefois la ch;
toieot pas arant que les Bétheacourts
fpètt des Ues Canaries, Au selsième
l66 LIVRE I.
et, peu de lenips après, nous vîmes la petite
î]e de Lobos , dans le canal qui sépare
ForlavenLure de Lancerote. Nuns passâmes
une partie de la nuit sur le tillac. La lune
éclairuit les cimes volcaniques de Lancerote,
dont lespenLes, couvertes de cendres, réflé-
toienl une luinicre argentée. Antarès brilloit
prés du disque lunaire, qui n'étoit élevé que
de peu de degrés au-dessus de l'horizon. La
nuit éloit d'une sérénité el d'une fraîcheur
admirables. Quoique nous fussions très-peu
éloignés des côtes d'Afrique et du bord de
la zune lorridc , le iLerraomètre centigrade
ne se soutenoit cependant pas au - dessus
de i8'. La phosphorescence de l'Océan
paroissr il ;iu;;nieii(er la masse de lumière
rép,mduc d^iis l'air. Je pouvois lire, pour
la première lois, le vernicr d'un sextant de
Troughlon de deux pouces, dunt la division
e'dtoient tellement multipliés dans l'ite de Fortâven-
ture, iju'ils éLoient devenus sauvages, et qu'il fallut
leur donnei' la chasse. On en tun plusieurs milliers
poui- sriuver les récoltes. Les tlievaus de Forlaventure
sont d'une beauté remarquable et de race barbares-
que. JVoticias de la hUturia gênerai de las islas Ca-
narias,por don José de Viera , Tom. II, p. 436.
CHAPITRE I. 167
étoit très-fine y sans éclairer le limbe par une
bougie. Plusieurs de nos compagnons de
TOjage étoient Canariens : comme tous les
habitait des îles j ils vantoient avec enthou«
siasme la beauté de leur pays. Après minuit,
de gros nuages noirs s'élevant derrière le
volcan couvrirent par intervalles la lune et
la belle constellation du scorpion. Nous
vîmes du feu que Ton portoit ça et là sur
le rivage. G'étoient vraisemblablement des
pécheurs qui se préparoient à leurs travaux.
Nous nous étions occupés, pendant toute la
route , à lire les anciens voyages des Espa-
gnols, et ces lumières mouvantes nous rappe^
loient celles que Pedro Gutierrez, page de
la reine Isabelle, vit à Tile de Guanahani,
dans la nuit mémorable de la découverte
du nouveau monde.
Le 17 au matin, rhorizon étoit brumeux,
et le ciel légèrement couvert de vapeurs.
Les contours des montagnes de Lancerotte en
paroissoient d'autant plus tranchés. L'humi-
dité, en augmentant la transparence de l'air,
semble en même temps rapprocher les objets.
Ce phénomène est très-connu de ceux qui
ont eu occasion de faire des observations
l6S LIVRE I.
hvfjro métriques dans des endroits d'où Ton
voit la chaîne des hautes Alpes ou celle des
Audes. Nous passâmes, la sonde à la main,
par le canal qui sépare l'île d'^Vlegranza de
Montana Clara. Nous examinâmes cet archi-
pel d'îlots situés au nord de Lanoerote, et
qui sont si mal figurés, tant dans la carte,
d'ailleurs très-exacte de M. de Fleurieu, que
dans celle qui est jointe an voyage de la
frégate la Flore. La carte de l'Océan Atlan-
tique publiée en 1786^ par ordre de M. de
Caslries, oIFèc les mêmes erreurs. Comme
les courans sont extrêmement rapides dans
ces parages, il est important, ponr la sûreté
de la navigation, d'observer ici que la posi-
tion des cinq petites îles Alegranza, Clara,
Graciosa, Roca del Este et Infierno ne se
trouve indiquée avec exaclilnde que dans la
carte des îles Canaries de M. de Borda et
dans l'Atlas de ïohno, Ibndé poar cette
partie sur les observations de don José
Varela, qui sont assez conformes à celles de
la frégate la Boussole.
Au milieu de cet arcliipel, qui est rare-
ment Iraversé par les vaisseaux deslinés pour
TéncrilTe, nous fûmes singulièrement iVappés
CHAPITRE I. 16^
de la confignration des côtes. Nous nous
CFÙmes transportés aux Monts -Euganéens
dans le Yicentin , ou aux rives du Rhin près
de Bonn '. La forme des êtres organisés
varie selon les climats , et c'est celte extrême
variété qui rend si attrayante Fétude de la
géographie des plantes et des animaux ; mais
les roches , plus anciennes peut-être que les
causes qui ont produit la différence des cli^
mats sur le globe . sont les mêmes dans les
deux hémisphères". Les porphyres renfermant
du feldspath vitreux et de Famphibole, les
phonolites ^, les griinsteins ^ les amygdaloïdes
et les basaltes affectent des formes presque
aussi constantes que les matières simples
cristallisées. Aux îles Canaries , comme en
Auvergne , dans le Millelgebirge en Bohême,
comme an Mexique et sur les bords du Gange,
la formation de trapp s'annonce par une
disposition symétrique des montagnes , par
des cônes tronqués , tantcrt ivjlés S tanlAt
* Sûèengtèirge , décrit par M. ^^rw:*
I^O LITRE I.
accouplés, par des plateaux dont les deux
exlrëmilés sont conronnces d'un mamelon.
Toute la partie occidentale de Lancerote,
que nous vîmes de près, porte le caractère
d'un pays récemment bouleversé par des
feux volcaniques. Tout est noir, aride, et
dénué de terre végétale. Nous distinguâmes,
avec la luuette, du basalte stratifié en couches
assez minces et fortement inclinées. Plusieurs
collines ressemblent au Montc-Novo, près
de Naples, ou à ces monticules de scories
et de cendres que la terre entr'ouverte a
élevés dans une seule nuit au pied du volcan
de Jorullo, au Mexique. En effet, l'abbé
Viera ' rapporte qu'en i ySo , plus de la moitié
de l'ile changea de face. Le Grand P^otcan,
dont nous avons parlé plus haut, et que les
habitans appelleni le volcan de Temanfaja j
ravagea la région la plus fertile et la mietix
cultivée; neuf villages furent alors entière-
ment déirnits par le débordement des laves.
Un violent tre,. blcment de terre avoit pré-
cédé cette catitstropbe, -et des secousses éga-
lement fortes se firent sentir pendant plusieurs
' Fiera, Tom. II, p. 'lo'i.
CHAPITHE I.
années. Ce dernier plienomène est d'autant
plus remarquable qu'il se présente rarement
à la suite d'une irruption , lorsque les vapeurs
élastiques ont pu se faire jour par le cra-
tère, après l'écoiilemeiil des matières fon-
dues, lia cime du grand volcan est une colline
arrondie, qui n'est pas entièrement conique.
D'après les angles de hauteur que j'ai pris
à diiTérentes distances, son élévation absolue.
ne paroît pas excéder de beaucoup 5oo loiscs.
Les monticules voisins et ceux de l'Alegranza
et dTsIa Clara ont à peine loo à i20 toises.
On est surpris de ne pas trouver plus élevés
des sommets qui, vus de la mer, offrent un
spectacle si imposant. Mais rien n'est plus
incertain que notre jugement sur la grandeur
des angles, que souteudent les objets tout
près de l'iiorizon. C'est d'après des illusions
de ce genre , qu'avant les mesures ' faites
par MM. de Churruca et Galeano . au cap
Pilar, les navigateurs ont regardé comme
extrêmement élevées les montagnes do détroit
de Magellan et celles de la Terre de Feu.
' Churruca, Apendice a la Rtlacion deî f^iofe ai
Kagtitanea, ij%i, p. 76-
L'île de Lancerote portoit jddis le nom de
TiteFX)igotra.IjOTS^deYaTvivée des Espagnols,
ses habitans se distinofuoient des autres Gana^
riens par les traces d'une civilisation plus
avancée. Us avoient des maisons construites
en pierres de taille, tandis que les Guanches
de Ténériffe, en vrais Troglodytes, demeu-:
roient dans les cavernes. A Lancerote, régnoit
alors une institution ' très-singulière , et dont
on ne trouve d'exemple que chez les Tibé-
tains. Une femme avoit plusieurs maris, qui
)Ouissoient alternativement des prorogatives
dues à un chef de famille. Un mari n'étoit
regardé comme tel que pendant une révo-
lution lunaire ; et , tandis que ses droits étoiaoït
exercés par d'autres , il restoit confondu avec
les domestiques de la maison. On doit re-
gretter que les religieux qui ont accompagné
Jean de Béthéncourt , et qui ont tracé l'his-
toire de la conquête des Ganaries, ne nous
' * Fiera, Tom. I, p. i5o, 171 , 191. Du Halde ^
Descrîpt. de la Chine , Tom. IV, p. 46i. Au Tibet,
la polyandrie est cependant moins commuùe qu'on
ne le pense > et réprouvée par le clergé. Hakmann
dans Pallas , Neue Nordiscke Beitrâge ^ B* III ,
p. 282.
CHAPITRB U 1^3
aient pas donné plus de renseignemens sur
les mœurs d'un peuple chez lequel oo troowok
des usages si bizarres. An quiozième siède^
111e de Lancerote renfennoit deux petits états
distincts et séparés par une muraille, genre
de monumens qui survivent aux haines jutio-
Dales et qui se retrouvent en Ecosse, an
Pérou et en Chine.
Les vents nous forcèrent de passer entre
les îles Àlegranza et Montana Clara. Comme
personne , à bord de la corvette , n*avoit
navigué dans cette passe, il fallut jeter la
sonde. Nous trouvâmes fond à vingt-cinq et
trente-deux brasses. Le plomb rapporta une
substance organique , d'une structure si sin-
gulière , que nous restâmes long-temps in-
décis si c'éloit un Zoophjte ou une espèce
de Fucus. Le dessin que j'en ai fait sur les
lieux est gravé dans le second volume de nos
Plantes éqidnoxiales\ Sur une tige bru-
nâtre de trois pouces de long, s'élèvent iU:%
feuilles rondes, lobées et crénelée* au Jk/t/I
Leur couleur est d'un vert tendre : tW^ v/t.t
membraneuses et striées ijpntu^, Vx UmhU^.
I
174 LIVRE I.
des Adiantès et du Ginkgo Ifloba. Leur
surface est couverte de poils roides et blan-
châtres; avant leur développement, elles sont
concaves et enchâssées les unes dans les autres.
Nous nj observâmes aucun vestige de mou-
vement spontané, aucun signe d'irritabilité,
pas même en appliquant l'électricité galva-
nique. La tige n'est pas ligneuse, mais d'une
substance presque cornée , semblable à l'axe
des Gorgones. L'azote et le phosphore avant
été trouvés abondamment dans plusieurs
plantes cryptogames, il auroit été inutile d'en
appeler à la chimie pour décider si ce corps
Organisé appartient au règne végétal ou au
règne animal. La grande analogie qu'il oflFre
avec quelques plantes marines à feuilles
d'Adiante, surtout avec le genre Gaulerpa
de M. Lamoureux, dont le Fucus prolifer
de Forskâl est une des nombreuses espèces ,
nous a engagés à le ranger provisoirement
parmi les varechs ou goémons , et à lui
donner le nom de Fucus vitifolius. Les poils,
dont cette plante est hérissée, se felrôuvent
dans beaucoup d'autres Fucus'. La feuille,
* Fucus lycopodiïdes, et F. hirsutus.
CHAPITRE I. lyo
examinée au microscope à l'instaot où l'on
venoit de la retirer de l'Océan, ne présen-
toit pas, il est vrai, ces glandes conglobées
ou ces points opaques qui renferment les
parties de la fructification dans les genres
Ulva et Fucus ; mais combien de fois oe
trouve-t-on pas des varechs dans un état tel
qu'on ne distingue encore aucune trace de
graines dans leur parenchyme transparent?
Je ne serois pas entré dans ces détails,
qui appartiennent à l'histoire naturelle des-
criptive , si le Fucus à feuilles de viorne n'of-
froit pas un phénomène physiologique d'ua
intérêt plus général. Fixée sur un morceau
de madrépore , cette algue marine végétoit
au fond de l'Océan , à une profondeur de
192 pieds, et cependant ses feuilles étoient
aussi vertes que celles de nos graminées,
D'après des expériences de Bouguer ', la
lumière est affoiblie après un trajet de 180
' Traité d'Optique, p. 256 , u64 et 34fl. Le Fucus
Titifolius ne peut aToir été éclairé , à trente-deux
brasses de profondeur, que par «ne lumière 2o3 fois
plus forte que celle de la lune , et par conséquent
égale à la moitié de l;i lumière que répand une chan-
delle vue à un pied de distance. Or, d'après mes
176 LIVRE I.
pieds, clans le rnpport de 1 à 1/177,8. Le
varech tie l'Alepranza présente par consé-
quent lin nouvel exemple de plaintes qui
végèlent dans une grande obscurité sans être
étiolées. Plusieurs germes, encore enveloppés
dans les bulbes des Lilîacées, l'embrjon
des Malvacées, des Rliamnuïdfs, du Pîslacia,
du Viscum et du Citrus , les branches de
quelques plantes souterraines; enfin des vé-
gétaux, transportés dans des mines où l'air
ambiant contient de l'hydrogène ou une
grande quantité d'azote , verdissent sans lu-
mière. D'après ces faits, on est tenté d'ad-
meltre que ce n'est pas seulement sous l'in-
fluence des rayons solaires que se forme,
dans les organes des végétaux, ce carbure
d'hydrogène dont la présence fait paroître
le parenchyme d'un vert plus ou moins foncé,
selon que le carbonne prédomine dans le
mélange '.
cxpcriciices directes, le Lepitiium sativum ne verdil
presque pas sensiblement à la lumière vive de deux
lampes d'Argand, Voyez aussi Lambert, l'hotoaulna,
p. 323.
' Ces idées se trouvent en partie exposées dans mon
; sur les phéaomèiiGS de l'étiolement ( Jour-
CHAPITRE I. 177
M. Turner^ qui a si bien fait connoftre la
famille des varechs , et beaucoup d'autres
botanistes célèbres , pensent que la plupart
des Fucus que nous recueillons à la surface
de rOcéan , et qui , par les 23 et 35 degrés
de latitude et les 32^ de longitude , offrent
au navigateur le spectacle d'une vaste prairie
inondée, croissent primitivement au fond de
iamer, et ne voyagent que dans l'état adulte,
lorsqu'ils sont arrachés par le mouvement des
flots. Si cette opinion est exacte ^ il faut conve-
nir que la famille des algues marines présente
de grandes difficultés aux physiciens qui per*
sbtent à croire que toute absence de lumière
doit produire un étiolement : car comment
admettre que tant d'espèces d'Ulvacées et de
Dietyotées à ti^es et à feuilles vertes, qui
nagent sur la surface de l'Océan, aient vé-
gété sur des rochers presque à fleur d'eau ?
D'après des notions puisées dans un vieux
routier portugais, le capitaine du Pizarro
crut se trouver vis-à-vis d'un petit fort situé
no/ de Phjêique, Tom. XL^ p. i5i), et daiks tatê
AphorismÉM mr la pky%iologie chimique dtM pégétauM»
(jPZemv FrnbergefuUy p. 179.) Vore* auiM Tranê. of
ike Insk jieadêmj, ToL \in, p. :£o.
178 Livitc r.
au nord de TeguLse , cajvt;ile de l'île de
Lancerole. On prit un rocher de basalte pour
un chAleau : on le salua en arborant pavillon
esp.ngnol, et l'on mit le canot à l'eau pour
qu'un des officiers allât s'informer, près du
commandant de ce prétendu fort, si des
bâtimens an^lois croisoient d;ins ces parages.
Notre surprise fut assez grande , lorsque
nous apprîmes que la terre qu'on avoil
regardée comme un prolongement de la côte
de Lancerote étoil la petite île de la Graciosa ,
et qu'à plusieurs lieues à la ronde il n'y avoit
pas un endroit habile.
Nousproiitânies du canot pour reconnoître
la terre qui fennoit l'enceinte d'une large
baie. Rien ne snuroit exprimer l'émotion
qu'éprouve un naturaliste lorsqu'il touche
pour la première fois un sol qui n'est pas
européen. L'attention est fixée sur un si
grand nombre d'objets qu'on a de la peine
à se rendre compte des iuipres;îions que l'on
reçoit. A chaque pas ou croit trouver une
production nouvelle; et, dans cette agitation,
on ne reconnoît souvent pas celles qui sont
les plus coiiminnes dans nos jardins de bota-
nique et dans uos collections d'histoire natu-
ifjfe. A CBife loise db b^ cOêr iiiMfi^ 9^^
^péckâ àlaL%Qie. €^<lkn^««i
Û; mè 3 pcil h finte^^ et 3e
m rodier. Les Ma^lelii>l» p;Mh
avcepae à W fane«w. la ^ue ^
h conetle, le caoMMi tiré dans uft eftdr^t
soElaire. nuis <|iKlf|iKlbb Tisité par des^ Civr*
sûres bayrbsresqocs « le débarqueioeiit du
cuiol , tout aToil inliandé ce pauxre ptMieiir.
noos apprit que la petite De de la Gracias^ »
a laqudle nous Tenions d^aKorder > ^loit
séparée de Lancerote par un canal étroit
a[^pelé £1 Rio. Il nous proposa de nous
conduire au port de Los Colorados pour
y prendre des informations sur le blocus de
Ténériflfe; mais comme il assura eu même
temps n'avoir aperçu, depuis plusieui^ se-
maines, aucun bâtiment au large, le capi-
taine résolut de continuer sa roule pour
Saiote-Croix.
La petite partie de Ttle de la Oraciotia
que nous parcourûmes ressemble à res pro-
montoires de laves que Ton observe pr<*s île
Naples, entre Portici et Torre del ûreeo. Les
rochers sont n us, dénués d'arbres et d'arbustes,
leplus souvent sans trace de terreau. Quelques
l8o LIVRÉ 1.
plantes licLeneuses crustacées, des Vario-
laires, des Lepraria et des Urcéolaires' se
trouvent éparses sur le basalte. Les laves qui
ne sont pas couvertes de cendres volcaniques,
restent des siècles sans aucune apparence de
végétation. Sur le sol africain , l'excessive
chaleur et de longues sécheresses ralentissent
le développement des plantes cryptogames.
Les basaltes de la Graciosa ne sont pas
colonnaires , mais divisés par couclies de
lo à i5 pouces d'épaisseur. Ces couches
sont inclinées sous un angle de 80 degrés
au nord-ouest. Le basalte compacte alterne
avec des couches de basalte poreux et de
marne. La roche ne contient pas d'amphi-
bole , mais de grands cristaux d'olivine lamel-
kuse , qui ont un triple clivage '. Cette
> Nous reconnûmes les Lecidea alrovîrcns, Urceo-
larla ocellata, "U. diainart.i (à latjuelle M. Acharius
rapporte le Liclien KœnîgH Je ma Flore de Freiberg),
Parmelia parietina, P. tenello {Uclieii hispidiis "Wild.),
P. atra , Lecldea fusco-alra, el plusieurs autres es-
pèces qu'on aïoit cru jusqu'ici appartenir exclusi-
vemeut au nord de l'Europe. { Avhai: Methodu»
Lickenum , Tom. I, p. i5a. )
" B!mtriger Olivin.
CHAPITRE I. 18 1
substance se décompose très- difficilement.
M. Haîij la regarde comme une variété da
pjroxène. Le basalte poreux , qui fait tran-
atioa an mandelstein y a des cavités alongées
de deux jusqu'à buit lignes de diamètre ^
tapissées de calcédoine, et enchâssant des
fragmens de basalte .compacte. Je n'ai pas
dbservé que ces cavités fussent dirigées dans
un même sens , ni que la roche poreuse fût
superposée sur les couches compactes, comme
cela anîve d^s les courans de laves de l'Etna
et du Vésuve. La marne*, qui alterne plus
de Cent fois avec le basalte , est jaunâtre ,
firiable par décomposition, très -cohérente
dans l'intérieur, et souvent divisée en prismes
irréguliers analogues aux prismes trapéens.
Le soleil déccJore leur surface comme il
blandiit plusieurs schistes en débrâlant un
principe hjdrocariiure qui paroit combiné
avec les terre s . La marne de la Graciosa
ooDbent beaucoup de chaux , et fait vivement
effervescence avec l'acide nitrique , même
sur des points où elle se trouve en cotitSKt
ivec le basalte. Ce fait est d'autant plus
l8u LITRE I.
remarquable que cette substance ne remplit
pas les fentes de la roche, mais que ses
couches sont parallèles à celles du basalte : on
doit en conclure que les deux fossiles sont
d'une même formation et ont une origine
commune. Le phénomène d'une roche ba-
saltique, renfermant des masses de marne
endurcie et fendillée en petites colonnes,
se retrouve d'ailleurs dans le Mittelgebirge
en Bohème. En visitant ces contrées , en 1 792,
M. Freiesleben' et moi, nous avons même
reconnu dans la marne du Sliefelberg l'em-
preinte d'une plante voisine du Cerastium
ou de l'Alsîne. Ces couches de marne que
renferment les montagnes Irapéennes, sont-
elles dues à des éruptions boueuses , ou doit-
on les considérer comme des dépôts aqueut
qui alternent avec des dépôts volcaniques?
Cette dernière hypothèse paroît d'autant plus
forcée, que, d'après les recherches de sir
James Hall sur l'influence que la pression
exerce dans les fusions, l'existence de l'acide
carbonique dans des substances que ren-
ferme le basalte, n'olFre rien de surprenant.
risc/ies Journal ) i?92] p. 3i5.
CHAPITRE I. lB3
fiéaucoiip de laves du Vésuve préseutent
des phénomeDes analogues. Dans la Lom-
bardîe^ entre Yicenza et Abano, où le cal*
Caire du Jura contient de grandes masses de
basalte^ j'ai vu ce dernier faire effervescence
avec lès acides là où il touche la .roche
calcaire.
Nous n'eÀmes pas le loisir d'atteindre le
sommet d'une colline trës-remarquable ^ en
ce que son pied est formé de bancs d'argile
sur lesquels reposent des couches de basalte,
exactement comme dans une montagne de
la Saxe ' qui est devenue célèbre par les
disputes des géologues volcanistes et neptu*
nieos. Ces basaltes étoient recouverts d'une
substance mamelonéé que j'ai vainement
cherchée au Pic de Ténériffé, et que l'on
désigne sous les noms de verre volcanique ,
verre de Miiller ou Hyalite : elle fait le
passage de l'opale à la calcédoine. Nous en
détachâmes avec peine quelques beaux
échantillons ; il fallut laisser intactes des
masses qui avoient 8 à lo pouces en carré.
Je n'ai jamais vu en Europe de si belles
' Sckeibenberger Hiïget.
]84 LIVRE I.
H^alites qu'à l'ile de la Gracîosa et sur le
rocher porphyritique appelé el Pehol de los
haTiosj au bord du lac de Mexico.
Il y a sur le rivage deux sorles de sable :
l'un est noir et basalliqiie, l'autre blanc et
quartzeux. Dans un endroit exposé aux
rayons du soleil, le premier fit monter le
thermomètre à Si^jZ (4'" R-)' et le second
à Uo° ( 02" R. ). La température de l'air,
observée à l'ombre, était de 27", 7, ou de
7'',5 plus élevée que celle de l'air de mer.
Le sable quartzeux contient des fragmens
de feldspath. II est rejeté par la mer , et
forme, pour ainsi dire , à la surface des
rochers, de petits îlots sur lesquels végètent
des plantes grasses et salines. Des fragmens
de granité ont été observes à Ténériffe:
l'île de la Gomère, d'après des renseigne-
mens qui m'ont été fournis par M. Brous-
soiiel, renferme un noyau de schiste micacé:
le quartz, disséminé dans le sable que nous
avons trouvé sur les plages de la Gracîosa ,
est une substance étrangère aux laves et
aux porphyres trapécns qui ont tant de
rapports avec les produits volcaniques.
L'ensemble de ces faits paroît prouver qu'aux
CHApmiE I. i85
fles Canaries , comme dans les Andes de
Quito ,• en Auvergne , en Grèce et dans la
majeure partie du globe , les feux souter-
rains se sont fait jour à travers des roches
de formation primitive. En indiquant dans
la suite un grand nombre de sources chaudes
que nous avons vu sortir du granité, du
gneiss et du schiste micacé, nous aurons
occasion de revenir sur cet objet qui est
un des plus importans de Thistoire phjsiqiie
du globe.
Rembarques au coucher du soleil, nous
mîmes à la voile avec une brise trop foîble
pour continuer notre route à TénérifFe. La ,
mer étoit calme ; une vapeur roussâtre
couvroit l'horizon et sembloit agrandir les
objets. Dans cette solitude, au miUeu de
tant d'îlots inhabités^ nous jouîmes pendant
long-temps de l'aspect d'une nature sauvage
et imposante. Les montagnes noires de la
Graciosa présentoient des murs taillés à pic
de cinq ou six cents pieds de hauteur.
Leurs ombres, projetées sur la surface de
rOcéan, donnoient au paysage un caractère
lugubre. Semblables aux débris d'un vaste
édifice , des rochers de basalte sortoient da
l8G . LITBE I.
sein des eatix. Leur existence nous rappe-
loit cette époque reculée où des volcans
sous- marins donnèrent naissance à de
nouvelles îles ou déchirèrent les continens.
Tout ce qui nous environnoit de près
semblolt annoncer la destruction et la stéri-
lité; mais au fond de ce t;ibleau les côtes
de Laneerote offroient un aspect plus riant.
Dans une gorge étroite , entre deux collines-
couronnées de touffes d'arbres épars, se
prolongeoit un petit terrain cullivé. Les
derniers rayons du soleil éclairoient des
blés prêts à être moissonnés. Le désert
même s'anime dès qu'on y reconnoît les
traces de la main laborieuse de l'homme.
Nous essayâmes de sortir de cette anse
par la passe qui sépare l'Alegranza de
Montana Clara, et par laquelle nous étions
entrés sans difficulté, pour débarquer à la
pointe septentrionale de la Graciosa. Le
vent ayant molli beaucoup , les courans
nous portèrent très-près d'un écueil sur
lequel la mer brîsoit avec force, et que
les cartes anciennes désignent sous le nom
d'Enfer ou Injîemo. Gomme nous aper-
çûmes cet écueil à deux eacablures de
CHAriTKB I. 187
TaTant de la corrette, nous reconnâmes
qae c'esl noe bntte de lare de trois à <|oalre
toises de haotenr y remptie de caTités et coo-
▼erte de scories qui ressemblent au coai
OQ à la masse spongieuse de la houille
désoufirée. On peut supposer que le rocher
de llnfiemo ' , que les cartes plus récentes
appellent la Roche de t Ouest ( Roca del
Oeste), a été soulevé par le feu Tolcanique.
n se peut même qu'il ait été jadis beaucoup
plus élevé ; car Ylle JVem^ des Açores ,
qu'on a vue sortir de la mer à plusieurs
r^rises , en i638 et 17 19 9 avoit atteint
jusqu'à 354 pieds ( ii5" ) de hauteur ' lors-
' Borda, Voyage de la Flcre^ Tom. I, p. 386.
BorySaifU-Fincent , Essai sur les îles Fortunées, p. 20w
Je dois &ire observer ici qae cet écueîl se trouve déjà
marqué sur la célèbre carte vénitienne d'Andréa
Bianco^ mais que le nom à^Infiemo j est donnée
comme dans la plus ancienne carte de Picigano , cons*
truite en 1367 , à Pile de Ténériffe^ sans doute parce
^ les Guancbes regardoîent le Pic comme l'entrée
de V Enfer, Jhoks ces mêmes parages^ une; île reparut
eu 1811.
• En 1720, cette fle étoît visible à 7 ou 8 lieues
de distance. Mém, de r Académie, 1723, p. la. Fleu--
rieu, Voyage dç VIsia , Tom. I, p. 565.
LIVRE I.
qu'elle disparut enlièrement en 1723 , et
que l'on trouva qualre-vingls brasses de fond
à l'endroit qu'elle avoit occupé. L'idée que
j'énonce sur l'origine de la butte basaltique
de rinfierno, se trouve confirmée par un
phénomène qui a été observé , vers le
milieu du dernier siècle , dans ces mêmes
parafées. Lors de l'éruplion du volcan de
Temanfaya , deux collines pyramidales de
laves lilhoïdes s'élevèrent du fond de l'Océan ,
et se réunirenl peu à peu à l'île de Lancerote.
La foiblesse du vent et les courans ne
nous permettant pas de débouquer par le
canal de l'Alegranza, on résolut de passer
la nuit à courir des bordées entre l'Isla
Clara et la Roche de l'Est. Cette résolutiou
manqua de nous devenir funeste. Il est très-
dangereux de se trouver en calme près de
ce dernier rocher, vers lequel le courant
porte avec une force extraordinaire. A
minuit , nous commençâmes à sentir les effets
de ce courant, La proximité des masses
pierreuses , qui s'élèvent perpendiculaire-
ment au-dessus des eaux, nous otoit le peu
de vent qui souffloil: la curvctLe ne gouver-
Doit presque pas , et à chaque instant on
CHAPITRE I. l8g
craigooit de toucher. Il est difficile de
concevoir comment une butte basaltique,
isolée au milieu de la vaste étendue de
rOcéan, peut causer un mouvement si con-
sidérable dans les eaux. Ces phénomènes,
bien dignes de l'attention des physiciens,
sont cependant très-connus des marins : ou
les observe d'une manière très-effra jante
dans la mer du Sud^ surtout dans le petit
archipel des îles Galapagos. La différence
de température cpii existe entre le fluide
et la masse des rochers ne peut expliquer
la direction qu'aflectent ces courans ; et
comment admettre que Teau s'engouffre à la
base de ces écueils qui souvent ne sont pa»
d'origine volcanique j et que cet engouffre-'
ment continuel détermine les molécules
d'eau à remplacer le vide qui se forme '.
' On est surpris de lire dans mi ocrrrage d^^ilkurs
trës- utile qui se Vtowwt entre les mains de Umn les
marins , dans la neiirieme édition do PrcUical Ncu^i"
gator de Hamilion Mottre^ p. 200, que cVftt par JVfTet
de Patlraction des masies oo de la graTÎtati'/n uni-
Terselley <{a'iin Taisceau s'éloigne difTicilement ries
côtes, et que la chaloupe d'une frégate est attirée par la
frégate même.
1^ LIVRE I.
Le vent ayant fraîchi un peu le 18 au
matin, nous réussîmes à passer par le canal.
Nous noris approchâmes beaucoup une
seconde fois de \Jnfierno, et nous recon-
nûmes de grandes crevasses par lesquelles les
fluides gazeux se sont probablement fait jour
lors du soulèvement de cette butle basaltiqne.
Nous perdîmes de vue les petites îles de l'Ale-
granza , Montana Clara et Graciosa , qui
paroissent n'avoir jamais été habitées par les
Guanchcs. On ne les fréquente aujourd'hui
que pour y recueillir de l'orseille ; cette
production est cependant moins recherchée
depuis que tant d'autres plantes licheneuses
de l'Europe boréale offrent des matériaux
précieux pour la teinture. Montana Clara est
célèbre par les beaux serins qu'on y trouve.
. Le chant de ces oiseaux varie par peuplades ,
comme celui de nos pinçons qui souvent
n'e,stpasle même dans deux cantons voisins.
Monlafia Clara nourrit aussi des chèvres, ce
qui prouve que l'intérieur de cet îlot est
moins aride que les cotes que nous avons
observées. Le nom d'Alcgranza est formé sur
celui de La Joyeuse , que donnèrent à cette
terre les premiers conquérans des Canaries,
CHiiPiTaE I* 191
deux barons normands , Jean de Béthencourt
el Gadifer de Salle. Cétoil le premier point
auqoel ik ayoient abordé* Après avoir
demeuré plusieurs jours à la Graeiosa » dont
nous avons examiné une petite partie» ik
Qoncurent le projet de s'emparer de Ttle
voisine de Lancerote , où Guadarfia > lé
souverain des Guanches, les accueillit avec
cette même hospitalité que Gortez trouva
dans le palais de Montézuma. Le roi pas*
teur, qui n'avoit d'autres richesses que ses
chèvres, fut aussi lâchement trahi que le
sultan mexicain.
Nous longeâmes les côtes de Lancerote ,
de Tile Lobos et de Fortaventure. La seconde
de ces îles paroit avoir tenu andennement
aux deux autres. Cette hypothèse géologique
a déjà été énoncée au dix-septième siècle,
par un religieux franciscain, Juan Galin^lo*
Gel écrivain supposa même que le roi Jol^
n'avoit nonuné que «x ile» Can^ri^, p^ce
c[ue, de son temps , tr€«s d'en lie t]le% nUftHui
contiguës. Sam admetUt: cett^ hj\ttAJitmt
peu probaUe, de wtm» yt^j/iÇt4\A^^ *mi
cru reconnoilie^ dU» IVid^ij^ iU^t/49à»-
ries, les deux fle» i^ot^jM^ , U Snén^t
ig2 LIVRE I.
rOmbrios, la Caiiam et la Copraria dés
anciens '.
L'horizon étant brumeux , nous ne pûmes,
pendant toute la traversée de Lancerote à Té-
ïiérifTe, découvrir la cime du Pic de i eyde.
Si la hauteur de ce volcan est de igoS toises ,
comme l'indique la dernière mesure tri^ono-
métrique de Borda, sa cime doit être visible
à une distance de 43 lieues marines, en sup-
posant l'œil au niveau de l'Océan et une ré-
fraction éçale à 0,079 *^^ '■' distance. -On a
révoqué en doute ' que le Pic ait jamais été
aperçu dans le canal qui sépare Lancerote de
Fortaventure, et qui est éloigné du volcan,
d'après la carte de Varela, de a" 29', ou de
près de So lieues. Ce phénomène paroît cepen-
dant avoir été vérifié par plusieurs officiers
de la marine royale d'Espagne : j'ai eu entre
les mains, à bord de la corvette le Pizarro,
un journal de route dans lequel il étoit marqué
que le Pic de Ténériffe avoit été relevé à
' Gosi^etiii, Bevh. sur la Gèogr. des anciens,
Tom. I , |). l'iG, i5f^, , i63.
- /'oyuge de la Flore , Tom. I, |>. 38o. Mon rhro-
nonii'lrc m'adnnoé, la cole nonj-oucst de I.aiicerole,
de j5"5a' 10" à l'ouest du uicridieu de Paris.
CHAPITRE I. 19s
i35 milles de distance > près le cap mérî-
dional de Lancerote, appelé Pichiguera. Soo
sommet se présenta encore sous un angle
assez considérable pour faire croire à Tob-
servateur , Don Manuel Baruti , que le volcan
auroit pu être visible 9 milles plus loin. G'étoit
au mois de septembre, vers le soir, et par un
temps très -humide. En comptant i5 pieds
pour Téiévation de l'œil, je trouve que, pour
rendre compte de ce phénomène, on doit
supposer une réfraction égale à 0,1 58 de Tare,
ce qui n'est pas très-extraordinaire pour la
cône tempérée. D'après les observations du
général Roj , les réfractions varient en Angle*
terre de ts k {; et s'il étoit vrai que sur les
côtes d'Afrique elles atteignissent ces limites
extrêmes, ce dont je doute beaucoup, le Pic,
dans de certaines circonstances, pourroit être
visible sur le pont d'un vaisseau, jusqu'à la
distance de 61 lieues marines.
Les navigateurs qui ont beaucoup fréqucnUf
ces parages, et qui réfléchissent sur le^ c^u%ft%
physiques des phénomènes , sont ^urpri^ qui5
le Pic de Tejde et celui de^ A/ore* ' i^/usui
' La hanUsar de ce Vie eft, isàftttt Fl/rwrî^u . *\^
1100 t-; d'arts Ferrer, de ï'jSH t j d'afr*^ 7 '^t'^» ,
I. *5
194 LIVRE I.
quelquefois visihles de irès-loïn, quand d'autres
fois on ne les découvre pas à des distances
beaucoup moins grandes , quoique le ciel
paroisse serein, et que l'horizon ne soit pas
embrumé. Ces circonstances sont d'autant
plus dignes de fixer l'attention du physicien,
que plusieurs bàlimens , à leur retour en
Europe, attendent avec impatience la vue de
ces ntontagnes pour rectifier leur point en
longitude , et qu'Us s'en croient plus éloignés
qu'ils ne le sont effeclivement , lorsque ,
par un temps clair , ils ne les aperçoi-
vent pas à des distiinces auxquelles les
angles soutendus devroient dé-jà être très-
considérables. La constitution de l'almos-
(le ia6o t. : mais ces mesures ne soiil que des évalua-
tions par approsiinntion. Le capitaine du Pizarro,
Don Manuel Cagîgal, m'a prouvé, par son ioumal,
qu'il a relevé le Pic des Açores à 3? lieues de distance,
à une époque uù il étoit sur de sa latitude , au moins à
deuï mlimtes près. Le volcan fut relevé au S. 4" E. ,
de sorte que l'erreur en. longitude ne pouvoit iniluer
qu'insensiblement sur l'évaluation de la distance. Ce-
pendiinll'angle que soulendolt le Pic des Açores étoit
si grand, que M. Cngigal pqnse que ce volcan doit èire
visible à plu; de 4n ou 'ia lieues. La distance de 07 lieues
suppose une élévation de i43i toises.
CHAPITRE I. I9ÎÎ
pbèrc influe sincjulièrement sur la visibilité
des objets éloignés. On peut admettre ea
général que le Pîc de TénérilTe s'aperçoit
assez rarement de très-loin par les temps
chauds et secs des mois de juillet et d'août,
et qu'au contraire on le découvre à des dis-
tances extraordinaires dans les mois de janvier
et de février, quand le ciel est léfjèremçnt
couvert, et immédiatement après une pluie
abondante, ou bien peu d'heures avant. Il
parott que la transparence de l'air aug-mente
prodigieusement, comme nous l'avons déjà
remarqué plus haut, lorsqu'une certaine quan-
tité d'eau eSt uniformément répandue dans
l'atmosphère. D'ailleurs il ne faut pas être
surpris que le Pic de Tcyde soit plus rarement
visible de très-loin , que les sommets des Andes
que j'ai eu occasion d'observer si long-temps.
Ce Pic , moins élevé que les parties de l'Atlas
auxquelles est adossée la ville de Maroc, n'est
pas, comme elles ', couvert de neiges per-
pétuelles. Le Pitnn, ou Pacn de Suc/'e, qui
termine le Pic, réfléchit sans doute beaucoup
f * D'après Haest et /iiiitso/j, Account of the cmpirt;
ff Marocco, p. 'j3,
i3*
ig6 tivRE I.
de lumière, à cause de la couleur blanchâtre
de la pierre ponce rejetée par le cratère ;
muis la hauteur de ce petit cône tronqué ne
forme qu'un vingt-deuxième de la hauteur
totale. Les flancs du volcan sont couverts
ou de blocs (!e laves noires et scorifiées, ou
d'une végétation vigoureuse , dont les masses
renvoient d'autant moins de lumière, que les
feuilles des arbres sont séparées les unes des
aulres par des ombres d'une étendue plus
considérable que celle de In partie éclairée.
Il résulte de là , qu'abstraction faite du
Piton , le Pic de Teyde appartient à ces mon-
tagnes que, d'après l'expression de Bouguec,
on ne voit, à de grands éloignemens, que
d'une manière négative j parce qu'elles inter-
ceptent la lumière qui nous est transmise des
limites extrêmes de l'atmosphère, et que nous
nous apercevons de leur existence seulement
à cause de la différence d'intensité qui subsiste
entre la lumière aérienne qui les entoure et
celle que renvoient les molécules d'air placées
entre la montagne et l'œil de l'observateur '.
' TViïf/i; cfO/jiiyi/e, p. 365. 11 suit des expériences ■
du mi'me auteur que, pour que celte différence d^
Tienue sensible pour nos organes et que la moutagiUi -
CHAPITltB l. \tff
En s'âoignaiit de Fde de Tënérifl^^ le Piton
mi Fûn de Sacre se Toît assex lon^tem{)%
d'oM numière positix^ , parce quHI n^fltk^lut
«ne faimière blanchâtre et qu*il se détache dti
del en dair ; mais ce cône n'ayant que Sa ti\ht%
d'élévation sur 4û toises de largeur h son
sommet, oo a agité récemment la question * dft
savoir si par la petitesse de sa masse il peul
être visible^ à des distances qui excèdent
4o lieues, et s'il n'est pas plutôt probable» ([ne
les navigateurs ne distinguent le Pio , cumule»
un petit nuage au-dessus de l'hori/on i c|ue
lorsque la base du Piton commci)06 h h y mon»
trer. Si Ton admet que la largeur itioyonnd
du Pain de Sucre est de loo toises , on trouva
que le petit cône , à 4o lieues de dUtancci i
soutend encore, dans le sens hori/^ululi un
angle de plus de trois minutes» Ct't ari((lr) t^ni
assez considérable pour rendre un ol>j«tt vi«
sible; et si la hauteur du Pilon (txi'Muii dft
beaiicoup la largeur de sa hune , Târif^la , tlant^
le sens horizontal, pourroit être |ilu4 p^tif;
piûsie se détacher dhtim^Utm^jU ^ur l« ci«^i , untt i\t*n
bmifcres doit être au moitié d^un boixMui'mu^ |>lii«
Urte que Vautre,
' f^V^^ ^ MarcîuMnd , Tina. II ; p- lo*
içjS i-ivni: I.
encore , sans que l'objet cessât de faire une
impression sur nos organes : car des obser-
vatioDS mie roni étriqués ont prouvé que la
limite lie la vision n'est d une minute que lors-
que les dimensions des objets sont les mêmes
dans tons les sens. On distingue do loin, à la
simple vue, des troncs d'arbres isolés dans
une vaste plaine , quoique l'angle soutendu
soit au-dessous de 25 secondes.
Comme la visibilité d'un objet qui se dc-
tacbe en brun dépend des quantités de lumière
que l'œil rencontre sur deux lignes, dont l'une
aboutit à la jnontagne , et dont l'imlre se pro-
longe jusqu'à la surl'ace de l'Océan aérien,
il en rtsnlte que plus on s'éloigne de l'objet,
et plus aussi devient petite la différence entre
la lumière de l'atmosphère circonvoisine et
celle des coucbes d'air placées devant la mon-
tagne- C'est pour cela que des cimes moins
élevées, lorsqu'elles commencent à paroître
au-dessus de l'horizon , se présentent d'abord
sous une teinte plus obscure que les cimes
que l'on découvre à de Ircs-grands éloigne-
ïiiens. De nu'nie la visibilité des montagnes
qui ne s'aperçoivent que d'une manière né-
gative, ne dépend pas uniqueiiienl de l'état des
hzsscs irgioBS de Taîr . anso^pdfes se borscnl
DOS <i h&Ci i JÛ ops mgteoroiogiyies , mabaossi
de sa tratt^arenoe et de sa constitiilioQ pkj-
siqne dans les parties les plas éleTees : car
1 ima^ se détadie d^aatant mieiix que la lu-
ndèfe aérienne qot Tient des Hmiles de 1 al*
moqphère a été originaifemenl plos intense»
ou bien qn'dle a éproové moins de perte
dans scm trajet. Cette considération e^qidicpe
jusqu'à nn certain point pourquoi > par un
cid également serein , Tétat du thermomètre
et de l'hygromètre étant exactement le même
dans fair qui aToisine la terre, le Pic est
tantôt Tisible, tantôt invisible aux naTigateurs
qui en sont également éloigoés. H est même
probable que la chance d'apercevoir ce volcan
ne seroit pas plus grande , si le c5ne de cendre
au sommet duquel se trouve Fouverture du
cratère égalent , comme au Vésuve , le quart
de la hauteur totale. Ces cendres, qui sont
de la pierre ponce réduite en poussière , ne
réfléchissent pas autant de lumière que la
neige des Andes. Elles font que la montagne,
vue de très^oin, sans se détacher en clair,
se détache beaucoup plus foiblement en brun.
Elles contribuent, pour ainsi dire, à égaliser
200 I.IVIIE I.
les portions de lumière aérienne dont la dif-
férence varialile rend l'objet plus ou moins
distinctement visible. Des montajjnes cal-
caires, dénuées de terre végétale, des som-
mets couverts de sable granitique, les hautes
savanes des Cordillères ' , qui sont d'un jaune
doré, se distinguent mieux sans doute à de
petites dislances que les objets qui se voient
d'une manière négative; mais la théorie in-
dique une certaine limite an delà de laquelle
ces derniers se détaclient plus distinctement
sur la voûte azurée du ciel.
Les cimes colossales de Quito et du Pérou,
élevées au-dessus de la limite des neiges ]>er-
pétuelles , réunissent tous les avantages qui
peuvent les faire apercevoir sous des angles
très-pelils. Nous avons vu plus haut que le
sommet arrondi du Pic de Ténériffe n'a que
près de cent toises de diamètre. D'après les
mesures que j'ai faites à Riobamba, en iSo.'î,
le dôme du Cliimborazo, i53 toises au-dessous
de sa cime , par conséquent dans un point
' Los Pfjonales , Af. pajii, paille. C'est le nom de
la région des graminées qui entoure la zone des neiges
jierpcluelles. Uùogr. ^Vjj. ,ji. jo.
CHAPITRE I. 20 i
qui est de i3oo toises plus élevé que le Pic , a
encore 673 toises (1312") de largeur. De
plus^ la zoûe des neiges perpétuelles forme
le quart de la hauteur de la moutagne; et la
base de cette zone, vue du côté de la mer
du Sud^ occupe une étendue de 3437 toises
(6700"* ). Mais y quoique le Cbimborazo soit
de f plus élevé que le Pic , on ne le voit
cependant 9 à cause de la courbure de la terre,
que de 38 milles et un tiers plus loin K L'éclat
duquel brillent ses neiges^ lorsqu'au port de
Guajaquil , à la fin de la saison des pluies , il
se montre à l'horizon 1 peut faire supposer
qu'on doit Tapercevoir de très-loin dans la
mer du Sud. Des pilotes très-dignes de foi
m ont assuré l'avoir vu près du rocher du
MuertOy au sud-ouest de File de la Punà, à
une distance de 47 lieues "". Chaque fois qu'il
* Sans aroir égard à la réfraction , le Pic de Téné-
riffe (1904 toises) est visible à i" 5f 22"; le Mont-
Blanc (24^0 toises) k 2^ i3' o'^ , et le Chîmboraso
(355o toises) à 2® 35' 3o". La réfraction moyenne
supposée de -^ n'augmente cette dislance, pour le
Cbimborazo^ que de i4 milles.
*. D'après les cartes du Deposito Jiydrografico de
Madrid. En admettant 1^ i3' 32'^ pour la différence
20-2 LIVRE I.
a été vu de plus loin, les observateurs, in-
certains de leur lonLjitude, n'ont pas été en
étut de fournie une donnée exacte.
La lumière aérienne, projetée sur les mon-
tagnes, augmente la visibilité de celles qui se
voient positivement ; son énergie diminue au
contraire la visibililé des objets qui, comme
le Pic de Ténérîffe et celui des Açores , se
détachent en brun. Bouç^-uer, en se fondant
sur des consitlé rations théoriques , a trouvé
que, d'après la constitution de nuire atmos-
phère, les montagnes, vues négativement,
ne peuvent s'apercevoir à des dislances qui
excèdent 5iï Heues '. Il est important de faire
(les méridiens (!t; Guav.iquil et clp Oinh». te!le que je
l'iii trouït'e (06... mIi: , 'i\mi. Il, |). ai^S, ^Sj et
433), le Mucrto est un peu moins tdoigné du Cliim-
' SI , d'après la tlii'orie de Bougucr { Trailé d' Op-
tique, p. 3Co) , l'inlcnsilé de la couleur aérienne , que
ràlitcliit la totalité de i'ittmosplière vers riiorïzon,
dans une direction déterminée, est égale à -iVoVV '!■ »
J'iritensiLé, aprïis un trnjet de 3o lieues mannes , se-
■""'■ TzJ!u:i 1- Celte ([unntité dilfère de l'oulre d'uu
peu plus dey;, tandis iju'aprèg un trajet de 45 lieues,
l'intensité de la eoLileiir acrîenue eift déjà de T^-z-h l' i
CHAPITRE I. 2o5
observer ici que Texpérience est contraire jt
ces calculs. Le Pic de TéaériflFe a été souvent
vu de 36 , de 38 ^ et même de I\o lieues. De
plus y éxùs les atlérages des îles Sandwich y la
cime de Mowna-Roa ', à une époque où elle
ce qui diffère trop peu de i^— q. pour que la diffé-
rence puisse être sensible pour nos organes. D'après
ces données , on trouve, pai* interpolation, que la vi-
abilité devroît déjà cesser à 35 lieues de distance.
*■ La baoteur de Mowna-^oa est, d'après Marcband^
de plus de 2698 toises -y d'après King , elle est de
25/7 toises ; mais ces mesures, malgré leur accord
accidentel, ne se fondent pas sur des moyens très-pré-
cis. C'est un pbénomène assez extraordinaire que de
▼oir se dépouiller entièrement de se^ neiges une cime
placée par les 19^ de latitude, et dont l'élévation ex-
cède probablement 25oo toises. La forme très-aplatie
de Mowna-Roa , la Mesa des anciennes cartes espa-*
gnôles, son isolement au milieu de l'Océan, et la fré-
quence de certains vents qui , modifiés par le courant
ascendant, soufQent obliquement, peuvent en être les
causes principales. 11 est difficile de croire que le capi-
taine Marcl^nd se soit trompé de beaucoup dans l'é-
Taluatîon dé la distance à laquelle il vit, le 10 octo-
bre 1791 , le sommet de Mowna-Roa. Il n'a voit quitté
l'île d'O-Whyhee que le 7 au soir; et, d'après le mou-
vement des eaux et les observations lunaires du 19,1!
est probable que la distance excédoit même 53 lieues.
2o4 L1VHB I.
éloit déponrvue de neiges, a été aperçue rasant
l'horizon, dans un éloignement de 53 lieues.
C'est l'exemple le plus frappant que l'on con-
noisse jusqu'ici de la visibilité d'une mon-
tagne ; et, ce qui est d'autant plus reiiiarquable,
c'est uu objet vu négativement qui ofi're cet
exemple.
J'ai cru devoir réunir ces considérations à
la fin de ce chapitre, parce qu'en touchant
de près un des problèmes de l'optique les
plus importans, celui de raffoibhssement de
la lumière par son passageà travers les couches
de l'atmosphère, elles offrent en même temps
quelque utilité pratique. Les volcans de Té-
ncriflè et des Açores, la Sierra Nevada de
Sainte-Marthe , le Pic d'Orizaba , la Silla de
Caracas, Mowna-Roa et le Mont-Saint-Élie,
isolés dans la vasle étendue des mers, ou
places sur les côtes des contînens, servent de
balises pour dii iger le pilote qui est dépourvu
D'ailleurs un navigateur espérimenté , M. de Fleorieu ,
rapporte que, dans un cioignemeut de 35 ou 3G lieues,
le Pie de Ténériffe est visible , même par un temps qui
n'est pas parfaitement clair, ( Voyage de Marchand ,
Tom. I,p. 4o8et427;Tom. II, p. 100178}.
CHAPITRE I. 205
de moyens propres à déterminer la position
du vaisseau par Inobservation des astres ;^
tout ce qui a rapport à la visibilité d.e ces
balises naturelles intéresse la sûreté de la
navigation.
»m0i
CHAPITRE II.
Séjour à Ténér'iffe. — Voyage de Sainte-
Croix à l'Orotava. — Ij^jccursion a la
cime du Pic de Tejde.
Depuis notre départ delà Graciosa, l'horizon
resta si embrumé que , malgré la hauteur
considérable des montagnes de Canarie ', nous
n'eûmes connoissance de cette île que le i8
juin au soir. C'est le grenier de l'archipel
des îles Fortunées ; et, ce qui est un phéno-
mène bien remarquable pour une région
située au-delà des limites des tropiques, on
assure que , dans quelques cantons , on y
obtient deux récolles de froment par an ,
l'une en février, et l'autre en juin ". Canarie
n'a jamais été visitée par un minéralogiste
instruit; cette île en seroit cependant d'autant
' I.'ila de la Gran Canaria.
'' Ledrii , Voyage h Ténèriffe , Tom. J, p. 3/.
CHAPITRE IT. * 207
plus digne 9 que la physionomie de ses mon-
tagnes , disposées par chatnes parallèles,
m'a paru différer entièrement de celle que
présentent les cimes de Lancerote et de
Ténériffe, Rien de plus intéressant pour le
géologue, que d'observer les rapports dans
lesquels se trouvent, sur un même point du
globe , les terrains volcanisés avec les terrains
primitifs et secondaires. Lorsque les îles Cana-
ries auront été un jour examinées dans toutes
les parties qui composent le système de ces
montagnes, on reconnoîtra qu'on s'est trop
hâté en regardant le groupe entier comme
soulevé par Taction des feux sous-marins.
Le 19 au matin , nous découvrîmes la
pointe de Naga * ; mais le pic de Ténériffe
resta encore invisible. La terre se dessinoit
mal : une brume épaisse en enveloppoit
toutes les formes. A mesure que nous ap-
prochâmes de la rade Sainte -Croix, nous
remarquâmes que celte brume , poussée
par le vent, s'approchoit de nous. La nier
étoit fortement aj^ilée , conmie elle Test
presque toujours dans ces parages. Nous
* Punta de Naga , Anaga ou Nago,
208 LI^RE I.
Kiouillùines après avoir sondé plusieurs fois;
car le brouillard éloit si épais qu'on dislin-
guoit avec peine les objets , à quelques câbles
de disUuice; mais, au moment oii l'on com-
mença à saluer la place, la brume se dissipa
lotalemeiit. Le pic de Tejde se montra alors
dans une éclaircie au-dessus des nuages; les
pi'euiiers rayons du soleil qui n'étoit point
encore levé pour nous , éclairoient le sommet
du volcan. Nous nous portâmes vers la proue
de la coivelle pour jouir de ce spectacle
majestueux, lorsqu'au même instant on si-
gnala quaire vaisseaux anglois qui se tenoient
en panne tout près de la poupe. Nous les
avions ranges sans en être aperçus ; et la même
brunie qui nous avoit dérobé la vue du Pic,
nous avoit soustraits au danger d'être ramenés
en Europe. 11 auroit été bien pénible pour
des naturalistes d'avoir vu de loin les côtes
de Téucrille sans pouvoir toucher un sol
boulevejsé par des volcans.
Nous relevâmes aussitôt l'ancre, et le Pi-
z.iri'o approcha autant qu'il étoit possible du
fort pour être sous sa défense. C'est sur cette
plage que, dans le débarquement tenté par
les Anglois, deux ans avant notre arrivée,
CHAPITRE II. 309
Famiral Nelson eut le bras emporté ' par un
boulet. Le gouverneur-général des Canaries *
envoya Tordre au capitaine de la corvette
de faire déposer de suite à terre les dé-
pêches de la cour pour les gouverneurs des
colonies y l'argent embarqué et la corres-
pondance du public. Les vaisseaux anglois
s'éloignèrent de la rade : ils avoient donné
chasse la veille au paquet-bot XAlcudia , qui
étoit parti peu de jours avant nous de la
Gorogne. Il s'étoit vu obligé de relâcher au
port de Palmas, dans File de Canarie; et
plusieurs passagers^ qui alloient, dans une
chaloupe à Sainte-Croix de Ténériffe^ avoient
été faits prisonniers.
La position de cette ville ressemble beau-
coup à celle de la Cuajra, le port le plus
fréquenté de la province de Caracas. La cha-
leur est excessive dans les deux endroits,
et par les mêmes causes; mais Taspect de
Sainte-Croix est plus triste. Sur une plage
étroite et sablonneuse , des maisons d'une
blancheur éclatante y à toits plats et à fenêtres
. '/ Au mois de juOlet 1797*
> Don Andrès de Perlasca.
310 LIVRE I.
sans TÎlrage, se trouvent adossées à un mur
de rochers noirs tailles à pic et dénués de
végétation. Uo beau môle construit eu pierre
de taille, et la promenade pubUrjue plantée
en peupliers, sont les seuls objets qui inter-
rompent la monotonie du paysage. La vue
du Pic, tel qu'il se présente au-dessus de
Sainte-Croix , est beaucoup moins pitto-
resque que celle dont on jouit au port de
rOrolava. Là, une plaine riante et richement
cultivée contraste avec l'aspect sauvage du
volcan. Depuis les groupes de palmiers et
de bananiers qui bordent la côte jusqu'à
la région des Arbutus , des lauriers et des
pins , la roche volcanique y est couverte d'une
yégétalion vigoureuse. On conçoit comment
même des peuples qui habitoient sous le
beau climat de la Grèce et de l'Italie, ont
cru reconnoître une des îles Fortunées dans
la partie occidentale de TénériiTe. La cote
orientale, celle de Sainte-Croix, au contraire,
porte partout le caractère de la stérilité.
Le sommet du Pic n'est pas plus aride que
le promontoire de laves balsaliques qui se
prolonge vers la pointe de Naga , et sur lequel
des plantes grasses, fixées dans les lentes du
wièehexr commeacent ù peine <^ préparer du
iDTesiu. Aa port de TOrotava^ hi ciaie d«i
|HliQa soatenil aa angle de hauteur de plus
Jkseàze deffcés^ et demi: tandis eu au mùht
i^ Sainte-Croix S cet ifto^Iie e^Lct^de i pei&e
4»' 36/-
Malgré cette diférence. e( cpoîqiie. dau»
k dernier endroit» le volcan :» élève au-
éBSBos de lliorixoa^ à peine autant i^ue le
TésLure YU du mole de îVaples^ r<ie>pet:t du
fie est encore très-majestnenx lors4:jue«
Binmll» dams kl rade, on le découvre p%L^ur
b pvemîiere fois. Le piton seul étoil visible
pour noos; aoo cône ^e projetoit ^r un
fond da bien le plus pur, taudb> quo \les
nnage» noîrs et épais enTeloppoieut le re»te
de h montagne jusqu'à iSoo toises d élévu*
lion. La pierre ponce, éclairée par les \nx-
mâea rayons du soleil, réilétoit uue Unuière
roogeatre^ semblable à celle qui teint S4>uvent
les sommets des hautes Alptrs« Peu à pea
cette Inmière devint du blanc le plus écla-
tauit; et, trompés, comme la plupart des
' Les (fistaaces obliques de la cime du Tolcan k
POntaiTa et à Saîate-Cn>isL $4>nt à pru pK-» 14»
ttoo toises, et de auioo ti>i:»o«.
U
212 LITRE I.
voyageurs, nous crûmes que le Pic étoït
encore couvert de neiges , et que nous au-
rions bien de la difficulté à parvenir au bord
de son cratère.
Nous avons observé, dans la Cordillère
des Andes, que les montagnes coniques,
comme le Cotopaxi et le Tungurahua , se
présentent plus souvent dégagés de nuages
que les montagnes dont la crête est hérissée
de beaucoup de petites inégalités, comme
FAntisana et le Pichinçha ; mais le Pic de
Ténériffe, malgré sa forme pyramidale, est,
une grande partie de Tannée, enveloppé^
dans les vapeurs, et Ton reste quelquefois
pendant plusieurs semaines dans la rade de
Sainte-Croix sans Tapercevoir une seule fois.
Sa position à Fouest d'un grand conûnent,
et son isolement au milieu des mers , sont
sans doute les causes de fce phénomène. Les
navigateurs savent très-bien que même les
îlots les plus petits et les plus dépourvus
de montagnes rassemblent au-dessus d'eux
et retiennent les nuages. En outre, le dé-
croissement du calorique est diflFérent au-
dessus des plaines de FAfrique ' et au-dessus
* Obs, astr., Tom. I, p. 126.
CH4PITHE II. 210
delà surface de l'Océan; et les coDches d'air,
amenées par les vents alises , se refroidissent
à mesure qu'elles avancent vers l'ouest. Si
l'aira été d'une sécheresse extrême au-dessus
des sables brûlaos du désert , il s'est saturé
rapidement dès qu'il est entré en contact
avec la surface de la mer ou avec l'air qui
repose sur cette surface. Il est donc aisé
de concevoir pourtjuoi les vapeurs deviennent
visibles dans des couches atmosphériques
qui, éloignées du continent, n'ont plus la
même température à laquelle elles se sont
uturées d'eau. De plus, la masse cousidé-
rable d'une montagne qui s'élève au milieu
de l'Atlantique , oppose un obstacle aux
nuages que les vents poussent au large-
Noos attendîmes long-temps, et avec im-
patience , que le gouverneur de la place
nous donnât la permission de descendre i
terre. J'emplojai ce loisir à faire les <
servations nécessaires pour détermin
longitude du môle de Sainte-Cw
l'ioclioaison de l'aiguille aimantée.
Domètre de Louis Bertboud donna i
première, 18" 53' lo*^. Celte position^
de 5à 4 nuDutes ea arc de celle ipn|
21 f^ LIVRE I.
des ancîenles observations de Fleurieii , Pin-
gré, Borda, Vancouver et La Pejrouse.
M- Quenot avoil cependant aussi obtenu
18° 55' 56", et t'iniortuné capitaine Bligh
18" 54.' 20". La précision de mon résulEat
a été confirmée, trois ans plus tard, par
l'expédition du chevalier Krusenstern, dans
laquelle CD a trouvé Sainte-Croix de j6" 12'
45" à l'ouest de Greenwich , et par consé-
quent de 1 S** 55' o" à l'ouestde Paris. Ces don-
nées prouvent que les longitudes que le capi-
taine Cook attribuoil à Ténériffe et au cap de
Bonne-Espérance sont de beaucoup trop
occidentales '. Le même navigateur avoit
trouvé l'inclinaison magnétique , en 1799,
de 61° 32'. Nous l'observâmes, M- Bonpland
et moij deG2"2/|.', résultat conforme à celui
qui a été obtenu , en 1791 , par M. de Rossel,
dans l'expédition de d'HntrecasIeaux '. La
déclinaison de l'aiguille varie de plusieuis
degrés, selon qu'on l'observe au môle ou
' Caleano, ViagealSTagellangs, p. 8. Krusenstern,
Keiseumdie rVeU,1\i.l,S. 78, et mes Obs. a^tr. ,
Tom. X , p. XXXVII, et p. 27 et 7>1).
' Voyage à la recherche de l.a Peyrouse , Tom, II,
p. 291.
CHAPITRE II. 2l5
sur plusieurs points au nord, le long du
rivage. On ne sauroit êlre surpris de ces
changemens dans un lieu entouré de roches
volcaniques. J'ai observé, avec M. Ga j-Lussac,
que, sur la pente du Vésuve et dans Tintérieur
de son cratère , l'intensité des forces magné-
tiques est modifiée par la proximité des kves '•
Après avoir été fatigués , par les questions
multipliées des personnes qui visitoient notre
bord pour recueillir des nouvelles politiques ,
nous descendîmes enfin à terre. Le canot
fut aussitôt renvoyé vers la corvette , de peur
que le ressac, qui est très-dangereux dans
cette rade, ne le brisât contre le môle. Le
premier objet qui frappa nos regards , étoit
une femme d'une taille élancée, extrême-
ment basanée et mal vêtue , qu'on . appe-
loit la Capitana. Elle étoit suivie de plusieurs
autres , dont le costume n'étoit pas plus décent :
toutes demandoient avec instance de pouvoir
aller à bord du Pizarro, permission qui natu-
rellement ne leuf fut pas accordée. Dans ce
port , si fréquenté par les Européens , le
dérèglement des mœurs prend les formes
' Mém. de la Société d^Arcueily Tom. I ; p< 9.
2l6 I,IVRE r.
de l'ordre. La Capitann est un chef choisi
par ses compagnes , sur lesquelles elle exerce
une grande autorité. Elle empêche ce qui
pourroit nuire au servicedes vaisseaux; elle
engage les matelots à retourner à leur bord
aux heures qui leur sont prescriles. Les offi-
ciers s'adressent à elle lorsqu'on craint que
quelque personne de l'équipag'e ne se cache
pour déserter.
En entrant dans les rues de Sainte-Croix,
nous sentîmes une chaleur suffocante, quoique
le thermomètre ne s'élevât pas au-dessus de
25 degrés. Quand on a long-temps respiré
l'air de la mer, on souffre chaque fois qu'on
débarque, non parce que cet air contient
plus d'oxygène que l'air de terre, comme
on l'a faussement avancé, mais parce qu'il
est moins chargé de ces combinaisons ga-
zeuses ' que les substances animales et végé-
tales, et le terreau, qui est le résultat de
leur décomposition , versent continuelle-
ment dans l'atmosphère. Des miasmes, qui
échappent à l'analyse chimique , agissent
puissamment sur nos organes , surtout lorsque
' Nouv.-Efp., Tom. IV, p. 56i <le l'édît. iD-8°.
CHAPITRE II. 31 J
cts derniers n'ont pas éprouvé depuis long*
temps le même genre d'irritaticm.
Sainte-Croix de lénériffei VAnaza des
Goaadies, est uoe ville assez jolie ^ et dont
h papoladon s'élève à huit mille âmes. Je
n j ai pas été frappé de ce grand nombre
de moines et d'ecclésiastiques séculiers que
les Tojageurs se croient obligés de voir dans
tons les pays soumis à l'Espagne. Je ne
m'arrêterai pas non plus à décrire les églises,
la hibliothéqne des Dominicains , qui s'éieve
à peine à quelques centaines de volumes,
le m^ où les habita ns s'assemblent le :>oir
pour chercher la fraîcheur, et ce £ameux
momunent de marbre de Carare , de trente
pieds de haot, dédié à Noire-Dame de la
Candelaria^ en mémoire de l'apparition mi-
racoleiise qu'elle fit, en 1^92 , à Cbimisay,
près de Goimar. Le port de Sainte-Croix
peut être considéré comme un graiid cara-
vansenuy sitoé sur la route de VKuvhvUi^^
et de flnde. Presque toutes le^ reUi(ii:/iis de
Toraiges commencent par uiie descripilon
de la^f^K et de Teoéfifie : et $i ihivtoiie
pbvsiqae de ces jles offie eoccr^ nu cltairip
iimnense à exploiter^ il laui canveiâi que
2lS LIVRE I.
la topographie des petites villes de Funchal,
de Sainte-Croix, de lu Layirna et de l'Oro-
tava, ne laisse presque rieo à désirée'.
Les recommandations de la cour de^VIadrid
nous procurèrent aux Canaries, comme dans
lonlesles autres possessions espagnoles, la ré-
ception la plus satisfaisante. Le capitaine géné-
ral nous fil délivrer d'abord la permission de
parcourir l'île. Le colonel Armiaga , chef
d'un régiment d'infanterie, nous logea chez
lui et nous combla de politesses. Nous ne
pûmes nous lasser d'admirer, dans son jardin ,
cultivés en plein air, le Bananier, le Papayer,
le Poinciana pulcherriraa, et d'autres végé-
taux que jusqu'alors nous n'avions vus que
dans les serres. Le climat des Canaries n'est
cependant pas assez chaud pour mûrir le
véritable P lalano  rlon , à fruît triangulaire,
de 7 à 8 pouces de longueur, et qui, deman-
' Borda, royale de la Flore, Tora. I, p. 86.
fiera, NoUcias lihtoricas , Tom. It, p- i34; Bory de
Saint- Vincent , Essai sur les île» Forlunéesj p. 23o;
Bedru, Voyage aux Ues de Ténèrljfe el de Porto Rico,
Tom. l , p. 3? ; MilbeTt, Voyage pittoresque à l'Ile-
de-Friincc , Tom. \, p. g. Voyage de Macartney ,
Tom. Ij p. 74,
trsijpêr,rt2Z3re KLOjmzie de pr» fie
24 dlc^ii» cewflfTfmiCT, Kbe wat pis laèmis
dans Ia ^aBêc de Guricas. Les Biizunes de
Têacnfe sont cette» qnœ les Colons e$p4r-
gaob dcss^eal par les noos de CamS-tàns
OB CoÔMes ci de DoMmète^s^ Le Gunburi,
^ souffre le boibs an fmd, est K^ètiie
Cflkivé aiec soccès a JfjJj^ "": nuis les firaks
que Foo toà de taa|» ea temps à Cadix
fini i M'yl des iles Canaiies. par des tûsscsiux
qû fiwDt le trajet en trocs 00 cpiatre four^
En général, le Mnesa, conno de tons les
peuples de la 100e tonide . et qne jnsques
ki on n'a trovré noUe part à letat saura^e,
Taiie dans ses fruits, comme nos pommiers
d nos poîrîen. Ces Torietês '. que la plu-
part de natoralstes confondent . quoiqu'elles
exigent nn dimat três-different . sont de^e-
nues eottçtantes par nne lonsTue culture.
Nous fîmes le soir mie herborisation vers
le fort de Passo Alto . le Ion? des rochers
basaltiqoes qui ferment le promontoire de
Naga. Noos fumes trê&-pea contens de notre
' La tempêntcre mojeime de cette TÎlle n'est qua i
de i8^ * '
^ Nowr\-Eip. j Tom. III, p. aS de Tcdit. iii-8*.
220 MVRE I.
récolte ; car la sécheresse et la poussière
avoient pour ainsi dire détruit la végétation.
Le Gacalia Kleinia, l'Euphorbia canarieusis
et plusieurs autres plantes grasses qui tirent
leur nourriture plutôt de l'air que du sol
sur lequel elles sont fixées, nous rappeloient
par leur port que ce g'roope d'îles appar-
tient à l'Afrique et même à la partie la plus
aride de ce continent.
Quoiquelecapilaine delà corvette eût ordre
des' arrêter assezlong-temps à Ténériffe, pour
que nous pussions monter à la cime du Pic,
si toutefois les neiges le permetloient , on nous
avertit, à cause du blocus des vaisseaux an-
glois , de ne pas compter sur un dékii de plus
de quatre à cinq jour^ Nous nous hâtâmes
par conséquent de partir pour le port de l'O-
rotava, qui est situe sur la pente occidentale
du Volcan , et dans lequel nous devions trou-
ver des guides. Je ne pus découvrir personne,
à Sainte-Croix , qui eût gravi le Pic : je n'en
fus pas surpris. Les objets lesplus curieux nous
intéressent d'autant moins qu'ils sont plus rap-
prochés de nous, et j'ai connu deshabitans
de la ville de Schafhouse , en Suisse , qui n'a-
voient jamais vu de près la chute du Rhin.
CHAPITRE II. 221
Xie 20 juin , avant le lever du soleil , nous
BOUS mîmes en route pour monter à la Villa
de laLaguna , élevée de 55o toises ^ au-dessus
du port de Sainte-Croix. Nous ne pûmes vé-
lifier cette détermination de hauteur ; car le
ressac de la mer ne nous avoit pas permis de
retourner , pendant la nuit , à notre bord ,
pour chercher les baromètres et la boussole
d'inclinaison. Gomme nous prévoyions que
notre voyage au Pic seroit très -précipité,
QoQS nous consolâmes facilement de ne pas
exposer des instrumens qui dévoient nous
servir dans des contrées moins connues des
Européens. Le chemin par lequel on monte
à la Lagmia est sur la droite d'un torrent ou
baranco qui , dans la saison des pluies , forme
de belles cascades : il est étroit et tortueux*
On m'a asssnré j depuis mon retour , que M. de
Perlasca est parvenu à faire tracer une nou-
velle route sur laquelle peuvent rouler des
voitures. Près de la ville nous rencontrâméf
des chameaux blancs qui paroissoient trèi-
peu chargés. L'emploi principal de ces aoi'»
' Cette éralnatkm n'est qu'appraximatiire* TofP^
Bote & la fin da trasîênie chapitre.
maux est de porter des marchandises de la
douime aux magasins des néf^ocians. Oq les
charge ordinairement de deux caisses de sucre
de la Havane, qui pèsent ensenrihle 900 livres :
mais on peut augmenter celle charge jusqu'à
10 quintaux ou 53 arrobes de CastiUe. Les
chameaux ne sont guère communs à Téné-
riffe, tandis qu'ils existent par milliers dans
les deux îles de Lancerote et de Fortaven-
ture. Ces dernières , plus rapprochées de l'A-
frique , ont aussi un climat et une végétation
plus analogue à celle de ce continent. D esl
bien extraordinaire que ctl animal utile , qui
se propage dans l'Amérique méridionale, ne
le lasse presque jamais à Téuériffe. Seulement
dans le district fertile d'Adexe, où les plan-
tations de la canne à sucre sont les plus con-
sidérables ', on a vu les chameaux se multi-
plier quelquefois. Ces bêtes de somme, de
même que les chevaux , ont été introduites
aux îles Canaries au quinzième siècle , par
les conquérans normands. Les Guanches ne
les connoissoient pas , el ce fait paroît s'ex-
' Elles ne produisciit cependaut aujourd'hui pas au
tlelà de 3oo quialaus, de sucre terré par un.
mwi, 1*11,
TyfcvyrrtH: x;. *:*j^
irjtiiiijMiBr irj^Wt .animgr' -ik- ^ ifcrif- Xiiilir ^ai^
«db Ëréhe csmal&..i£aDs^ oij oc nia Itifsinin iir ?t^
|iBiipfaa& £k:XJÉitiai]iui&.. £ nranmr iîr rn^- ^iif^
4e &m tfitirKtttnxij iti ît La^^iouî ^^ji^iTiirnri)
i ce ^^gftenijb c^ JUiinatrsi» ^ Kitâs;jîb&r <pYi ^
iaoégBSSDQcaii^ au i^sisinf die wvènr^ >ivik\j^
miACiin ai Î*j: ^ T^isnirjSt^ l jt Iv--
sur ièigiKL sicos- siuervijj^'cre^ tf^vn.: £^;ut
Noos ir wsrjmmim^s- ce L^iarcèiboà? • ôf Jv-v
sore pcxiaÉfimfêiÊ I;iiiie2e;ise . i" i-^. ^^er*; .-•'.^*
peo toiece « *:ir»<»at •:r!staiîîî?ff tri c-7'^'V-c?i i
six faces* La pr«»asiere <îe ces 5~j:si:,ir.«:i^. ^l
extréiDflBesl raïre ^ T.*ïierid:e ; e r..^ j^- ^-
maîs tnwrt^ «ims les U^-îs ia V^s»/^^ : r- -^
de l'Etna «estes la cnat*ena*^nt ^*v^.4»<Urir»rf,er4.,
* Peridot :n'aau li û>raie . ?î-« • * '
* Amphigêne ; îiÂii j
:!2^ tivnn I.
Malgré le grand nombre de blocs que nous
nous arrêtâmes à casser , au grand ennui de
nos guides, nous ne pûmes découvrir ni né-
pbeline, ni leucite ', ni feldspatb. Celui-ci,
qui est si commun dans les laves basaltiques
de l'île d'Ischia , ne commence à paroîtte à
Ténériffe que lorsqu'on s'approctie du volcan
mênie. La roche de la Laguna n'est pas co-
lonnaire, mais divisée en bancs de peu d'épais-
seur, et inclinés à l'est sous un angle de 3o à
4o degrés. Nulle part elle n'offre l'aspect d'un
conrant de laves sorti des flancs du Pic. Si le
volcan actuel a donné naissance à ces basaltes,
illaut supposer que, semblables auxsubslances
qui composent la Somma , adossée au Vésuve,
ils sont l'effet d'un épanchement sous-marin
dans lequel la masse liquide a Ibrmé de véri-
tables couches. Quelques Euphorbes arbo-
rescentes, le Cacalia Kleinia et des Raquettes
(Cactus), qui sont devenues sauvages aux îles
Canaries , comme dans l'Kurope australe et
dans tout le continent de l'Afrique, sont les
seuls 1 egétaux que l'un observe sur ces rochers
avides. Nosmulels glissoient à chaque instant
CHÀrtTRE li. 225
fturclcislits de pierre fortement inctiDes* Nous
reconnûmes cependant les restes d'un ancien
paré. Dans ces colonies on découvre à chaque
pas quelques traces de l'activité que la nation
espagnole a déployée au seizième siècle.
A mesure que nous approchâmes de la
liaguna nous sentîmes la température de l'at-
mosphère s'abaisser graduellement. Cette sen^
sation est d'autantplusdouce que l'air de Sainte-
Croix est très-suffocant. Comme nos orgranes
sont plus affectés par les impressions désagréa^
blés f le changement de température devient
encore plus sensible quand on retourne delà
Laguna au port : on croit alors approcher de
Touverture d'une fournaise. On éprouve la
même chose lorsque , sur les côtes de Caracas,
on descend de la montagne d'Avila au port
de la Gaajra. Selon la loi du décroissement du
calorique , trob cent cinquante toises de hau-
teur ne produisent y sous cette latitude y que
trois à quatre degrés de différence de tempé-
rature. La chaleur , qui accable le voyageur
en entrant à Sainte-Croix de Ténériffe ou à la
Guajra, doit par conséquent être attribuée à
la réyerbération des rochers auxquels ces villet
•ont adossées.
3a6 LIVRE 1.
C'esl la fraîcheur perpétuelle que l'on trouve
à laLaguna qui la fait reg'arder, aux Canaries,
comme un séjour délicieux. Située dans une
petite plaine, environnée de jardins ^ dominée
par une colline qui est couronnée d'un bois
de lauriers, de myrtes et d'arbousiers, la ca-
pitale de TénérilTe a en elTet une exposition
des plus riantes. On se tromperoitsi, d'après
le récit de queltjues voyageurs, on la crojoit
placée au bord d'un lac. Les eaux de pluie y
forment de temps en temps un marais étendu;
et le géologue qui voit partout plutôt l'état
passé que l'état présent de la nature , ne peut
douter que toute la plaine ne soit un grand
bassin desséché. La Laguria, déchue de son
opulence, depuis que les éruptions latérales
du volcan oui détruit le port de Garachico ,
et que Sainte-Croix est devenue le centre du
commerce de ces îles, ne compte plus que
gooo liabitans, parmi lesquels il y a près de
4oo moines répartis en sixcouvens. Quelques
voyageurs ont assuré que la moitié delapo-
piilalion portoit le froc. La ville est entourée
d'un graïul nombre de moulins à vent, qui
annoncent la culture du froment daus ces
contrées élevées. J'observerai à cette occasioB
CHAPITRE n. 227
qae les graminées céréales éloîenl connues des
Gnanches. Ds appeloient le blé, à Ténérifle»
tano j à Lancerote , triffa j i orge , à Tile Ga-
narie , portoit le nom à^ aramoianoque ^ et à
Lancerote , celui de tamoscn. La farine d'orge
torréfié ( gojio ) et le lait de chèvre étoient la
nourriture principale de ce peuple , sur l'ori-
gine duquel on a fait tan t de rêyessjstématiqaes.
Ces alimens indiquent assez que les Guanches
tenoient aux peuples de Tancien continent ,
peut-être même à ceux de la race du Gaucase»
et non , comme le reste des Adantes S aux
babitans du nouveau monde ; ces derniers ,
avant l'arrivée des Européens , ne connois-
soient ni céréales^ ni lait ^ ni fromage.
Un grand nombre de chapelles, que les
Espagnols nomment ermitaSy entourent la ville
de la Laguna. Ombragées par des arbres tou-
jours verts et placées sur de petites éminences,
ces chapelles ajoutent ici , comme partout, à
' Sans entrer ici dans aucune discussion sur Texis-
tence de l'Atlantide, je rappellerai l'opinion de Diodore
de Sicile, d'après lequel les Atlantes îgnoroîent l'usage
des céréales , parce qu'Us avoient été séparés du reste
du genre humain avant que ces graminées fussent cul-
tivées. Diod. Sicul., Tom. III, p. Wessel. i3o.
i5*
3a8 LIVRE I.
l'effet pittoresque du paysage. L'intérieur de
la ville ne répond pas k son extérieur. Les
maisons sonl d'une consiruclion solide , maïs
très-anlique , et les rues paroisseiit déserles.
XJa botiiniste ne doit pas se plaindre de cette
vctuslé des édifices. Les toits et les murs sont
couverts du Sempervivum canariense et de
cet élégant Trichomanes dont tous les voya-
geurs ont parlé : des brouillards fréquens
alimentent ces végétaux.
M. Andersen , le naturaliste de la troisième
expédition du capitaine Cook, conseille aux
médecins de l'Iùirope d'envoyer leurs malades
à l'île de Ténériffe, non sans doute par les
motilis qui font préférera quelques gens de
l'art les eaux iherinales les plus éloignées, mais
à cause de l'exlrcmedouceuret de l'égalité du
climat des Canaries. Le soi de ces îles s'élève en
amphithéâtre, et présente à la fois, comme
le Pérou elle Mexique , quoique sur une petite
échelle , tous les climats , depuis les chaleurs
de l'Afrique jusqu'au froid des hautes Alpes.
Sainte-Croix, le port dcl'Orotava, la ville du
même nom et celle de la Laguna, offrent quatre
endroits dont les leinpératures moyennes for-
meat une série décroissante. Dans l'Europs
^ CHAPITpE II. 129
australe, le changement des saisons est encore
trop sensible pour qu'elle puisse présenter les
mêmes avantages. TénériiTe , au contraire , si-
tuée pour ainsi dire à l'entrée des tropiques ,
quoiqu'à peu de journées de navigation de l'Es-
pagne , participe aux beautés que la nature a
prodiguées dans lés régions équinoxiales. La
végétation y développe déjà quelques-unes de
ses formes les plus belles et les plus imposantes,
celles des bananiers et des palmiers. L'homme
sensible aux beautés de la nature trouve, dans
cette île délicieuse , des remèdes encore plus
puissans que le climat. Aucun séjour ne me
paroit plus propre à dissiper la mélancolie ,
et à rendre la paix à une ame douloureusement
agitée , que celui de Ténériffe et de Madère.
Ces avantages ne sont pas uniquement l'effet
de la beauté du site et de la pureté de l'air ;
ils sont dus surtout à l'absence de l'esclavage,
dont l'aspect est si révoltant aux Indes et par-
tout où les Colons européens ont porté ce
qu'ils appellent leurslumières et leur industrie.
En hiver, le climat de la Laguna est extrê-
mement brumeux , et les habi tans se plaignent
souvent du froid. On n'y a cependant jamais
TU tomber de la neige , ce qui pourroit faire
230 LivnE r.
croire que la température moyenne de celte
ville doit être au-dessus de \^",~ (i5o" R.),
c'est-à-dire qu'elle excède encore celle de
Niiples : je ne donne pas celte conclusion
comme rinjoureuse; car, en hiver, le refroi-
dissement des nuages ne dépend pas autant de
la température moyenne de l'année entière
que de la diminution instantanée de chaleur
à laquelle un district est exposé par sa situation
locale. La lempérature moyenne de la capitale
duMexiqne, par exemple, n'est que de i6",8
( i.t",!) r.); cependant en cent ans on n'y a
"VH tomber de la neige qu'une seule fois, tandis
que , dans l'Europe australe et en Afrique, il
neige encore dans des endroîls dont la tem-
pérature moycnneest au delà de 19 degrés.
C'est le voisinage de la mer quirend la La-
guna plus tempérée en hiver qu'elle nedevroit
l'ètie, à cause de son élévation au-dessus du
niveau de l'Océan. J'ai même été étonné d'ap-
prendre que M. Broussonet a planté , au
milieu de celte ville , dans le jardin du marquis
de Nava,des arbres à pin (Arlocarpus incisa)
et des cannelliers ( Laurus Cinnamomum ).
Ces prodiîcltons précieuses de la mer du Sud
et des Grandes-Indes s'y sont acclimatées aussi
CHAPITRE n. 201
bien qu'à l'Orotava. Cet essai ne prouTeroit-il
pas que l'arbre à pin pourroit, végéter en
Calabre y en Sicile et en Grenade ? La cul-
tare du caffîer n'a pas également réussi à
la Laguna , quoique ses fruils mûrksent à
Tegueste , comme entre le port de TOrotava
et le village de Saint- Jean de la Rambla. Il est
probable que quelques circonstances locales ,
peut-être la nature du sol et les vents qui souf-
flent lors de la floraison^ sont la cause de ce phé-
nomène. Dans d'autres régions , par exemple
auic environs de Naples , le cadSer produit
assez abondamment y quoique la température
moyenne s'élève à peine au-dessus de 18 degrés
centigrades.
Personne n'a déterminé , à l'île de Téné-
nSe y la moindre hauteur à laquelle on voit
tomber annuellement de la neige. Cette déter-
mination, facile à exécuter par des mesures
barométriques, a été en général négligée jus-
qu'ici sous toutes les zones ; elle est cependant
d'un grand intérêt pour l'agriculture des colo-
nies et pour la météorologie 9 et tout aussi
importanteque la mesure de la limite inrérleiiro
à laquelle se maintiennent les neigr's per|ir; -
tuelles. Mes observations m'ont fourni les <iofi -
nées que je vais réunir dans le tableau suivant :
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LIVRE I
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A °
CHAPITRE II. 253
Cette table ne présente que Tétat mojea
de la nature , c'est-à-dire les phénomènes tels
qu'on les observe annuellement. Il existe des
exceptions fondées sur des localités particu-
liëres. Ainsi, il neige quelquefois, quoique
très-rarement, à Naples, à Lisbonne, et même
à Malaga , par conséquent jusqu'au ^y"" degré
de latitude ; et, comme nous venons de l'obser-
ver , on a vu tomber de Ja neige à Mexico ,
ville dont l'élévation au-dessus du niveau de
la mer est de iijS toises. Ce phénomène,
qui ne s'étoit pas présenté depuis plusieurs
siècles, eut lieu le jour de l'expulsion des
Jésuites , et fut naturellement attribué par le
peuple à cet acte de rigueur. Une exception
plus frappante encore nous a été offerte pour
le climat de Valladolid , capitale de la province
de Méchoacan. D'après mes mesures , la hau-
teur de cette ville , située par les 19^^ 4^' ^^
latitude , n'est que de mille toises ; et cependant
peu d'années avant notre arrivée à la Nouvelle-
Espagne , les rues y ont été couvertes de neige
pendant quelques heures.
On en a vu tomber aussi à Ténériffe dans
un terrain situé au-dessus de l'Esperanza de
la Laguna , tout près de la ville de ce nom »
2.14 LITIIE I.
doDt les jardins renfeiment l'arbre à pin. Ce
f.iit extraordinaire a été rapporté à M, Brons-
sonet par des gens très-âgés. L'Erîca arborea,
leMiricaFayaetrArbutnscallycarpa" nesoof-
li'irent pas de cette neige; mais elle fit périr
tous les porcs qui étoient en plein air. Cette
observation est intéressante pour la physio-
logie végétale. Dans les pays chauds, les plantes
sont si vigoureuses que le froid leur est moins
nuisible , pourvu qu'il soit de courte durée.
J'ai vu cultiver, à l'île de Cuba, le Bananier
dans des sites où le thermomètre descend à
7° centésimaux , et quelquefois très-près du
jiointdelacongélation. En Italie etenEspagne,
les orangers et les dattiers ne périssent pas ,
quoique le froid pendant la nuit soit de deux
degrés au-dessous de zéro. En général , les ciil-
livaleurs observent que les arbres qui croissent
dans un sol fertile sont moins délicats, et par
conséquent moins sensibles à de grands abais-
semens de température , que ceux qni végètent
' Ce bplarbousifir, rap|iorté par M. Brou5soiiet,est
Bien différent de l'Arbiitus laurifolîa avec lequel il a
été confondu , et qui appartient à la Flore de l'Amé-
rique septeatrionale.
CHAPITIIE II. 235
dans on terrain duquel ils ne peuvent lirer que
peu (le sucs nourriciers '.
Pour passer de la ville de la Lagiina au port
de rOrotavaetàla côte occidentale de Téné-
riffe , on traverse d''abord une région moD-
tueuse couverte d'un terreau noir et argileux,
dans lequel on trouve quelques petits cristaux
de pyroxène. Les eaux détachent vraisem-
blablement ces cristaux des rochers vobins,
comme à Frascati près de Rome. Malheureu-
sement des couches de terre ferru^'ioeose
dérobent le sol aux recherches du géologue.
Ce n'est que dans quelques ravins que l'on
découvre des basaltes colonnaires un peu
courbés, et au-dessus d'eux des brèches très-
récentes et analogues aux tufs volcaniques. Ces
brèches ench<îssent des iragmens du même
' Les mâriers, cultivés dans les terrains maigr^'B
et sablonneux des pays limitrojihes de tu mer Bal-
tique, oDrent des exemples de cette foiltlesse d'oi
nitation. Les gelées tardives leur font beaiil
de mal qu'aux mAriers du Piémont. EnÂ
froid de 5° au-dessous du point de c
bit pas périr des orangers robustes. Selon ]
ces arbres, moins délicats qae les Umoiu etfl
DC gilent qu'à — lo" ceat£>ims.ux.
256 LIVRE I.
basalte qu'elles recouvrent j et , à ce que l'on
assure , on y observe des pélrifi calions uéla-
giques : le nièine pliénomcue se répèle dans
le Vicenlin , près de Montechio-Maggiore.
En desccndanl dans la vallée de Tacoronte
on^enlre dans ce pays délicieux, donl les voya-i
geurs de toutes les nalions ont parlé avec
eotlionsiasme. J'ai trouvé, sous la zone torride,
des sites où la nature est plus inajesluense, plus
riche danslc déveioppenienl des l'ormes orga-
niques ; mais après avoir parcouru les rives
de rOrénoque, les Cordillères du Pérou et
les belles vallées du Mexique, j'avone n'avoirva
nulle part un tableau plus varié , jdus attrayant,
plus harmonieux par la distribution des masses
de verdure et de rochers.
Le bord de la mer est orné de dattiers et
deajcoliers. Plus haut, des groupes de Musa
contrastent avec les dragonniers, donl on a
justement comparé le tronc au corjis d'on-ser-
pent. Les coteaux sont cultivés en vignes qui
étendent leurs sarmens sur des treillages très-
élcvcs. Des orangers, chargés de fleurs , des
myrleset des cyprès entourent les chapellesque
la dévotion a élevées sur des collines isolées.
Partout les propriétés sont séparées par det
CHAPITRE n. tdf
clôtures formées d'Agave et de Cactus. Une
innombrable (luanlllé de plantes crylîlogames,
surtout de fougères , tapissent les murs ,
humectés par de petites sources d'une eau
limpide. En hiver , tandis que le Tolcan est
couvert de neige et de glace, on jouit dans
ce canton d'uri printemps continuel. En été,
au déclin du jour , les vents de mer y répandent
une douce fraîcheur. La population de celte
côte est très-considérable; elle paroît .l'être
encore davantage , parce que les maisons et
les jardins sont éloignés les uns des autres , ce
qui augmente la beauté du sile. Malheureu-
sement le bien-être des habilans ne répond
ni aux efforts de leur industrie, ni aux avan-
tages dont la nature a comblé ce canton. Les
cultivateurs né sont généralement pas proprié-
taires : le fruit de leur travail appartient à la
fioblesse , et ces mêmes institutions féodales
qui, pendant long-temps, ont répandu la
misère sur toute l'Europe , entravent encore
le bonheur du peuple dans les îles Canaries.
Depuis Teguesle et Tacoronte jusqu'au vil-
lage de San JuandelaRambla, qui est célèbre
par son excellent vin de Malvoisie , la cote est
cultivée comme un jardin. Je la comparerois
SZS LIVIIE I,
aux environs de Capoiie ou de Valence, si
la parlie occidentale de Ténériffe n'étoit in-
finiment plus belle à cause de la proximité
du Pic qui offre à chaque pas des points de
vue nouveaux. L'aspect de cette montagne
n'intéresse pas seulement par sa masse impo-
sante ; il ocL'upe vivement la pensée en la faisant
remonter à la source mystérieuse de l'action
volcanique. Depuis des milliers d'années ,
aucune llamme , aucune lueur n'ont été aper-
çues au sommet du Piton , et cependant
d'énormes éruptions latérales, dont la der-
nière a eu lieu en 1798, prouvent l'activité
d'un feu qui est loin de s'éteindre. Il y a d'ail-
leurs quelque chose d'attristant dans la vue
d'uncriitcre placé au centre d'un pays fertile et
bien cultivé. L'histoire du globe nous apprend
que les volcans détruisent ce qu'ils ont créé
dans un long espace de siècles. Des îles , que
l'action des feux sous-marins a fait paraître
au-dts.sus des flots , se parent peu à peu d'une
riche et riante verdure ; mais souvent ces
terres nouvelles sontdécbirées parTaclion des
mûmes forces qui ont soulevé le fond de
l'Océan. Peut-être des îlots, qui n'offrent
aujourd'hui que des amas' de scories et de
CHAPITRE II. 239
cendres volcaniques y ont été jtidis aussi fertiles
que les coteaux de Tacoronte et du SauzaL
Heureux les pajs où rhomme n'a pas à %q
défier du sol qu*il habite !
En suivant notre route au port de TOrotava »
nous passâmes par les jolis hameaux de Ma-
tanza et de Victoria. Ces noms se trouvent
iréunis dans toutes les colonies espagnoles ; ils
contrastent désagréablement avec les senti-
mens de paix et de calme qu'inspirent ces
contrées, àlatanza signifie boucherie ou car-'
nage ^ et le mot seul rappelle à qoel prix la
victoire a été achetée. Dans le nouveau monde^
fl indique généralement la défaite des indi-
gènes ; à Ténérifie , le village de Matanza a
été fondé dans un lieu ' où les EspagmJs
forent vaincus par ces mêmes Guanches qoe ,
bientôt après , on vendit comme esclaves
dans les marchés de l'Europe.
Avant d'atteindre rOrota va , nous nous ren-
dîmes au jardin de botanique situé à une ^^vcûie
distance du port. Noos j trouvâmes M. Le-
gros 9 vice-consul francoi». qt^i a^oit ^i .t^
souvent le sommet du Pic, et q<ii fut [p^jrir
1 ¥'
L ancien Acantiro.
a^O ltT*E I.
nous lin guide très-précieux. Il aVoit suIï!
Je capitaine iJaudin dans une expédition aui
'Antilles , (|ui a beaucoup contribué à enricbii
le jardin des Plantes à Paris. Une borriBIe
tempête, dont M. Ledru a donné les dé-
tails dans la relation de son voyage à PorliJ
Rico, l'orca le bâiiment de relâcber à Téné-
riffe; la beauté du climat de celle île engagea
M. Le Gros de s'j établir. C'est lui qui a
fourni aux savans de l'Europe les premières
notions exactes sur la grande éruption latérale
duPic, quel'on a nommée très-'in)propreaieDt
l'explosion du volcan de Chahorra '.
L'établissement d'un jardin de botanique à
Ténériffé est une conception extrèmemeot
heureuse à cause de la double influence que
ce jardin peut exercer sur les progrès de la
botanique et sur l'introduction de végétaux
utiles en Europe. La première idée en est due
au marquis de iNava ^, dont le nom mérite
d'être placé à coté de celui deM.Poivre, et qui,
guidé constamnientparramour du bien, afait
un noble emploi de sa fortune. C'est avec des
' Le 8 juin 1798.
" Marcjuia de 'Villamicva di:) Pi'ado.
CHAPITRE II. 2^1
frais immenses qu'il est parvenu à aplanir la
colline du Durasno ^ qui s'élève en amphi-
théâtre et où les plantations ont été commto-
cées en 1795. M. de Nava a pensé que les
iles Canaries^ par la douceur de leur climat
et par leur position géographique j oflTroient
Fendroit le plus propre pour acclimater les
productions des deux Indes , et pour servir
d'entrepôt aux végétaux qui doivent s'accou-
tumer graduellement à la température plus
froide de TEurope australe. En effet ^ les
plantes de l'Asie, celles de l'Afrique et de
l'Amérique méridionale peuvent arriver faci-
lement au jardin de l'Orotava ; et , pour in-
troduire l'arbre du Quinquina ' en Sicile,
en Portugal ou en Grenade, il faudroit le
' Je parle des espèces de Quinquina qui , au Pérou
et dans le royaume de la Nouvelle-Grenade , rc(;Mcrit
sor le dos des G>rdilleres, entre 1000 et i5rx> Unsen
de hauteur dans les endroits ou le thermomètre fte
soutient le jour entre 9 et 10 degrés , et la nuit entre
et 4 degrés. Le Quinquina orangé (Cinchona lauci-
folia) est beaucoup moins délicit que le Quinquina
ronge (C oblongifolia ). Voyez le Mémoîr.^ sur les
forêts de Quinquina , que j'ai publié en 1807 , dans le
Magazin der Nalurkunde , B. I , p. 1 18.
2^2 LIVRE I.
planter d'abord au DurasnoouàIaLaguna,el
transporter ensuite en Europe les rejetons du
Quinquina des Canaries. Dans des temps plus
heureux, lorsque les fjuerres maritimes n'en-
traveront plus les communications, le jardÎD
de Ténériffc pourra aussi devenir très-utile
pour le grand nombre de plantes que l'on
envoie des Indes en Europe. Avant d'atteindre
nos côtes , elles périssent souvent à cause de
la longueur d'une navigation pendant laquelle
elles respirent un air chargé d'eau salée. Ces
végétaux trouveroient à l'Orotava les soins
et le climat nécessaires à leur conservatioD.
L'entretien du jardin de botanique devenant
d'année en année plus coûteux, le marquis
de Nava l'a ccdc au gouvernement. Nous y
trouvâmes un jardinier instruit , élève de
M. Alton , directeur du jardin royal de Kew.
Le terrain est élevé en forme de terrasse et
arrosé par une source naturelle. On y jouit de
la vue de l'île de Palma, qui s'élève comme un
château au milieu de l'Océan. Nous trouvâmes
cet établissement peu riche en plantes : on
avoit suppléé aux genres qui manquoient,
par des étiquettes dont les noms sembloient
pris au hasard dans le Sjslema vegetabitium
CHAPITRE ir. 24.5
de Linné. Celle distribution des végétanx,
d après les classes du système sexuel , que Toa
rielrouve malheureusement aussi dans plu-
sieurs jardins de TEurope, est très-contraire
à la cnlture. Au Durasno, des Protées, le
Goyavier, le Jambosier^ la Chirimoya du •
Pérou ', des Mimoses et des Heliconia, végètent
en plein air. Nous y recueillîmes des graines
mûres de plusieurs belles espèces de Glycine
de la Nouvelle-Hollande, que le gouverneur
de Cumana, M. Emparan, a cultivées avec
succès , et qui depuis sont devenues sauvages
sur les côtes de l'Amérique méridionale.
Nous arrivâmes très-lard au port de FOro-
tava % si Ton ose nommer port une rade dans
laquelle les bâtimens sont obligés de mettre à
à la voile lorsque le vent souffle avec violence
du nord-ouest. Il est impossible de parler de
rOrotava , sans rappeler aux amis des sciences
le nom de M. Cologan, dont la maison^ d'
tout temps , a été ouverte aux voyageurs
toutes les nations. Plusieurs membres de
' Annona Cherimolia , Lamarch, ,
* Puerto de la Cniz. Le seul beau port d
Canaries est celui de Saint-Sébastien , dans Vfik
Gomère.
2/|4 LIVRE !.
famille respectalile ont été élevés à Londres
et à Paris. Don Bernardo Cologan joint à des
connoissances solides et variées le zèle le plus
ardent pour ie bien de sa patrie. On est agréa-
blement surpris de trouver, dans un groupe
d'îles situées près des côtes de l'Afriqae,
cette amabilité sociale , ce goût pour l'instruc-
lion , ce sentiment des arts qu'on croît appar-
tenir exclusivement à une petite partie de
l'Europe.
Nous aurions désiré pouvoir séjourner quel-
que temps dans la maison de M. Cologan , et
visiter avec lui , près dé l'Orotava , les sites
délicieux de San Juan de la Eambla et de
Rialexo de Abaxo '. Mais, dans un voyage
conmie celui que je venois d'entreprendre,
on jouit peu du présent' Tourmenté sans cesse
de la crainte de ne pas exécuter les projetsdu
lendemain , on vit dans une inquiétude perpé-
tuelle. Les personnes qui aiment passionné-
ment la nature et les ar Ls , éprou vent ces mêmes
sensations en parcourant la Suisse ou l'Italie.
Ne pouvant voir qu'une petite partie des
' Le dernicir de ces deiiit villages est placé au pied
de la liaule montagne de Tïg.Tjg.i.
CHAPITRE II. 245^
qbjets qui les attirent , ils sont troublés dans
leurs jouissances par les privations qu'ils s*im- .
posent à chaque pas.
. Le 21 juin au matin ^ nous étions déjà en
route pour le sommet du volcan. M. Le Gros,
dont nous ne pouvons assez louer la politesse
prévenante , M. Lalande , secrétaire du con-
sulat François à Sainte-Croix de TénériflPe , et
le jardinier anglois du Durasno, partagèrent
les fatigues de cette excursion. La journée
nétoit pas très-belle; et le sommet du Pic,
qui est généralement visible à TOrotava,
depuis le lever du soleil jusqu'à dix heures,
étoit couvert de nuages épais. Un seul chemin
conduit au volcan par la Villa de Orotas^a ,
la Plaine des Genêts etle Malpajs^ c'est celui
qu'ont suivi le père Feuillée , Borda , M. La-
billardière,Barrow, et tous les voyageurs qui
n'ont pu séjourner que peu de temps à Té-
nériffe. Il en est de Texcursion au Pic comme
de celles qu'on fait communément dans la
vallée de Ghamouni et à la cime de l'Etna,
où l'on est forcé de suivre ses guides \ partout
on ne voit que ce qui déjà a été vu et décrit
par d'autres voyageurs.
Nous fumes agréablement surpris du
3^S i.ivrtE r.
coiilraste que la végoUtlion de celle parliede
TéncriiTe offroit ;tvec celle des environs de
S.iînte-Croix, Sous l'influence d'un clîmal frais
et humide, le sdI y éloil couverl d'une belle
verdure ; tandis que , sur le chemin de Sainte-
Croix à lu Laguna les phniles ne présentoient
que des capsules dont les graines étoient déjà
tombées. Près du port de la Cruz, la force
de la végétation entrave les recherches géolo-
giques. Nous passâmes au pied de deux petites
collines qui s'élèvent en forme de cloche.
Des observations faîtes au Vésuve et en Ali-
vergne font croire que ces mamelons doiveot
leur origiite à des éruptions latérales du grand
volcan. L.t colline appelée la MnntaTiita de
la f-^il/n j yavoU en eiïet avoir Jelé jadis des
la\ es ; selon les tradilions des Gnanches , celle
érnphdii cul lieu en i/j-jo. Le colonel Franqui
assura à Borda qu'on distin|^noil encore l'en-
droit uù les matières fondues étoienl sorties,
et que les cendres qui couvroîenl le terrain
voisin n'étoient point encore productives '■
' Ce fait tst tiré H'im manuscrit intéressant con-
servé aii^ounl'hui il Paiis, au Dépôt de^ Cartes de la
Maiiiie. Iljioitele titre de R ■su/né ihn opérations de la
campagne de luBousiole (en iTj&), pour déterminer
ÇHiPITRK II. S47
Partout où la roclie paroît au jour, nous dé-
couvrîmes de Taiiiygdaloïde basallique ' re-
couverte d'une argile endurcie " qui enchâsse
des rapilii ou fragmens de pierre ponce. Cette
dernière formation ressemble au tuff du Pau-
-silippe et aux couches de pouzzolane que
j'ai trouvées dans la vallée de Quito , an
pied du volcan de Pichincha. L'amygdaloïde
a des pores très-alongés , comme les couches
supérieures des laves du Vésuve. On croit y
reconnoitre l'action d'un fluide élastique qui
a percé la matière en fusion. Malgré ces ana-
logies, je dois répéter ici que, dans toute la
région basse du Pic de Ténériffe , du coté de
l'Orotava j je n'ai reconnu aucune coulée de
les positions géographiques des côtes d'Espagne et de
Portugal sur rOrHan, d'une partie des côtes occi-
dentales de l' Afrique et des îles Canaries , par le che-
valier de Borda. C'est le manuscrit dont parle M. de
Fleurieu dans les notes tju'il a aîoutàcs an Voyage de
Marchand, Tom. II , p. ii , et que M. de Borda m'a-
Toit déjà communiqué en partie avant mon départ.
Gimme j'en ai estraît des observations importantes,
qui u'ont jamais été puLliées, je le citerai dans cet
ouvrage sous le titre du Manuscrit du Dépôt,
' Basaltartiger Mnndehtein , PVerner.
î Bimsteia-Conglamerat , JV,
248 LIVRE r.
laveSj auciiit courant dont les Uiiiites fussent
bien Irancliées. Les lorrens et les inondations
changent la surface du globe ; et lorsqu'un
grand nombre de coulées de laves se réu-
nissent et sVpanchent dans une plaine, comme
je l'ai vu au Vésuve , dans V Atrio dai Cavalh,
elles semblent se confondre les unes avec les
autres, et prennent l'apparence de véritables
couches.
La f^iila de Orotava s'annonce agréable-
ment de loin, par la grande abondance des
eaux qui en traversent les rues principales. La
source d'^guei ninnsn , recueillie en deux bas-
sins spacieux , sert à mettre en mouvement
plusieurs moulins, et est distribuée ensuite
aux vignobles des coteaux voisins. On jouit à
la f^i//a d'un climat encore plus frais qu*au
port de la Cruz, la brise j soufflant avec
force depuis dix heures du matin. L'eau qui
a été dissoute dans l'air , à une température
plus élevée , se précipite fréquemment et rend
le climat très-brumeux. La Villa est à peu
près élevée de 160 toises (jia'".) au-dessus
de lasurf,.ce de l'Océan, par conséquent deux
cents toises de moins que le sol sur lequel est
construite la Laguna ; aussi observe-t-on que
CHAPITRE II. 249
les mêmes espèces de plantes fleurissent un
mois plus lard dans ce dernier endroit.
L'Orotava , r;incien Tjoro des Guanches ,
est pliicée sur la pente très-rapide d'une col-
line : les rues nous ont paru très-désertes; les
maisons, solidement construites, mais d'un
aspect luf^ubre , appartiennent presque toutes
à une noblesse que l'on accuse de beaucoup
d'orgueil , et qui se désigne elle-même sous le
nom fastueux de dose casas. Nous longeâmes
un aqueduc très-élevé et tapissé d'une iuBnité
de belles fougères. Nous visitâmes plusieurs
jardins dans lesquels lesarbres fruitiers de l'Eu-
rope septentrionale sont mêlés aux Orangers,
aux Grenadiers et aux Dattiers. Ou nous a
assuré que ces derniers portent aussi peu de
fruits ici qu'à la Terre-Ferme , sur les côtes de
Guniana. Quoique nous connussions, par le
récit de tant de voyageurs , le Dragonnier du
jardindeM.b'rauqui, nous n'en lûmes pas moins
frappés de son énorme grosseur. On assure
que le tronc de cet arbre , dont il est question
dans plusieurs docutnens très-anciens , comme
désignant les limites d'un champ, étoit déjà
aussi monstrueux au quinzième siècle, qu'il
l'est aujourd'hui. Su hauteur nous parut de
25o LIVRE 1.
5o à 60 pieds; sa circonférence près des ra-
cines est de ^5 pieds. Nous n'avons pas pu
mesurer plusLaut ; mais sir Georges Sta union
a trouvé que, 10 pieds au-dessus du sol, le
diamètre du tronc est encore de ispiedsan-
glois, ce qui s'accorde bien avec rassertion
de Borda , qui trouva la grosseur moyenne
de 35 pieds 8 pouces. Le tronc se divise en
un grand nombre de branches qui s'élèvent
en forme de candélabre, et qui sont termi-
nées par des bouquets de feuilles , comme
dans le Yucca qui orne la vallée de Mexico.
C'est celle division qui lui donne un port bien
différent de celui des Palmiers '.
Parmi les cires organisés , cet arbre est sans
doute, avecl'Adansonia ouBaobabduSénégal,
un des babitans les plus anciens de notre globe.
Les Baobabs excèdent cependant encore la
grosseur du Dragonnier de la Villa d'Orotava.
On en connoît qui , près de la racine, ont
34. pieds de diamètre , quoique leur bauteur
' J'ai donné, dans l'Atlas pittoresque qui a(
pagne cette relation (PI. lviii), la figure du Dragonniei
de Franqui, d'après une esquisse faite en 1776, pai
M. d'OEoiinc, lors de l'espcdition de MM. de Bordi
cl Varela.
CHAPITRE II. sSl
totale ne soit que de 5o à 60 pieds'. Mais il
faut observer que les Âdansonia , comme les
Ochroma et toutes les plantes de la famille
du Bombax , croissent beaucoup plus rapide-*
ment ' que le Dragonnier, dont la végétatioa
' Âdanson est surpris que les Baobabs n'aient pas
été cités par d'autres voyageurs. Je trouye , dans le
Recueil de Grynaeus, qu'Aloysio Gadamosto parle
déjà du graud âge de ces arbres monstrueux qu'il yit
en i5o4, et dont il dit très-bien <c eminentia altitur-
dinis non qiiadrat magnitudini, » Cadam. Navîg. ,
Cap. XLii. Au Sénégal et près de Praya , aux îles du
cap Verd , MM. Adanson et Staunton ont observé des
Adansonia dont le tronc avoit 56 à 60 pieds de circon-
férence. Voyage au Sénégal, Tom. I, p. 54. Le Baobab
de 34 pieds de diamètre a été vu par M. Golberry,
dans la vallée des deux Gagnack. Fragmens d'un
Voyage en Afrique^ Tom. II, p. 92.
* 11 en est de même des Platanes (Platanus occi-
dentalis) que M. Michaux a mesurés à Marietta ^ sur
les bords de TObio, et qui, 20 pieds au-dessus du
sol, conservoient encore un diamètre de i5 1^' pieds.
[Voyage à V ouest des Monts- Alhghany , i8o4 , p. 93),
Les taxus , les cbâtaigners , les cbénes , les platanes ,
les cyprès cbauyes^ les Bombax, les Mimoses, les
Gaesalpinia , les Hymenaea et les Dragonniers me pa-
roissent les végétaux qui , souâ les différens climats j
offrent les exemples de l'accroissement le plus extrait
sSa LIVRE I.
est Irès-lenle. Celui du jardin de M. Franqui
porte encore tous les ans des fleurs et des fruits.
Son aspect rappelle vivement « cette jeunesse
élernelle ' de la nature « qui est une source
intarissable de mouvement et de vie.
Le Dructenu . que l'on n'observe que dans
des endroits cultivés aux îles Canaries, à
Madère et à Porto Sauto , offre un phénomène
curieux sous le rapport de la migration des
vcfïclaux. Il n'a point été trouvé dans l'état
sauvage , sur le continent de l'Afrique ', et les
ordinaire. Vn chôue, trouvé conjointeinent avec des
c-isques ç.iu'oi», en 1809, dans les tourbières de la
Siiinmo , près du TÎUage d'Yscu5 , à 7 Leues d'Abbe-
TÎUi', ne le cède pas en grosseur au Dragoanier de
l'OroUiva. 5elon la notice donnée par M. TrauUée,
le Ironc de ce chêne avoit i4 pieds de diamètre.
' Aristot. d* ZAïngii. fllœ, Ca|>. ti (éd. Casanb. ,
p. 4^3).
SI. Si'bousiwe. dans sa Flore de Maroc (Oojub
nJ<-nst^è'^r.,S,:tl\ilsSlrrUlfr, B. /'., p. -i.nel'iD-
dicine [OS seulement parmi les pl.intes cultivées , tandis
<]u'd fait nienlion du Gietus, de l'Agave et dn Yuccju
La foruic dti Cr.i^onnier se rclrouvc dans diSecentçs
csj^êi-csdugenreDracrna.au cap de Bonne-Espérance,
l'ii Chine et à la îiou(e'!e-Zêlaui!c: mats dans le noi|-
re^iu inonde, elle est i eiuplacée par la forme du Tucct)
CHAPITRE II. 253
Indes orientales sont sa yéritable patrie. Par
quelle voie cet arbre a-t-il été transplanté à
Ténériffe où il n'est guère commun? Son
existence prouve-t-elle qu'à une époque très-
reculée y les Guanches ont eu des rapports
avec d'autres peuples originaires de l'Asie?
En sortant de la Villa de Orotava^ un sen-
tier étroit et pierreux nous conduisit , à travers
une belle forêt de châtaigniers ( el Monte de
Castahos ) ^ dans un site qui est couvert de
broussailles , de quelques espèces de lauriers
et de la bruyère en arbre. Le tronc de cette
dernière plante atteint ici une épaisseur extra-
ordinaire ; et les fleurs dont die est chargée
pendant une grande partie de l'année , con-
trastent agréablement avec celles de l'Hype-
car le Dracaena borealls d'Alton est un ConvalIariA
dont il a aussi tout le port. Le suc astringent , connn
dans le commerce sous le nom de sang de Dragon p
est , selon les recherches que nous ayons faites sur les
lieux , le produit de plusieurs régétaux américains qui
n'appartiennent pas au même genre ^ et dont qndques
uns sont des lianes. A la Laguna , on fabrique , dafl
des courens de religieuses^ des cure-dents teints d
suc du Dragoonier j el dont on nous a ranté l'usaf
comme très-utile pour la conservation des gencivif
256 LIVRE I.
suite. L'accord que nous venons d'observer
entre les mesures baroraélriqnes et thermo-
métriques est d'autant plus frappant qu'en
f^cneral , comme je l'ai exposé ailleurs ', dans
les pays inontagoeux^ à penles rapides, les
sources indiquent un décroisse m eut de calo-
rique trop grand, p;irce qu'elles réunissent
de pelils courans d'eau qui s'infiltrent à diflFé-
renles liîtuteurs, et que leur température est
par conséquent la moyenne entre les tempé-
ratures deces courans. Les eaux du Dornaiito
sont célèbres dans le pays; ce sont les seules
que l'on connût à l'époque de mon voyage
dims le chemin qui conduit à la cinre duYolcan.
La formation des sources exig'e une certaine
i-é^iiliirité dans la direction et l'inclinaison des
couches. Sur un sol volciinique, les roches
poreuses cl fendilli'es absorbent les eaux plu-
viales et les conduisent ;'i de g-randes profon-
deurs. De là, cette aridité dans la pltipart des
îles] Canaries , njal^ijié la bauteur considérable
' Oli!ifn:asCr.,\6\. I,p. 1 5a. Cesl ainsi que, dan»
1rs Montagnes Bleues de la Jiiiiiaïijiie , M. Hiinter a
trouvé les sources constninmeiit plus froides qu'elle)
ne (levroîeiit rétii; d'apiùs la bauteur à laquelle elle>
SQUidi'sriit,
CHAPITRE II. 957
de leurs montagnes et la masse de ntiages que
les navigateurs voient sans cesse amoncelés
au-dessus de cet archipel.
Depuis le Pino du Dornajito jusqu'au cra-
tère du volcan , on continue de monter sans
traverser une seule vallée ; car les petits ravins
( barancos ) ne méritent pas ce nom. Aux jeux
du géologue , toute Tîle de Ténériffe n'est
qu'une montagne dont la base presque ellip«-
tiqueest alongée vers le nord-est^ et dans
laquelle on distingue plusieurs systèmes de
roches volcaniques formées à des époques dif-
férentes. Ce que dans le pays on regarde
comme des volcans isolés , tels que Chahorra
ou Montana Colorada et la Urca y ne sont que
des monticules adossés au Pic et qui en mas-
quent la forme pyramidale. Le grand volcan,
dont les éruptions latérales ont donné nais-
sance à de vastes promontoires, n'est cepen-
dai|t pas exactement au centre de l'île , et cette
particularité de structure paroit moins surpre-
nante , si Ton se rappelle que , d'après les
observations d'un minéralogiste distingué *,
ce n'est peut-être pas le petit cratère du Piton
* M. G>rdier.
258 EITBE I.
qui a joué le rôle principal dans les reTolu-
tions qu'a éprouvées l'ile de TénérifiFe.
A la réfjion des brujères arboresceates ,
appelée Monte- f'ei'de, succède celte des fou-
gères. Nulle part, sous la zone lerapërée,je
n'ai vu celte abondancedePtcris, de Bleehnum
et d'Asplenium : cependant aucune de ces
plantes n'a le port des fougères en arbre qui,
à cinq ou six cents loises de hauteur, font
l'ornenient principal des forêts de l'Amérique
équinoxiale. La racine du PterLs aquilioa sert
de nourriture aux habitans de Palma et de
Gomera; ils ia réduisent en poudre, et ils y
mêlent un peu de farine d'orge. Ceraélanffe
grillé s'appelle gofioj l'usage d'un aliment si
grossier anuonce l'extrême misère du bas-
peuple dans les îles Canaries.
Le Monte- Verde est entrecoupé par plu-
sieurs petits ravins (ca/ïrtrfflj) très-arides. En
sortant de la région des Ibugères on tra-
verse un bois de genévriers (cedm) et de
sapins qui a beaucoup souffert par la vio-
lence des ouragans. C'est dans cet endroit
désigné par quelques voyageurs ' sous le nom
• Lerojagesefitau mois d'août 1715. /"AïV-rrons.,
Vol. XXIX, p. 317. Carabela est le nom d'une em-
CHAPITRE II. 2 $9
de la Caravela , que M. Edens prétend avoir
vu de petites flammes que^ d'après la physique
de son temps , il attribue à des exhalaisons
sulfureuses qui s'enflamment d'elles-mêmes.
Nous continuâmes de monter jusqu'à la Roche
de la Gajrta et au Portilloj c'est en traver-
sant ce passage étroit entre deux collines
basaltiques 9 qu'on entre dans la grainde Plaine
des Genêts \ Lors de l'expédition de Lapé-
rouse , ]VL Manneron avoit réussi à niveler
le Pic, depuis le port de l'Orotava jusqu'à
cette plaine élevée de près de quatorze cents
toises au-dessus du niveau de la mer , mais le
manque d'eau et la mauvaise volonté des
guides l'empêchèrent de continuer le nivel-
lement jusqu'à la cime du volcan. Les ré-
sultats de cette opération , qui a été terminée
aux deux tiers, n'ont malheureusement pas
été envoyés en Europe, et c'est un travail
à recommencer depuis la cote.
Nous mimes près de deux heures et deâ
m
barcatlon à roile latine. Les pins da Pic sem
)adb pour la mâture des Taîsseaox, et la marine jr
faisoit ses coupes (cortex de 3Iadera) dans le Ht
Verde.
' Loê LLinos d^l Rétama,
36o MTRB I.
à traverser la Plaioe des Genêts qui n'offre
à la vue qu'une immense mer de sable.
Malgré l'élévation de ce site, le thermomètre
centigrade s'élevoil à l'ombre, vers le cod-
cher du soleil, à i3",8, c'tst-à-dire à S°,y
de plus que vers le milieu du jour dans le
Monte-Vertie. Celle aug'nientation decbnleur
ne pouvoit être attribuée qu'à la réverbé-
ration du sol el à l'étendue du plateau. Nous
souffrîmes beaucoup de la poussière suffo-
cante de pierre ponce, dans laquelle nous
étions sans cesse enveloppés. Au miUen de
ce plateau s'clèvenl des touffes de Rétama j
qui est le Spartium nubigenuni d'Aiton. Cet
arbuste charmant, que M. de Martinière'
conseille d'introduire en Languedoc où le com-
bustible est rare, acquiert jusqu'à neuf pieds
de hauteur : il est couvert de fleurs odori-
férantes, dont les chasseurs de chèvres, que
nous rencoD trames sur la route , avoient
orné leurs chapeaux de paille. Les chèvres
du Pic, qui ont le poil d'un brun très-foncé,
sont regardées comme un mets délicieux : elles
* Un des botanistes i^I ont péri dans l'expédition du
Lapécouse.
CHAPITRE II. i6t
se nourrissent des feuilles du Spartiapi, et
sont sauvages âaaa ces déserts depuis un
temps immémorial. Ou tes a même trans-
portées à Madère, où elles sont préférées
aux chèvres veunes d'Europe.
Jusqu'à la Roche de la Gajta, ou à l'en-
trée du vaste plateau des Çenets, le Pic de
Ténériife est couvert d'une belle végétation :
rien n'y porte le caractère d'une destruction
récente. On croiroit gravir la pente d'un
volcan dont le feu est aussi anciennement
^int que celui du- Monte - Gavo , près de
Rome. A peine arrive-t-on dans la plaine
couverte de pierre ponce, que le passage
change d'aspect; à chaque pas on rencontre
d'immenses blocs d'obsidienne lancés par le
volcan. Tout y annonce une solitude pro-
ibnde,- quelques chèvres et des lapinai pacx
courent seuls ce plateau. La partie stérile
du Pic occupe plus de dix lieiifs <
et, comme les régions inférieures vues <
l'éloignement se rétrécissent ^ l'Ue paroîKJ
immense amas de matières brûlées^ aatO
duquel la végétation ne forme qu'une 1
étroite.
En sortant de la région du .Spartium i
j^UMM , Boos puTinmes , par des gorges
resserrées et pu* de petits ravim que les
torre&soatcTeasestrès-ancieaDeDieDt, d'abord
à on pbteiu plosélefé {et ifonlom de Tn'go),
paê j l'etidroit où ooas devions passer la
■ail. Cette stittoo, qtii a plu5 de i^5o toises
dl'êtevadoo au-dessus des côtes , porte Je nom
Ai b H»be dtï ^M^iois y £stiiacia de los
Imgiesfs'. Sans doute parce que jadis lesToja-
^ups ao^Iois etoieut l'Alix qui visîtoient le
pluï ïrvqueiuiuent le Pic. Deux rochers în-
<iùies formeul une sorte de caverne qui offre
un jhri coulre le Teot. Cerf jusqu'à ce point,
dt-jj plus élevé qiie le sommet du Canigou,
que lou peut monter à dos de mulets; aussi
beaucoup de curieux qui , en partant de
' C«lt^ ^Doaûnitioa étoïl c*iê)à oàtée an commen'
onKOl <1« tVrairr siè<:i<>. M. Yâetm, qui corrompt
to<t$ les BMls iKpasniolj. comme l'on*, encore de dm
îi«tirs U plupart des »ovageur> , l'appelle U S:amcAa :
<'cit U Stj.'.'on ifci Rochm de M, de Borda, comme
Vf (ivuxrnt le* hauteurs barométriques qni j OBt éi*
obét^Mïrs. Ces lualeure éloieol , d'après M. Cordier,
en i8.^, île 19 pouc. 9,5 li^. , et, d'après U M. Bord*
ei ^ areU, en fé, de 19 ponc. g,8 lig. , le barCK
mètre w soutenant â TOrotaTa , à une ligne près, â la
uiênK élévation.
CHAPiTRË n. s65
rOrotava, avoient cm parvenir jusqu'au bord
du cratère, s'arrétent-ils à cet endroit. Quoique
au fort de l'été et sous le beau ciel de l'Afrique,
□ous souârlmes du froid pendant la nuit.
Le thermomètre baissa jusqu'à 5°. Nos guidés
firent un grand feu avec des branches sècheâ
de Rétama. Dépourvus de tentes et de man-
teaux, nous nous étendîmes sur un amas
de roches brûlées, et nous fûmes singuliè-
rement incommodés par la fiamme et U
fumée que le vent chassoit sans cesse vers
Dous. Nous avions essaj^é d'établir une sorte
de paravent avec des draps liés ensemble-
mais le feu prit à celte clôture , et nous ne nous
en aperçûmes que lorsque la phis grande
partie en étoit conmmée par le» fiaiumefi<
Nous n'avions jamais passé la nuit à une
à grande élévation , et je ne me doutois i
alors que, sur le dos des Gordillëres,
habiterions un jour des villes dont le soï 6St' '
plus élevé que la cime du volcaa i
devions atteindre le leodemain. ]
pérature diminuoit, et plus le E
de nuages épais. La uuit iotet
du courant ascendant qui, pefld
a'élève des plaines vers les :
264 LIVRE I.
de l'atmosphcre, et l'air, en se refroidissant,
perd de sa force dissolvaule pour l'eau. Le
\ent du nord chassoit avec beaucoup de
force les nuages; la lune perçoit de temps
en temps à travers les vapeurs , et son disque
se montroit sur un fond d'un bleu extrê-
mement foncé : l'aspect du volcan donnoit
un caractère majestueux à cette scène noc-
turne. Tantôt le Pic étoit entièrement dérobé
à nos )eiix par le brouillard, tantôt il pa-
roissoit dans une proximité effrayante; et,
semblable à une énorme pyramide, il pro-
ietoit son ombre sur les nuages placés au-
dessous de nous.
Vers les trois heures du matin, à la lueur
lugubre de quelques torches de pin , nons
nous mîmes en route pour la cime du Piton.
On attaque le volcan du coté du nord-est,
où les pentes sont extrêmement rapides, et
nous parvînmes, après deux heures, à ua
petit plateau qui , à cause de sa situation
isul'e , porte le nom à'jiUa J^ista. C'est
aussi iit station des N'-xieros, c'est-à-dire des
indigènes qui font le métier de chercher
de la glace et de la ueige qu'ils vendent
dans les villes voisines. Leurs mulets, plus
CHAriTBE II.
265
accoiitamés à gravir les montagnes que ceux
que l'on donne aux vojageurs, arrivent à
Va ha Vista, et les Neveros sont obligés
de porter jusque-'làles neiges sur leurs'dos.
Au-dessus de ce point commence le Malpays ^
dénooiination par laquelle on désigne ici,
comme au Mexique, au Pérou et partout
où il y a des volcans, un terrain dépourvu
de terre végétale et couvert de fragmens
de laves.
Nous fîmes un détour vers la droite pour
examiner la Caverne de glace, placée à 1 728
toises de hauteur, par conséquent au-dessous
de la limite où commencent les neiges per-
pétuelles sous cette zone. Il est probable
que le froid qui r^fne dans cette caverne ,
est à^ aux mêmes causes qui perpétuant
les glaces dans les crevasses du Jara et dca
Apennins, et sur lesquelles les opinions dâ
pbjsicieos sont encore assez partagées', i^
■ Saussure, Voyage dans ha
Prévost , du calorique rayonnant ,
U plupart des cofea de glace , par e
de Saint-George, entre Niort et Ro!
minca de glace limpide se forme mèi
paroii da rocher nlicaîre. M. Pictel
266 LIVRE I.
glacière naturelle tlu Pic n'a cependant pas
de ces ouvertures perpendiculaires par les-
quelles l'air chaud peut sortir, tandis que
l'air froid demeure immobile au fond. 11
paroit que la glace s'y conserve à cause de
son aecninulation , et parce que sa Fonte est
ralentie par te froid que produit une éva-
puration rapide. Ce petit glacier souterrain
se trouve dans une région dont la tempé-
ture moyenne n'est vraisemblablement pas
an -dessous de ô", et il n'est pas, comme
les véritables glaciers des Alpes, alimenté
par des eatix de neige venant du sommet
des monlagnes. Pendant l'hiver, la oave se
remplit de glace et de neige; et, comme
les rayons du soleil ne pénètrent pas au-delà
de l'ouverture, les chaleurs d'été ne sont
pas sufiîsiinfes pour vider le réservoir. L'exis-
tence d'une glacière naturelle dépend, par
conséquent, moins de l'élévation absolue de
la crevasse et de la température moyenne
de la couche d'air dans laquelle elle se
cette époque le tliermo mètre ne descend pas , dans
l'air de la cave , au-dessous de 2 à 3 degrés , de sorte
qu'il fant altribiier la congélation à une évaporntion
locale et extrêmement rapide.
CHAPITRE II. -267
trouve ; que de la quantité de neige qui y
entre en hiver et du peu d'action des vents
chauds qui soufflent en été. L'^air renfermé
dans Fintérieur d'une montagne est diffici-
lenfient déplacé, comme le prouve leMonte*^
Testaeeo à Rome, dont la température est
si différente de celle de lair environnant.
Nous verrons par la suite qu'au Ghimborazo ^
d'énormes monceaux de glaces se trouvent
couverts de sables, et, de même qu'au Pic,
bien au-dessous de la limite inférieure des
neiges perpétuelles.
C'est près de la cave de glace ( Cueva del
Hielo ) que, dans l'expédition de Lapérouse^
MM. Lamanon et Mongès ont fait leur expé-^
rience sur la température de l'eau bouillante.
Ces physiciens l'ont trouvée de 88^,7 ^ le baro-
mètre se soutenant à 19 pouces i ligne. Dans
le royaume delà Nouvelle-Grenade , à la cha-*
pelle de la Guadeloupe , près de Santa-Fe de
Bogota, j'ai vu bouillir l'eau à ^'\^ sous une
pression de 19^' i'',9. A Tambores, dans hn,
province de Popayan , M. Caldas a trouvé la
chaleur de l'eau bouillante de 89^,6, le baro-
mètre se soutenant à 18^' ii ^,6. Ces résultats
pourroient faire soupçonner que , dans l'ex-»
s
aCS LITRE I.
périence de M. Lamaoon , l'eau n'avoit pw
toiit-à-fiiil atteint le maximum de sa tempé-
rature '.
11 comraencoit à faire jour lorsque dous
quiltâoies la caverne de glace. Nous obser-
vâniesalors, pendant le crépuscule, unphéno-
mène assez commun sur les hautes montagnes ,
mais que la position du volcan sur lequel nous
nous trouvions rendil singulièrement frappant.
Une couche de nuages blancs et floconneux
nous déroboit la vue de l'Océan el celle des
basses régions de l'île. Cette couche ne pa-
roissoit élevée que de 800 toises; les nuages
éloiciil si uiiirormémenl répandus , et se sou-
tenuient dans un niveau si parfait , qu'ils
oÛToienl l'aspect d'une vaste plaine couverte
déneiges. La iiyraniide colossale du Pic, les
cimes volcaniques de Lancerote, de Forla-
venltue oldul iie dePalmas'élevoienl comme
dus écueils au milieu de cette vaste mer de
vapeurs. Leurs teintes noirâtres contrasloieot
avec la blancheur des nuées.
Tandis que nous gravissions sur les laves
' Le calcul fait d'après les tables de M. Dahao ,
lionne pour la CuKva, 89°, 4, et pour la Guadeloupe,
Sij", 5.
CHAPITRE II. ï6ç)
brisées du Malpays , en dous aidant souvent
des mains j nous aperçûmes un phénomène
d'optique très-curieux. Nons crûmes voir du
côté de l'est de petites fusées lancées dans
l'air. Des points lumineuxélevés de ;: à Sdegrés
au-dessus de l'horizon, paroissoient d'abord
se mouvoir dans le sens vertical; mais peu à
peu leur mouvement se convertissoit en une
véritable oscillation horizontale , qui duroit
pendant huit minutes. Nos compagnons de
voyage , nos guides même , furent surpris de
ce phénomène , sans que nous eussions besoin
de les en avertir. Nous pensâmes au premier
coup d'œil que ces points lumineux , qui vol-
tigeoient çà et là , étoieut l'indice de quelque
nouvelle éruption du Grand Volcan de Lan-
cerote. Nous nous rappelâmes que Bouguer
et Lu Gondamine , en montant sur le volcan
de Pichincha, avoient été témoins de l'érup-
tion du Cotopaxi ; mais l'illusion cessa bientôt,
et nous reconnûmes que les points lumineux
étoient les images de plusieurs étoiles agran-
dies par les vapeurs. Ces images restoient im-
mobiles par intervalles; puis elles sembloient
s'élever perpendiculairement , se porter de
côté en descendant , et revenir au point d'où
S^O LIVRE I.
elles étoient pnrtîes. La durée de ce momt-
ment étoit d'une ou de deux secondai
.Quoique dépourvus de ruojens assez précis
pour mesurer ]a grandeur du déplacement
latéral , nous n'en observâmes pas moins dis-
tinctement la marche du point lumineux. Il
ne paroissoit pas double par un effet de
mirage , et il ne laissoit aucune trace lumi-
neuse derrière lui. En mettant, dans la lunette
d'un petit sextant de Trought-on , les étoiles
en contact avec le sommet élancé d'une mon-
tagne de Lancerote , j'observai qae l'oscilla-
tioa étoit dirigée constamment vers le même
point , c'est-à-dire vers la partie de l'horizon
où le disque du soleil devoit paroître , et que,
faisant abstraction du mouvement de l'étoile
en déclinaison , l'image revenoit toujours à la
même place. Ces apparences de réi'raction
latérale cessèrent long-temps avant que la
clarté du jour rendît les étoiles entiërement
invisibles. J'ai rapporté fidèlement ce que
nous avons vu pendant le crépuscule , sans
enlicprcndre d'expliquer un phénomène si
extraordinaire, que j'ai déjà fait connoître, ily
a douze ans , dans le journal astronomique de
M. de Zach. Le mouvement des vapeurs vési-
CHAPITRE II, 271
culaires , causé par le lever du soleil , le
mélaDge de plusieurs couches d'air dont la
température et la densité sont très-différentes,
çontribuoieQt sans doute à produire un dépla-
cement des astres dans le sens horizontal.
Nous voyons quelque chose d'analogue dans
les fortes ondulations du disque solaire lors-
qu'il rase l'horizon : mais ces ondulations
excèdent rarement vingt secondes , tandis
que le mouvement latéral des étodes , observé
au Pic , à plus de tSoo toises de hauteur, se
distinguoit facilement à la simple vue , et
paroissoit excéder tout ce que l'on a cru
pouvoir regarder jusqu'ici comme un effet
de la réfraction de la lumière des astres.
Sur le dos des Andes , à Antisana , je me
suis trouvé , au lever du soleil et pendant
une nuit entière, à 2100 de hauteur, mais
je n'ai rien aperçu qui ressemblât à ce phé-
nomène.
Je désirois pouvoir observer exactement
l'instant du lever du soleil à une élévation
aussi considérable que celle que nous avions
atteinte au PicdeTénériffe. Aucun voyageur,
muni d'insErumens , n'avoit encore fait une
telle observation. J'avois une lunette et un
173 LIVRE I.
chronomètre dont je connoissois la marche
avec beaucoup de précision. Dans ta partie
où le disque du soleii devoit paroître, l'hori-
zon étoil dégagé de vapeurs. Nous aperçûmes
le premier bord à 4' 48' â:V' en temps vrai,
et, ce qui est assez remarquable, le premier
point lumineux du disque se trouvoit immé-
diatement en contact avec la limite de l'hori-
zon ; par conséquent nous vîmes le véritable
horizou , r'esl-à-dire une partie de la mer,
éloignée de plus de 4^ lieues. Il est prouvé
par le calcul que , sous le même parallèle,
dans la plaine , le lever auroit dû commencer
à S"! 1' 5o",4 ou ii'5i",3 plus tard qu'à la
hauteur du Pic. La différence observée étoit
de i 2 ' 55", ce qui provient sans doute de Tin-
cerlilude des réfractions pour une distance au
zénith où l'on manque d'observations '.
' On a supposé dans le calcul, pour fjx" 54' dedû-
tance apparente au zénitli, 67' 7" de réfractiou. he
soIpîI levant paroît plutôt au Pic de Ténériffe qiw
dans la plaine du temps qu'il lui faut pour parcourir
uu arc de 1° 54'. La grandeur de cet arc n'augmeute
que de 4i' pour le sommet de Chiinboraïo. JjCs an-
ciens avoieul des idûes si exagérées sur l'accélératiott
du lever du soleil à la cime des Itautea moutagues,
cnApiTr.Ë II. 373
Nous fûmes surpris de l'extrême lenteur
avec laquelle le bord inférieur du soleil
paroissoit se détacher de l'horizon. Ce bord
ne devint visible qu'à 4'' S6' 5 .". Le disque
du soleil , très-aplati , éto t bien terminé ; il
b'j eut, pendant le lever, ni double image, ni
alongement du bord inférieur. La durée ' du
lever du soleil étant triple de celle à laquelle
nous devions nous attendre à cette latitude,
il faut croire qu'un banc de brume très-
uniformément répandue cachoit le véritable
horizon , et suivoit le soleil à mesure que cet
astre s'élevoit. Malgré le balancement des
étoiles % que nous avions observé vers l'est,
qu'ils admetto'ient que cet astre itoît yisible au Mont-
Atlios trois heures plus tôt que sur les côtes de la
mer Egée. {Straho, edit. Almdoven , Llb. Vil, p. 5io).
Cependant l'Atlios, d'après M. Dclaïubre, n'a que
713 toises d'élévation. Choiseul Gouffier , Vay. pitt.
de la Grèce , ïtim. II , p. i4o.
• La durée apparente fut de 8' i", au lieu de a' 4i".
Quoique mes journaus renferment près de quatre-
vingts observations du lever cl du coucher du soleil,
faites , floit pendant la narigation , soit sur les côtes ,
je n*ai jamais vu un relard très-sensible,
* Un astronome célèbre (Mon. Corree. , 1800,
p. 396) a comparé ce pliénomëae d'un balancement
374 tivnE 1.
on ne saiiroit attribuer la lenteur du lever
à une rcl'rarlion exlraordinaire des rayons
que nous renvoyoit I horizon de la mer; car
c'est jii^lement au lever du soleil , comme Le
Gentil l'a observé journellement à Pondi-
cht'i'V ■ el roinme )e l'ai remarqué plusieurs
fois à Ciniiana . que l'horizon s'abaisse à cause
de l'élévalion de teiiipéraliire qu'éprouve la
couche d'air ' rjiii repose iuimédialeinent sur
la surface de l'Océan.
La roule que nous fûmes obligés de nous
frayer à travers le Malpays, est extrêmement
fatigante. La montée est rapide , et les blocs
de laves fiiyoient sous nos pieds. Je ne puis
comparer cette pyrlie du chemin qu'à la
moraine des Alpes ou à cet amas de pierres
roulées que l'on trouve à l'extréniilé infé-
apparent des étoiles a celui décrit dnus les Géor-
giques ( I.ib. I , v. 3 5 }. Mais ee passage n'a rapport
qu'aux, ituiies litanies (jue les anciens, de même que
ztos marias , regafOoieiit coii]nie un pronostic du vent.
Le poi^le latin paraît avuir imilé les vers d'Aratus.
Diusem., y. yafi , eilit. Buhla I, p. 2ol> {Lucret. II,
V. i'(3}.
' Biat , Jierh. sur les réfractions extraordinaires,
p. 318, 333 et 238.
CIIiPlTllE II. 2^5
rieure des glaciers : au Pic , les débris de
laves ont les arrêtes tranchantes, et laissent
souvent des creux dans lesquels on risque de
tomber à nii-corps. Mal lieu reusemeut la
paresse et la mauvaise volonté de nos guides
contribuoienl beaucoup à nous rendre cette
montée pénible ; ils ne ressenibloient ni à
ceux de la valkîe de Cliamouni , ni à ces
Guancbes agiles dont on rapporte qu'ils pre-
noietit un lapin ou une chèvre sauvage à la
course. Nos guides canariens étoient d'un
flegme désespérant ; ils avoient voulu nous
persuader la veille de ne pas aller au delà de
la station des Rochers ; ils s'asseyoient de dix
en dis minutes pour se reposer : ils jetoient
à la dérobée les échantillons d'obsidienne et
de pierre ponce que nous avions recueillis
avec soin, et nous découvrîmes qu'aucun
n'étoit encore allé à la cime du volcan.
Après trois heures de marche, nous arri-
vilmes, à l'extrémité du Malpays, à une petite
plaine appelée la Rambleta : c'est dans son
centre que s'élève le Pilou ou Pain de Sucre.
Du côté de l'Orotava , la montagne ressemble
à ces pyramides à gradins que l'on retrouve
dans le Fcjoum et au Mexique : car les plateaux
j8'
2-j(i LITHE I.
du Rétama et de la Raraldeta forment deuï
étages , dont le premier est quatre (ois plus
élevé que le second. Si l'un suppose la hau-
teur totale du Pic de igo^ toises, la Rambleta
est élevée de 1820 toises au-dessus du niveau
de la mer. C'est là que se trouvent les soupi-
raux que les indigènes désignent sous le nom
des Narines du Pic '. Des vapeurs aqueuses
et chaudes sortent par intervalles de phisieurs
fentes qui traversent le sol ; nous y vîmes
monter le ihermométre à 45",2 : M. Labîllar-
dière avoit trouvé la température de ces
vapeurs, huit ans avant nous, de 55°,j ; diffé-
rence qui ne prouve peut-cire pas autant une
diminution d'activité dans le volcan , qu'un
changement local dans réchaulfenient de ses
parois. Les vapeurs n'ont aucune odeur et
paroisscntde l'eau pure. Peu de temps avant
la grande éruption du Vésuve, en i8o5, nous
avons observé aussi, M. Ga^-Lussac et moi,
que l'eau dégagée sous forme de vapeurs,
dans l'inlérieurdu cratère, ne rougissoit point
le papier leinl en tournesol. Je ne snurois
admellre cependant 1 hjputhcse hardie de
* Narices del P:co.
</ w
|n]iSKiisgAroK<<ffi^
les mv^QittiiTfs dHin wbiw i m» nmiiiml
ToAxâse., fdtnti le £hiii1 est pluné jb-^iIc»
les «vdlcais av*»r pl«» dr sim , ci «pe
1 atuDur du rmenrieSncE fe &■! moie
Cfuer cboH» Us €Hnnr3Ccs de i:<cioli]U!:tte « km
cummeooé i jj^^ieT' d» Auxêê» tnès fûwdlèr
ces comaniincciDrooLis «SômExtas et oanstuiites
eutre les «euis «de Li ■acr et les £:4veTf> ém ttm
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Tolcaniqiie ^ Ob pénal tsiowier vae expii-
caÛQD lrè«^tD}(illc cTon phenonêoe qui n'a
xien de Inbn «arpresKoiiS. Le Pic est ooiinrcit
' Cetie quesiivii ii âé grii^'niée: itiFse bmaosnp «le
(agacité par IflL Dirfiîiibi , «Autt^ i«Mi tn^uJjcz.ijme m^
QtsoUtg'utj TuHDL. 11 . j»- 3ia-i, S^'' «fi 14*- Le O.C9^>l2Î
k PopocatapenS^ gaç '"^m ^tb "<*» «A*: k fomét et ôe»
cendres eu < 8o4 ^ iiub. pAai» dâûpi^» .Ab Grubd^Aota»
et de la mes* à» A&iS]^ €^ G tesAUc sue F«it <ik U
Méditerranée, t4 Osit»ia ^ rAdbeu^u^K:. Il m; Cwid
pas ooaaidérer cmnoie jpurifair^jil acicik)itwiutl k ÊMt
^|tte Fou u'ait pM::^ «xieiw^ (iL^^«^-.^rvt an» t^^^cim MtMp
ékAçné de plu^ <•»: <o> ;Ht>tu» aurviu^yi #i<e?i #^4A* 4f
FOcéan; ms<H» >»• yftg,Wî4iî: (^ymMui^ firkir^^mUc^<^ VUf^
fodiese que W «ir^-s i^ 11» Mt»? <i.vtvS Hfin^f^t^i^ ^ iKfi
eyS LivnE 1.
de neiges une partie de l'année ; nous-mêmes
nous en irouvAmes encore dans la pclite plaine
de la RambleU : de plus, MM. Odonell et
Annstrong ont découvert , en 1806 , une
source très-:ibondante dans le Malpajs , à
cent toises au-dessus tlela caverne des glaces,
qui elle-même peut être alimentée en partie
par cette source. Tout , par conséquent, fait
présumer que le Pic de Ténériffe , comme les
volcans des Andes et ceux de l'île de Lucon ,
renferme dans son intérieur de grandes cavités
qui sont rempiles d'eaux atmosphériques ,
ducs à la simple iniiltralion. Les vapeurs
aqueuses qu'exhalent les JSarincs et les cre-
vasses du cratère , ne sont que ces mêmes
eaux rliaufTécs par les parois sur lesquelles
elles coulent.
Il nous restoit à gravir la partie la plus
escarpée de la montagne, le Piton, qui en
forme la sommité, La penLe de ce petit cône,
couvert de cendres volcaniques et de fragmens
de pierre ponce, est tellement incline qu'il
seroit presque impossible d'atteindre la cime,
si l'on ne suivoît un ancien courant de laves
qui paroît être sorti du cratère, et dont les
débris ont résisté aux injures du temps. Ces
CHAPITRB n. Sjg
àArk forment qo mur de roches scorîfiées
qui se prolonge au milieu des cendres mobiles.
Noos moalàmes le Piton en nous accrochant
i ces scories dont les arrêtes sont tranchantes,
et qui y à demi-décom posées, nous restoient
sourent à la main. Nous employâmes près
d'aœ demi-heure a gravir une colline dont
Il hauteur perpendiculaire est à peine de
qaatre-Yingt-dix toises. Le VésuTC % qui est
* D'après les mesures barométrîqaes que nous
tTonsfatîes, M. Léopold de Boch, M. Gaj-Lussac et
WH, en i8o5 y le Vésuve a diminué de hauteur du
côte du sud-ouest y depuis l'aDuée 1794, où une partie
du cône s'écroula deui. jours après que les cendres
aToient été lancées. Saussure aToit trouvé le Vésuve ,
en 1775 y de 609 toises, à une époque on les bords du
cratère conservoient partout à peu près la même élé-
vation. Shuckburgb mesura, en 177^), une colline
placée au milieu du gouOre; elle avoit 61 5 toises de
bauteur : elle existoit à peine lors du vojage de Saus-
sorc, et elle disparut dans l'éruption de 1779. C'est
Téraption de 1794 qui a causé la grande inégalité des
deux bords du cratère : cette inégalité éloit , en 1 8o5,
de 71 toises. M. Poli trouva le Vésuve , peu de temps
avant ^ de 606 toises d'élévation. Sliuckburgb donne
À la pointe la plus élevée de la Somma, celle del
rUello, 584 toises. Cette observation ne s'accorde
aSo LIVRE I.
trois fois plus bas que le volcan de Tcnériffe,
est terminé par un cône de cendres presque
trois fois plus élevé , mais dont la penle est
plus douce et plus accessible- De tous les vol-
cans que j'ai visités, il n'y a que celui de
Joi'ullo , au Mexique , qui offre de plus grands
obstacles que le Pic, parce que la montagne
enlière est couverte de cendres mobiles.
Quand le Pain de sucre {td Pilon) est cou-
vert de neige, comme à l'entrée de l'hiver,
la rapidité de sa pente peut mettre le voya-
geur dans le plus grand danger. M. Le Gros
nous montra l'endroit oii le capitaine Baudin
avoitmanqué dépérir lors de son voyage àrîJe
de la Trinité. Cet officier avoit eu le courage
d'entreprendre , conjoinleinentavec les natu-
ralistes Adicfiier, Maugeret Riedlé, une ex-
cursion à lu cime du volcan , vers la fin de
pas Irop Lien avec la hauteur que M. G.fj-Lussac as-
BÎtjne an bord le plus (jIpïô du cratùre : cor, en i8o5,
cette partie du bord senibloit avoir la même élévalio»
que la l'uitta dcl Fittllo. J'ignore où SliucVburgh a
placé son iastruoieut uu pied du cône de cendres; car
il ne donne à ce point que 3i6 tjises d'élévation ab-
solue. Voici le délai] des mesures faites par un tcmipa
irés-calmcjavec un baroiactrc pottatif de Ramadea:
CHAPITHE n. 28 i
déoembre de Fanoée 1 797. Parrenu à la moitié
delà hauteur du cône , il fit une chute ^ et il
roula jusqu'à la pelile plaine de la Rambleta ;
heureusement un monceau de laves, couvert
I ' S r V ïï ■S % -S
H
si I S : "^ : : :
■5 = : : Ë ^
M. tic la Jiimûllc
CHAPITRE II. 383
de neiges, Tempêcha de descendre plos bas
arec une yitesse accélérée. On m'a assuré
avoir tronvé, en Suisse , nn voyageur qui a
élé suffoqué en roulant sur la pente du col
de Balme , tapissée du gazon serré des Alpes,
ibrrivés au sommet du Piton , nous fumes
surpris d'jr trouver à peine assez de place
poQS nous asseoir à notre aise. Nous fûmes
arrêtés par un petit mur circulaire de laves
porphjriques à base de de pechst^n : ce mur
noas déroboit la vue du cratère '. Le vent
d'cNiest souiSoit avec tant de violence , que
dans le Moniteiir , aToîr troaré, par dix me*
sares gL?Qiiiétriqaes^ la bau teur do VésoTe de 597 toises.
n acroît à désirer qae Ton connàt le détail de ses
opérations. Nos mesures donnent : pour le bord le
j^as éferé da cratère , 606 toises ( 1 181 mètres); poor
le ikord inférieiir , 655 toises ( io4a mètres] ; poar le
fueé é^ cône de cendres^ 570 toses (7121 mètres);
ponv Fberaitage de S«i SalTador> 3os toises (588 mè-
tres). Tel étoit Fétat da Tésa^e pea de tem^ avant
Férujptiaa de l'année iSo5, dans laquelle la laTe a
£iit ane brèche au bord da cratère du coté de Torre
è^L Greeo.
^ Zm CàUàra on chaudière du Pic; dénominati^m
^ vappeQe les Ouias des Pyrénées, Bamond , Voyfigi
mit MonL-Psrduj p. i35.
a84 LIVRE 1.
nfiiis avions de la |)eine ànous tenir sur nos
juniiics. Il éu>it liiiil heures dn niidin . et nous
élLuDS triinsis de Irukl, quoique le iherino-
mctre se soulînl un peu an-dessus du poist
dti la con;,ff^liilioii. Depuis lung-teinps nous
étions accoiiliiniés à une lenipéi'atiire très-
e'Ievée , et le ven[ stT augnientoil la sensa-
tion du i'iuid , parce tju'il eniportnil à chaque
instant la petite couche d'air cband et Liiinide
qui se lormoit autour de nous par l'elTet de
la transpiration cutanée.
Le cratère du Pîc ne ressemble point , par
son bord, à ceux de la plu paît des antres vol-
cans que j'ai visités^ par exemple, aux cratères
du Vésuve , de Jarullo et de Pichincha. Dms
ceux-ci, le Piton conserve sa (î'^urr coniqne
jusqu'au sommet; toule leur pente est inclinée
de la niénie quantité de deifrés, et couverte
uniforméineiit d'une conrlie de pierre pniire
extrênientent divisée : lorsqu'on paivient à la
cirne de ces trois volcans , rien n'empêche de
voir le fond du gouffre. Le Pic de TcnérifTe et
le Colopaxi . au contraire , oui nue structure
trèf-Jifiérente; ils présentent à leiirsoiiiniet une
Crète ou nu mur ciicid.iire qui en^iro^ne le
cratère : de loin, ce mur puroî t un petit cylindre
CHAPITRE n* 285
tabce smr un cône tronqué. Au Cotopaxi %
reâte constmction particulière se distingue à
k Ample Tue y à une distance de plus de 2000
toîffes; aussi personne n'est jamais parrenn
pncp'au cratère de ce y^lcan. Au Pic de Té-
nériffe, la crête qui environne le cratère
comme on parapet « e5t >i élevée qu'elle empé*
ciieroit entièrement de parvenir à la Caldera
si, du côté de l'est , il ne se trou voit une
lirèirfae qui paroît l'effet d'un épancbement
de taTCS très-anciennes. C'est par cette brèche
qoe nous descendîmes vers le fond de l'cnton-
Doir dcKit la figure est elliptique ; le grand
axe en est dirigé du nord-ouest au sud-est,
à peu près N. 35^ O. La plus grande largeur
de l'ouverture nous parut de 3oo pieds ^ la
plus petite de 200 pieds. Ces nombres s'ac-
cocdeni assez avec les mesures de MM. Ver-
^uin y Varela et Borda ' ; car ces voyageurs
asNgDent 4o et 3o toises aux deux axes '.
^ AtUu jâUoresque ^ PL x.
* Voyage de la Flore , Tom. I, p. 94. Manuscrit
dtk Dép&i de la Marine ^ cahier /^ p. i5. Voyage de
McBTchand, Tom. Il , p. 11.
'^ Bf . Cordier , qni a visité la cime du Pic quatre ans
«ffift makj évalue le grand axe à 66 toises. (Joum.
SSG LIVRE I.
1! est aisé de concevoir que la grandeor
d'un cratère ne dépend pas uniquement de
la hanteur et de la niasse de la montagne
dont il forme le soupirail principal. Cette
ouverture est même rarement en rapport
direct avec l'iotensifé du feu volcanique, ou
avec l'activité du volcan. Au Vésuve , qui
n'est qu'une colline en comparaison du Pic
de Tcnérîfle, ie diamèlre du cratère est cinq
fois plus giand. Quand on réfléchit que les
Volcans três-élevés vomissent moins de ma-
tières par leur sommet que par des crevasses
latérales, on pourroit être tenté de croire que
plus les volcans soûl bus, et plus aussi , leur
force et leur activité étuntégales, leurs cratères
devroient être considérables. Il existe en eifet
d'immenses volcans aux Andes qui n'ont que
de très-petites ouvertures , et l'on pourroit
établir comme une loi géologique que les
montagnes les plus colossales n'offrenl à leurs
sommets que des cratères de peu d'étendue,
si les Cordillères ne présentoient pas plusieurs
dePhys. , Tom. LVn,p, 6a). Lamanon le croit de
5o toises, mais M. Odonell assigneaucralèreSâoi'orfls
(236to!ses] de circonférence.
CHAPITRE II. 287
scemples ' du contraire. J'aurai occasion ,
lans la suite de cet ouvrage , de citer un grand
nombre de faits propres à jeter quelque jour
lur ce que l'on peut appeler la structure
extérieure des volcans. Celte structure est
ans» variée que les phénomènes volcaniques
eux-mêmes ; et , pour s'élever à des concep-
tîons géologiques dignes de la grandeur de
la nature , il faut abandonner l'idée que tous
ks volcans sont formés d après le modèle du
Vésuve y de Stromboli et de l'Etna.
Le& bords extérieurs de la Caldera sont
presque taillés à pic : leur aspect est analogue
à celui cpi'offre la Somma y vue depuis FAtrio
A4 GivallL Nous descendîmes au fond du
cratère sur une traînée de laves brisées qui
aboutit à la brèche orientale de l'enceinte.
La chaleur n'étoit sensible que sur quelques
fisKires desquelles se dégageoieot des vapeurs
aqueuses avec un bourdonnement particulier.
Quelques-uns de ces soupiraux ou crevasses
se trouvent an-dehors de Teuceinte , sur le
^ L» grandift volcans de Cotopaxi et de Bncupî-
gfcni c fia oat des cratères iloat les diamètres, d^aprè.9
■es mesures, s'élèvest à plus de quatre cents et A^
K]^ cent» toises.
288 LIVHE I.
bord extérieur du parnpet qiù environne le
criitère. En y plongeant le tbermomètre, nous
le vîmes mouler rapidement à 68 et j5 degrés.
Il indiquoit sans donle une plus haute tem-
pérature ; mais nous ne pouvions observer
l'instrument qu'après l'avoir retiré , de peur
de nous brûler les mains. M. Cordier a
trouvé plusieurs crevasses dont la chaleur
égaloit celle de l'eau bouillante. On pourroît
croire que ces vapeurs, qui se dégagent par
bouffées, contiennent del'acide murialique ou
suli'ureux; mais, condensées contre un corps
froid , elles ne présentent aucun goût particu-
lier; elles essais que plusieurs physiciens ■ ont
faits avec des réactifs , prouvent que les funia-
roles du Pic n'exhiilent que de l'eau pure : ce
phcnonicue , analogue à ce que j'ai observé
danslecratèredu Joruilo, mérite d'autant plus
d'attention, que l'acide muriatique abonde
dans la plupart des volcans , et que M. Vau-
quelin en a même découvert dans les laves
porpliyriqucs du Sarcouj en Auvergne.
J'ai esquissé sur les lieux ' la vue du bord
' Woyage de. Lapérome , Tom, III, p. a.
■ Atlas pittor., PI. wv.
CHAPITRE II. 2S9
iQtérieur du cratère, tel qu'il se présente en
descendant par la brèche orientale. Rien de
plus frappant que la superposition de ces
couches de laves y qui offrent les sinuosités
de la roche calcaire des hautes Alpes. Tantôt
horizontaux , tantôt inclinés et ondulés , ces
bancs énormes rappellent l'ancienne fluidité
de la masse entière et la réunion de plusieurs
causes perturbatrices qui ont déterminé la
direction de chaque coulée. La crête du mur
circulaire présente ces ramifications bizarres
que Ton observe dans le charbon de terre
désoufré. Le bord septentrional est le plus
élevé ; vers le sud-ouest, Fenceinte est consi-
dérablement affaissée , et une énorme masse
de laves scorifiées y paroit collée à l'extrémité
du bord. A l'ouest , le rocher est percé à
)Our ; une large fente laisse voir l'horizon
de la mer. C'est peut-être la force des vapeurs
élastiques qui a formé cette ouverture au
moment d'un débordement de laves sorties
du cratère.
L'intérieur de cet entonnoir atmonce ua
volcan qui , depuis des milliers d'années, n'a
vomi du feq que par les flancs. Cette asser-
tion ne se fonde pas sur le manque de
ago LIVRE I.
^andes ouvertures que l'on pourroit s'at-
tendre à trouver dans le fond de la Caldera.
Les physiciens qui ont étudié la nature par
eux-mêmes, savent quebeaucoup de volcans,
dans les inlerviilles qui séparent une éruption
de l'jiutre, paraissent comblés et presque
éteints; mais que> dans ces mêmes mon-
tagnes, le gouffre volcanique présente de»
couches tic scories ex trêmementàpreSjSOnores
et luisantes. On y dislingue de petites collines,
des boursouflures causées par l'action des
vapeurs élastiques , des cônes de scories
menues et de cendres , sous lesquels des sou-
piraux sont cachés. Aucun de ces phénomènes
ne caractérise le cratère du Pic de Ténériffe;
son fond n'est pas resté dans l'état qui résulte
delà fin d'une éruption. Par le laps des temps
et par l'aclion des vapeurs , les parois se sont
détachées et ont couvert le bassin de grands
blocs de laves lithoïdes.
On parvient sans danger au fond de la
Caliî-"i-a, D,iiis un volcan dont l'activité se
dirige principalement vers le sommet comme
dans le Vésuve , la profondeur du cratère varie
avant et après chaque éruption ; mais au Pic
de ïenéri'iie , cette profondeur paroit être
CHAPITRE II. 201
restée la même depuis long-temps. Edens^
en ,1716, l'évalua de ii5 pieds; M. Gordier,
en.]8o5, de 110 pieds. A en juger d'après la
«iinple vue, j'aurois cru Tentonnoir moins
profond encore. Son état actuel est celui
d'une solfatare ; il offre plutôt un objet de
recherches curieuses qu'un aspect imposant.
La majesté du site consiste dans son éleva-
tion au-dessus du niveau de l'Océan, dans
la solitude profonde de ces hautes régions ,
dans l'étendue immense que l'œil embrasse
du sommet de la montagne.
Le mur de laves compactes qui forme
l'enceinte de la Caldera est d'un blanc d^
neige à sa surface. Cette même couleur règne
dans l'intérieur de la solfatare de Puzzole.
Lorsqu'on brise ce3 laves que l'on prendroit
de loin pour de la pierre calcaire, 00 7
reconnoît un noyau brun-noirâtre. Le pQ^
phyre à base de pechstein est blandbi ddéh .
rieurement par l'action lente des vapeurs
gaz acide sulfureux. Ces vapeurs se dégaf
abondamment , et , ce qm est assez rc
quable , par des crevasses qui semblent vl{
aucune communication avec les nuo^
que traversent les vapeurs aqueuse
2q2 litre I.
peut se convaincre de la présence de J'acide
sulfureux, en examinant Jes beaux cristaux
,de soufre que l'on trouve déposés partoat
entre les fentes des laves. Cet acide, com-
biné avec l'eau dont le sol est imprégné,
se transforme en acide suU'uriqne par ie
contact de l'oxi^'èue de l'atmosphère. En
g-énéral, dans le cratère du Pic, l'humidité
est plus à craindre que la clialeur, et l'on
trouve ses vêtemens rongés , si l'on reste
long-temps assis sur le sol. L'action de l'acide
sullurique se porte sur les laves porphy-
riqnes; l'alumijie, la magnésie, la soude et
les oxides niélalliques sont emportés peu à
peu, et il ne reste souvent que la silice qui
se réunit en plaques mamelonnées opali-
formes. Ces concrétions siliceuses ' , que
M. Cordier a fait connoître le premier, sont
analogues à celles que l'on trouve à l'ile
dischia', dans les volcans éteints de Santa-
' Opalartiger Kiesekinter. Le gurk siliceux AeS
volcans d'île de France contient, d'après M. Rlaprolli,
0,72 de silice et 0,21 d'eau, et se rapproche par là
de l'opale que M. Karsiein considère connue une
iilîce lydratée. jlf/ner. Tubi^Uen , 1800, p. 70.
" Bnislact, Introd. alla Geologia, Tom. II, p. 338.
CUAPTTRE n. 393
Flora et dans la soUiitare de Puzzole. Il
n'est pas facile de se faire une idée de l'ori-
gine de ces incrustations. Les vapeurs aqueuses,
dégagées par les grandes fumaroles, ne con-
tiennent pas d'alcati en dissolution, comme
les eaux du Geyser en Islande ' ; peut-être
la soude renfermée dans les laves du Pic
joue-t-elle un rôle iinporlant dans la for-
mation de ces dépôts de silice. Peut-être
existe-t-il dans le cratère de petites cre-
vasses dont les vapeurs ne sont pas de la
même nature que celles sur lesquelles des
voyageurs , occupés à la fois d'un grand
nombre d'objets, ont fait des expériences.
Assis sur le bord septentrional du cratère,
je creusai un trou de quelques pouces de
profondeur; le iherraomètre, placé dans ce
trou , inonia rapidement à 42"- On peut
conclure de là quelle doit être la chaleur
qui règne dans cette solfatare à une profon-
deur de trente ou quarante toises. Le soufre
réduit en vapeurs se dépose en beaux cris-
taux qui n'égalentcependant pas en grandeur
ceux que le chevalier Dulomieu a rapportés
' Black , daus les />////. Trans., 1794, p. :i4.
i
394 LIVRE I.
de Sicile ' ; ce sont des octaèdres deini-di»-
. phanes , très-éclatans à leur surface , et à
cassure conchoïde. Ces masses qui fet*ont
. peut-être un jour un objet d'exploitalion ,
sont constamment mouillées d'acide sulfu-
reux. J'eus Timprudence de les envelopper
pou r les conserver ; mais je m'aperçus bientôt
que l'acide avoit rongé , non seulement le.
papier qui les renfermoit^ mais malheureu-
sement aussi une partie de mon journal
.minéralogique. La chaleur des vapeurs qui
sortent des crevasses de la Caldera n'est pas
^assez grande pour combiner le soufre, extrè-,
jtnement divisé , avec l'oxigène de Fair am-
biant; et, d'après l'expérience que je viens
de citer sur la température du sol, on peut
•supposer que l'acide sulfureux se formera
une certaine profondeur % dans des creux
où l'air extérieur a un libre accès.
' Ces cristaux ont quatre à cinq pouces de longueur.
Drée, Cat, d'un Musée minéralogique y-^, 21 •
* Un observateur, d^ailleurs très-exact, M. Breis-
lack^ affirme {Geohgia^ Tom. II, p. aSa) que l'acide
murîatique prédomine toujours dans les vapeurs du
Vésuve. Cette assertion est contraire à ce que nous
avons observé, M. Gay-Lussac et moi, avant la grands
CHAl'lTRE n, 3t)J
Les vapeurs d'esa chaude qui se portent
«ip les frao^mens <Je laves éparses dans la
Caldera, en réduisent quelques parties à un
état pâteux- En examinant , après mon arrivée
eo Amérique , ces masses terreuses et friables j
J'y ai trouvé des cristaux de sulfate d'alumine.
MM. Davy et Gay-Lussac ' ont déjà énoncé
l'idée ingénieuse que deux corps érainem-
jnent infiummaljles, les métaux de la soude
, et de la potasse, jouent probablement un
. rôle important dans l'action volcanique ;
or la potasse, nécessaire à la formation du
- Kulfale d'alumine, se trouve, non seulement
- dans le feldspath , le mica , la pierre ponce
. .et l'augite, mais aussi dans les obsidiennes'.
érnptîoa de i8b5, et pendant que la lave sortoit du
cratère. L'odeur de l'acide sulfurcus , si fucile à re-
conaoitre, se faisoit sentir de lrÈ!s-la!a; et quand le
volcan lauçoit des scories, il se mêloit à cette odeur
celle du pétrole.
' Davy, on tlie décomposition of fixed aihalics
{PMI. Tr. 1808, PI. I,p. M).
" Collet Descotils, dans les Annalea du Chimie,
Tom. LUI, p. 260. Sur les traces de potasse dans
l'augîte, Toye* Klaprolh , Beitrûge , B. 5, S. iSg ,
162 et i6'6.
296 LIVRE T.
Cette dernière substauce est très-commnne
à Téoériffe, où elle fait la base de la plu-
part des laves téphriniques '. ToQS ces rap-
ports par lesquels le cratère du Pic res-
semble à la solfatare de Pozzole, paroîlroient
sans doule eocore plus nomfareox , si le
premier étoît plus accessible et s'U av oit été
frèqueiument visité par des Daturalistes.
Le voyage au sommet du volcaa de Téné-
riiJe n est pas seulement intéressant à cause
du grand nombre de pheDomènes qui se
présentent à nos recherches scientifiques;
il l'est beaucoup plus encore par les beautés
pittoresques qu'il offre à ceax qui 5ente[>t
vivement la majesté de la nature. C'est une
lâche difficile à remplir que de peindre ces
sensations : elles agissent d'autant plus sur
nous, qu'elles ont quelque chose de vague,
produit par l'immensité de l'espace comme
par la grandeur, la nouveauté et la multi-
plicité des objets au milieu desqueb dous
nous trouvons transportés. Lorsqu'un Toja-
geur doit décrire les plus hautes cimes du
' Lamétktrie , Minéralogie, Tom. Il,
Journal de Phyaique, iâo6, p. 192.
J
CHAPITRE II. 297
globe, les cataractes des grandes rivières,
les vallées tortoeuses des Andes , il est exposé
à fatigder ses lectënra par l'expression mono-
tone- de son admiration. Il me paroit plus
conforme ail pian que je me sais tracé dans
cette Relation, d'indiquer le caractère par-
ticulier qui distingue chaque zone. On fait
d'autant mieux counoître la physionomie du
pajsage, qu'on cherche à en désigner les
traits individuels, à les comparer entre eux,
et à découvrir, par ce genre d'analyse, les
sources des jouissances que nous offre le
grand tabléan de la nature.
L'expérience a appris aux voyageurs que
lés «mrtnets dés montagnes trè*-élevées pré-
seafent rarement une vue aussi belle et des
effbts pittoresques aussi variés que les cimes
doflt la hauteur n'excède pas celles du Vésuve ,
do Rigi'ct dii Fuy^lç-Dâme. Des montagnes
Il colossales,
comme
' le ChimborasD
, i'Antisaoa
Hou le Mont-Rose,
ont une masse si considé-
Blrable que
'" r''"r r- iimfii
^me riche
P^TégélatioD
, 'ii^É|
^^^^^^^H
■Itàa un
F grandélob
■
Kâtre
u
S()S LIVRE I.
élancée et sa position locale , réunit les atan-
lages qu'offrent les sommets moins élerés
à ceux qui naissent d'une très-grande hau-
teur. Non seulement on découvre de sa cime
un immense horizon de mer qui s'élève an-
dessus des plus hautes montagnes des îles
adjacentes, mais on voit aussi les forêts de
Téncriffe et la partie haijitée des côtes, dans
une proximité propre à produire les plus
beaux contrastes de forme et de couleur.
On diroit que le volcan écrase de sa masse
.la petite île qui lui sert de base : il s'élance
du sein des eaux à une hauteur trois fois
plus grande que celle à laquelle se trouvent
suspendus les nuages en été. Si son cratère,
à denii-cteint depuis des siècles , lancoit'des
gerbes de feu comme celui de StromboU
dans les îles Éoliennes, le Pic de Ténériffe,
semblable à un phare , dirigeroil le navi-
gateur dans un circuit de plus de 260 lieues.
Quand nous fûmes assis sur le bord exté-
rieur du cratère, nous dirigeâmes notre vue
vers le nord-ouest, oii les côtes sont ornées
de villages et de hameaux. A nos pïeds,
des amas de vapeurs, constamment, agités
par les vents, offroient le spectacle le plus
CHAPITRE n. 39<)
■ Tarie. Une couche unilbrine de nuages, la
même dont nous avons parlé plus haut, et
qui nous séparoit des basses régions de l'île ,
avoit été percée dans plusieurs endroits par
l'effet des petits courans d'air que la terre
échauffée par le soleil commençoit à renvoyer
Ters nous. Le port de l'Orotava, ses vais-
seaux à l'ancre, les jardins et les vignes,
dont la ville est environnée, se présentoient
à travers une ouverture qui sembloit s'agran-
dir à chaque instant. Du haut de ces régions
solitaires, nos regards plongeoient sur un
inonde habile; nous jouîmes du contraste
frappant qu'offrent les flancs décharnés du
Pic, ses pentes rapides couvertes de scories,
ses plateaux dépourvus de végétation , avec
l'aspect riant des terrains cultivés : nous vîmes
les plantes divisées par zone, selon que la
température de l'atmosphère diminue avec
la hauteur du site. Au - dessous du Piton ,
des lichens commencent à couvrir les laves
scorifîées et à surface lustrée j une violette*fftj
voisine du Viola decumbens, s'é
' Viola cheiranthifblïa. P'oyex
DOxialeB, Toi. I, p. M\^fl xiobi.,
5oo i.ivnE I. n
pente du Toican jusqu'à 1740 toises tle hau-
teur 1 elle devance , non seulement les autres
plîintes herbacées, mais aussi les graminées
<]ui, dans les Alpes et sur le dos des Cor-
dillères, touchent immédiatement aux végé-
taux de la Janiille des Cryptog'ames. Des
touflcs de Rétama, chargées de fleurs , ornent
les petites vallées que les torrens ont creusées,
et (jiii sont encombrées par l'effet des érup-
tions lalêralcs; au-dessous du Rétama vient
la région des fougères bordée de celle des
brujères arborescentes. Des forêts de lau-
riers, de Rhamnus et d'arbousiers séparent
les Erica des coteaux plantés en vignes et
en arbres fruitiers- Un riche tapis de verdure
s'étend depuis la plaine des Genêts et la zone
des plantes alpiues jusqu'aux groupes de
Daliers et de Musa, dont l'Océan semble
baigner le pied. Je ne fais qu'indiquer ici
les traits principaux de cette carte botanique :
jt' donneiai dans la suite quelques détails
sur la géographie des plantes de lîle de
Ténériffe.
L'apparence de proximité dans laquelle on
Toil , du snnitnet du Pic , les hameaux , les
vignobles el les jardius delà cote, est augraei
CHAPITRE II. Sot
tée par la prodigieuse triinsparence de l'at-
Bjosphère. Miilgré le grand éloigneinent , nous
ne dislinguions pos seulement les maisons, la
■voilure des vaisseaux et le tronc des arbres ,
nous voyions briller aussi des plus' vives
couleurs la riche végétation des plaines. Ces
phénomènes ne sont pas dus uniquement à
la hauteur du site ; ils annoncent des modi-
fications particulières de l'air dans les climats
chauds. Sous toutes les zones, un objet placé
au niveau de la mer et renvoyant les rayons
dans une direction horizontale, parott moins
lumineux que lorsqu'on l'aperçoit du sommet
d'une montagne, où les vapeurs arrivent à
travers des couches d'air d'une densité décrois-
sante. Des différences également frappantes
sont produites par l'influence des cUnials ;
la surface d'un lac ou d'une large rivière
briUe moins lorsqu'on la voit à égale distance
de la cime des hautes Alpes de la Suisse, que
lorsqu'on l'aperçoit du sommet des Cordil-
lères du Pérou ou du Mexique. Plus l'air est
pur et serein , plus la dissolution des vapeurs
est parfaite, et moins la lumière est éteinte à
son passage. Lorsque du côté de la mer du Sud
on arrive sur le plateau de Quito ou sur celui
5o2 LIVRE I.
d'Anlisana , on est frappé , les premiers jours,
de la proximilé d;iiis laquelle on croit voir
des objets éloignés de sept à huit lieues. Le
Pic de Teyde n'a pas l'avantage d'être situé
dans la région équinoxiale, mais la sécheresse
des colonnes d'air qui s'élèvent perpétuelle-
ment au-dessus des plaines voisines de l'Afri-
que, et que les vents d'est amènent avec
rapidité, donnent à l'atmosphère des îles Cana-
ries une transparence qui ne surpasse pa»
seulement celle de l'air de Naples et de Sicile,
mais peut-être aussi la pureté du ciel de Quito
et du Pérou. Celte transparence peut être
considérée comme une des causes principales
de la beauté du paysage sous la zone torride :
c'est elle qui relève l'éclat des couleurs v^é-
taies, et contribue à l'effet magique de leurs
harmonies et de leurs oppositions. Si une
grande n)asse de lumière, qui circule autouiï
des objets, fatigue, pendant une partie du
jour , les sens extérieurs , l'hidiilant des climats
méridionaux est dédommagé par des jouis-
sances morales. Une clarté brillante dans les
conceptions , une sérénité intérieure ré-
pondent à la transparence de i'air environ-
nant. On éprouve ces impressions sans frapchir
CHAPITRE II. So3
les limites de l'Europe ; j'en appelle aux
voyageurs qui ont visité les pays illustrés
par les procliges de rimaginatioa et des
arts, les climats heureux de la Grèce et de
Htalie.
En vaia nous prolongeâmes notre séjour
sur le sommet 'du Pic, pour attendre le
moment où nous pourrions jouir de la vue
de tout l'archipel des îles Fortunées '. •Nous
découvrîmes à nos pieds Palma, la Gomère
et la Grande-Ganarie. Les montagnes de Lan-
cerote , dégagées de vapeurs au lever du
soleil , furent bientôt enveloppées de nuages
épais. En ne supposant cjue l'efiet d'une réfrac-
tion ordinaire , l'œil embrasse , par un temps
serein , de la cime du volcan , une surface
du globe de S^oo lieues carrées, égale au
quart de la surface de l'Espagne. On a souvent
agité la question s'il est possible d'apercevoir
' De toutes les petiles îles Canaries, ia Boclie d^
l'Est est la seule qui ne peut pas être vue , inême
[uir un temps serein, du haut du Pic. Sa distance est
de 3" 5' , tandis que celle du Salvage n'est que de
a" i'. L'ile de Madère, éloignée de 4° ag' , ne seroit
visible que si ses monlagoes avoient plus de 3uoo toisu
d'élévation.
la côte tl'Afrique du haut de cette pyramide
colossale ; mais les parties de cette côte les
plus proches sont encore éloignées de Téné-
riffe de 2" 49' en arc , on de 56 lieues; or le
rayon visuel de l'horizon dn Pic étant de
1° 57', le cap Bojador ne peut être tu
qu'en lui supposant une hauteur de aoo toises
au-dessus du niveau de l'Océan. Nous igno-
rons Tihsoluinent l'élévation des Montagnes
ISoires voisines du cap Bojador, de même
que celle du Pic, appelé par les naTigateuH
Pehon grande , et placé plus au sud de ce
jiromonloire. Si le sommet du volcan deTéoé-
riffe étoit plus accessible , on y observeroit
sans doute, par de certains vents , les effets
d'une réfraction extraordinaire. En parcou-
rant ce que les auteurs espagnols et portugais
rapportent sur l'existence de l'île fabuleuse
de San Borondon ou Ântilia , on voit que
c'est surtout le vent humide de l'oues-sud-
oucirt qui produit dans ces parao'es des phé-
liumènes de mirage : nous n'admettrons pas
cependant avec M. Viera ' « que le jeu de*
' " La rcfiaction da para todo. » Notic'uts hista-
ricasj Tom. I, £). io5. JSûus ayons déjà inique plu*
CHAPITRE II. ' * 3o5
réfractions terrestres peut rendre visible^ aux
liabitans des Canaries , les îles du cap Vert y
e% même les montagnes Âpalacbes de rAmé-
rique. »
Le froid que nous éprouvâmes sur la cime
du Pic étoit trës-considérable pour la saison
dans laquelle nous nous trouvions. Le ther-
momètre ^ centigrade , éloigné du sol et des
fumaroles qui exhalent des vapeurs, chaudes ,
descendit, à l'ombre ^ à 2^,7. Le vent étoit
ouest, et par conséquent opposé à celui qui
amène à Téaéri£Pe , pendant une grande partie
de l'année j l'air chaud qui s'élève au-dessus
dts déserts brûlans de l'Afrique. Gomme la
température de l'atmosphère, observée au
port de rOrotava par M- Savagi, étoit de
haut que les fruits de l'Amérique, jetés fréquem^
ment par la mer sur les côtes des îles de Fer et de
Gomëre, étoîent attribués jadis aux végétaux de l'île
de San Borondon. Cette terre, que le peuple disoit
gouvernée par un archevêque et six évéques , et que
le père Feijoo croit être l'image de l'île de Fer, ré-
fléchie sur un banc de brume , fut cédée y au seizième
«iëcle^ par le roi de Portugal, à Louis Perdigon,
au moment où ce dernier se prépara à en faire la
conquête.
I. 20
3o6 LITRE I.
aa^S , le décrois?ement du calorique éloit
d'un degré pargi tuises. Ce résiiltat s'accorde
parfailemeut avec ceux qui ont été obtenus
par Liimanon et par Saussure ' aux somoiet»
du Pic et deVElna. quoique dans des saisons
très-diOférentes '. La forme élancée de ce»
montagnes offre l'aTjintage de pouvoir com-
parer la température de deux couches de
l'atmosplière qui se trouvent presque dan»
un même plan peipendiculaire ; et, sous ce
rapport , les observations faites dans un
voy.ige au volcan de Tenériffe , ressemblent
à celles que présente une ascension aéros-
tatique. Il faut remarquer cependant que
l'Océan , à cause de sa transparence et de son
éraporalion, renvoie moins de calorique dans
' MM. Odoncllet ArmstrongobKrïferent, lesaoï^t
180G, à huit lieures du malin , sur la cime du Pic,
le thermomètre à l'ombre, à i3'',8, et au soleil,
à sa'rS. Uifiërvace ou force du soleil : 6*,7, degrés
ceutésîmaux.
' L'obserration de Ldmaaon donne 99 toiseï par
degré du tbermomèlre centigrade, quoique 1b tem-
pératnre du Pilon diirérât de i)" de celle que nous ot-
■crTàmes. A l'Etna , le decroissement observé far
Saussure fut degi toises.
CHiPITRS U. S07
les kanteB régions de l'air qoe oe le font les
|4aiae8 : aii6ii les eimes qni sont environnées
éè la mer sont-reUes plus froktss en- été mie
les moolagne^ <pri ^'élèvent an niilien des
terres; mais cette ciroonstance inÉoe peu snr
leoecroissemept oela chaleur atmospaenque,
la température des basses régions se trouYant
^galemeot dîavlnuée par la proximité de
rOcéan.
fl n*en est pas de même de Hinftuence
qu'exercent la direction du vent et la nipidité
du courant ascendant : ce dernier augmente
quelquefois d'une manière surprenante la
température des. montagnes les plus élevées.
J'ai vu monter le thermomètre , sur la pente
du vdk^n d'Antisana, dans le royaume de
QnilOy à 19^ lorsque nous nous trouvâmes
à ^8^7 toises de hauteur. M. Labillardière ':
Ta vu se scmtenir , au bord du cratère du Pic
de TénériJfe, à 18*^,7, quoiqnHl eût employé
toutes les précautions inuiginables pour éviter
Teffet des causes accidentçUçs,. li^ t^mpératurç
de la rade de jSiiâfMK'CrQiXt s^'^lgv^iilt ^or;» à
' VoyaffÊ à la recherche de Lapérouse, Toi. 1,
jp. 23 ; Vol. U , p. 65.
30*
3uS LIVRE T.
aS*", ]a différence , entre l'air dé la cûte et le
sommet du Pic, éloit de ij",^ au lieu de 20*
qui correspoodent à un décroissetiieot de
calorique de çf^ toises par degré. Je trouve,
dans le journal de roule de l'expédilion de
d'Entrecasleaux , qu'à telle époque le vent,
à Sainle-Croix , étoil sud-sud-est. Peut-être
ce même vent souffloil-il plus impétueu-
sement dans les liaules régions de l'atmo-
sphère ; peut-être fuisoil-il refluer , dans une
direcliou oblique, l'air eliaud du continent
voisin vers la cime du Pîlon. Le voyage de
M- liabillardière eut d'aillems lien le 17 oc-
tobre 1791 ; et, dans les Alpes de la Suisse,
on a observé que la différence de tempéra-
ture entre les montagnes et les plaines est
moins grande en automne qu'en été. Toutei
ces variations ' de la rapidité avec laquelle
î les résultais de toutes les obser-
Tatioiis lliermomé triques fniles nu Pic lie Ténériffe et
qui sont propres à lîscr le nombre de toises qui cor-
respondfint à un abaissement d'un degré ceutigrade t
1." itorda (i»u mois de sepiembre ) ,
jusqu'iiu Pin de Dorn;iiîto, lo'i toises (matin);
jusqu'à la Station desRocliCis, iot toises (soir);
jusqu'à laglacière naturelle, 169 toises (matin))
CHAPITBE n. S09
décroît Iç- calorique , n'influent sur les
mesures faites à l^aide du baromèlre , qu'au-
tant que le décroissement n'est pas uni«^
forme d^ns les couches intermédiaires , et
<pi'il s'éloigne de la progression arithmé-
tique ou harmonique que supposent les for-
mules employées.
Nîius ne pnnies nous lasser d'admirer, sur
le sommet du Pic, la couleur de la voûte
azurée du cieU Son intensité au zénith nous
parut correspondre à 4 A^ du cyanomètre. Oa
sait 9 par les expériences dé Saussure , que
cette intensité augmente avec la rareté dô
l'air, et que le même iustrument indiquoit
à la même époque Sg® au prieuré de Cha--
mouni, et /^o^ à la cime du Mont-Blanc.
Cette dernière mootagne est de 54.0 toises
jusqu'au pîed du Piton , i5i toises (matin) ;
jusqu'à la cime du Pic , iZj toises ( matin ) ;
a.<^ Lamanon ( au mois d'août ) ,
jus(|u'à la cimp, 99 toises (matin);
3.** Cordier (au mois d*avril),
jusi^u^à la Station des Rochers, 122 toises (soir) }
jusqu'à la cime , 1 1 1 5 toises (matin) ;
. 4.** Notre voyage ( au mois de juin ) ,
}uftC[u'à la cime^ 94 toises.
9lé LÎÏRE T.
plus élevée que le volcan de Ténériffe ; et
si , malgré cette différence , on y voit le
ciel dWe teinte bleue moins foncée, il faut
attribuer ce phénomène à la sécheresse
de fair africain et à h proximité de la zone
torride.
Nons recueillîmes de l'air au bord da
cratère pour en faire l'analyse pendant notre
navij^ation en Amérique. Le flacon resta si
bien bouché , qu'en l'ouvrant , après un
espace de dix jours, l'eau y entra avec force,
Plusienre expériences , faites au mojen da
gaz nilrenx dans le tube étroit de rendiomètre
de Foiitana, paroissoient prouver que l'air
du cratère contenoit neuf centièntes d'oxy-
^ènC de moins que l'air de la mer; mais j'ai
peu de confiance dans ce résultat obtenu par
un moyen que nous regardons aujourd'hui
comme assez inexact. Le cratère du Pic a si
pea de profondeur , et l'air s'y renouvelle
avec tant de facilité, qu'il n'est guère pro-
bable que la quantité d'azole y soit plus
grande que sur les côtes. Nous savons d'ail-
leurs , par les expériences de MM. Gay-
Lussac et Théodore de Saussure, que, dans
les plus hautes régions de l'atmosphère et
dans les plus basses, Fair conlient égak-r
ment 0,3 1 d'oxygeoe'.
Nous ne vîmes, au sommet du Pic> aneiiQO
mce dé Psora, de Leddée» ou d antres
plantes cryplo^mes ; aucun iss^cte ae ¥olli-
geoit dans les aies. On trouva cepetBidftfit
quelques b jméaoplères celles sujp des masses
de sou&e bumeotées d'acide snlfnreip:, et
tapissant l'ouverture des lîunaroles. Ce sont
des abeilles qui paraissent avoir été attirées
par les fleurs du Spartium nnbigenum, et
que des vents obliques ont portées dans ces
ban tes régions, conune les papillons trouvés,
par JML Ramond , à la cime du Mont-Perdu.
Ces derniers périssent de froid, tandis que
les abeilles du Pic sont grillées en s'apfiro^
* Penfldttt fe séjorn* qnc nous avons fait , M. Gay-*
Lossac et moi , à nio8[uoe.da Mont^Cénis, an jBùiB,iù
mars iBoSj nous avons recueilli de l'air au lu^i^a
d'un nuage fortement éleclri^i^. Cet air^ anfijsé
dans Teudiomètre de Volta , ne çontenoit pas d'fij*
drogène, et sa purrt^ ne difFéroitpas de o^ooa d'oxy-
gêne de Tair de Paris , que nous avoins porté avee
nous dans des flacons hermétiquemebt fermés. Sor
Tair qui a été recueilli m 34o5 toises de hauteur, voyez
Ann, de Chimie ^Tom, LU, p. ^2.
3r2 LIVRE I.
chant imprudemment des crevasses auprès
desquelles elles sont venues chercher de la
chaleur.
Malgré cette chaleur que l'on sent aux
pieds, sur le bord du cratère, le cône de
cendres reste couvert de neige pendant
plusieurs mois de l'iiiver. Il est probable
que, sous la calotte de neige, il se forme
de grandes voûtes, semblables à celles que
l'on trouve sous les glaciers de la Suisse,
dont la température est conslamment inoius
élevée que celle du sol sur lequel ils repo-
sent '. Le vent impétueux et i'roid qui
soufOoit depuis le lever du soleil, nous en-
gagea à chercher un abri au pied du Piton.
Nous avions les mains et le visage gelés ,
tandis que nos bottes éloient brûlées par le
sol sur lequel nous marchions. Nous descen-
dîmes, en peu de minutes, le Pain de Sucre
que nous avions gravi avec tant de peine,
et celte rapidité étoit en partie involontaire,
car souvent on roule sur les cendres. Noua
quitlàiues avec regiel ce lieu solitaire, ce
' Voyez l'excellent oiiTrage de M. de Stapfer ,
Voyage pittoresque de l'Ohedandj p, 61.
C&APITBB II. 5lS ,
site dans lequel la nature se montre dans
toute sa majesté; nous nous flattions de revoir
un jour les îles Canaries, mais ce projet,
comme tant d'autres que nous formions alors,
n'a pas été exécuté.
Nous traversâmes lentement le Malpays :
le pied ne repose pas avec sûreté sur des
blocs de laves mobiles. Plus pi*ès de la
StatioD des Rochers, la descente devient
extrêmement pénible; le gazon, court et
serré, est si glissant, que pour ne pas tomber
il .faut continuellement pencher le corps
en arrière. Dans la plaine sablonneuse du
Rétama, le thermomèire s'élevoit à 22',5,
et celte chaleur nous parut suffocante en
la comparant à la sensation du froid que
l'air nous avait fait éprouver au sommet da
volcan. Nous étions absolument dépourvus
d'eau; nos gtiides, non contens de boire à J
la dérobée la petite provision de '
Malvoisie que nous devions àj
voyante de M- Cologan, aw
les vases qui renfermoient ]
ment ils avoîent laissé intati
lequel nous avions recueilli i
Nous jouîmes enÛQ d'un |
3l3 LIVRE I.
chant imprudemment des crevasses auprès
desquelles elies sont venues chercher de la
chaleur.
Malgré cette chaleur que l'on sent anx
pieds, sur le bord du cratère, le cône de
cendres reste couvert de neige pendant
plusieurs mois de l'iiiver. II est probable
que, sous la calotte de neige, il se forme
de grandes voûtes, semblables à celles que
l'on trouve sous les glaciers de la Suisse,
dont la température est constamment moins
élevée que celle du sol sur lequel ils repo-
sent '. Le vent impétueux et froid qui
souIQoit depuis le lever du soleil, nous en-
gagea à chercher un abri au pied du Piton,
Nous avions les mains et le visage gelés ,
tandis que nos boites étoient brûlées par le
soi sur lequel nous marchions. Nous descen-
dîmes, en peu de minutes, le Pain de Sucre
que nous avions gravi avec tant de peine,
et cette rapidité étoit en partie involontaire,
car souvent on roule sur les cendres. Nous
quittâmes avec regret ce Heu solitaire, ce
' Voyez rexcellcnt oiiTroge de M. de Stapfer,
foyage piuoresqa» de l'Oberland, p. Gi.
CHAPITKE II. 3l5
site dans lequel la nature se montre dans
toute sa majesté ; nous nous flattions de revoir
un jour les îles Canaries^ mais ce projet^
comiQde tant d'autres que nous formions alors,
n'a pas été exécuté.
Nous traversâmes lentement le Malpays:
le pied ne repose pas avec sûreté sur des
blocs dje laves mobiles. Plus près de la
Station des Rochers, la descente devient
extrêmement pénible; le gazon, court et
serré, est si glissant, que pour ne pas tomber
il #faut continuellement pencher le corps
en arrière. Dans la plaine sablonneuse du
Rétama, le thermomètre s'élevoit à 22",5,
et cette chaleur nous parut suffocante en
la comparant à la sensation du froid que
Tair nous avoit fait éprouver au sommet du
volcan. Nous étions absolument dépourvus
d'eau; nos guides, non contens de boire à
la dérobée la petite provision de vin de
Malvoisie que nous devions à la bonté pré-
voyante de M. Cologan , avoient aussi brisé
les vases qui renfermoient Tean. Heureuse-
ment ils avoient laissé intact le flacon dans
lequel nous avions recueilli Tair du cratère.
Nous jouîmes enfin d'un peu de fraîcheur
5li ITVRE I.
dans l;i belle réfjion des fougères et de
l'Erica arborescent Une couche ép.:isse de
Diiages nous enveloppoil; elle se soutenoit
à six cents toises de liautenr au-dessus du
niveau des plaines. En traversant cette
cout:he , nous eûmes occasion d'observer
un pliénocièrie qui , dans la suite , s'est
présenté souvent à nous sur la pente des
Cordillères. De pelils courans d'air pous-
soient des traînées de nuages avec une vitesse
inégale et dans des directions opposées. H
nous sembloit voir des filets d'eau qui se
meuvent rapidement, et en tous sens, au
milieu d'une grande masse d'eaux dormantes.
Les causes de ce mouvement , partiel des
nuages sont probablement très-variées; oo
peut les chercher dans une impulsion venue
de trcs-loin, dans de légères inégalités du
sol qui réfléchit plus ou moins le calorique
rayonnant, dans une différence de tempéra-
ture entretenue par quelque action chimique,
ou enfin dans une forte charge électrique
des vapeurs vésicnhiires.
En nous approchant de lu ville de l'Oro-
tava, nous rencontrâmes de grandes bandes
de Canaris. Ces oiseaux , si connus en
CHAPITRB II. SlS
Europe % ëtment d^un vert assex Qnilonne;
tpielques-iins avoient sur le tk)6 tiD6 teinte
îaunlAre; leur chant «toit ie méim ^{ins celui
^j0s canam domestiques : on observe cepen*-
lAant c|ue ceux qm ont ^é pris à l'île de
<2«m ^anar ia ^et au |>etit tlot de Mont^Clara ,
prte de Lattcerote^ ont la voix la plus forte,
et e& même temps fo plus faaitnoniedse. Sou»
toutes tes 20D6s^ pertifii les 'oiseaux de la
même ^espèce , cka^ue bande a son langage
particulier. Les4canArîs jaunes sont une variété
iùjfii a pris 'uaissauoe en Europe; et ceux que
nous vîmes dans des cages ^ à lX)rotava et à
Sainte -Croix de Ténérifffe , avoient été
Mè^*^ à Cadix et en d'autres ports d'Es«*
pag^nti. MââSy de tous les oiseaux dtô îles
Canaries > <eélui q^i a le chant te plus agréable
test ineMfiiii en Europe; c'est le Capîrote
«qu^^mi %'a jamais >pu apprivoiser^ tant il
aime sa liberté. J'ai admiré son ramage doux
et ttiéiodienx>, dates tm jardin près de ï'Oro-
' FrîngtllA CanarMk lÀ Caille Tapptxrte , «bug la
Aèlàikm «le #<m Toya^ au €ftp , qu'à Pile d« Sâl«'
Vnge^ ce* èerkis sont «i «boadâ:iis <|Me du» vue ocxr^
taille «aismi on ne peut 7 marcher sans liriser kli
4aiifs.
5i6 LIVRE I.
tava, mais je ne Val pus vu d'assez près pour
prononcer à quel genre II jipparlieiit. Quant
aux perroquets que l'on cruil avoir apcrciiS
lors du séjour du capitaine Cook à Téné-
riiTe, ils n'ont jamais existé que dans le
récit de quelques voyageurs qui se copient
les uns les autres. Il n'y a ni perroquets ni
singes dans les îles Ciinaries; et, quoique,
dans le nouveau continent, les premiers
fassent des migrations jusqu'à l.t Caroline
se|>lenIrionaIe, je doule que dans l'ancieu on
en ait rencontré au nord du 28." degré de
latitude boréale.
Nous arrivâmes vers la fin du jour au port
de rOiotava, où nous trouvâmes la nouvelle
inattendue que le Pizarro ne mettroit à la
voile que la nuit du 2^ au 35. Si nous avions
pu coriipler sur ce retard, nous aurions ou
prolongé notre séjour ' au Pic, ou entrepris
■ Commn luiaiicntip de vovagpnrs, qui abordent à
Saillie-Croix de TéiiûriiTe , ii'eiiirc|)rciineiit [las l'en-
cursioti au Pic , parce ([ii'ils ignorent le tenips qu'il
faut y emploser, ii scia util de consigner ici i«
données suivantes : Kn se servant dr mulets iusqu'i
la Siali 111 lies Aiiglois , on met , de 1 Orotava pour
aller au Eouimet du Pic ei revenir au port, ai Iicures^
CHAPITRE ÏI. 5l7
une excursion aii volcan de Ghabôrra. Nous
passâmes la journée du lendemain à visiter
les environs de l'Orolava, et' à jouir de la
sociélé aimable' que nous offroit la maison
de M* Gologan. INoiis sentîmes alors que le
séjour de Ténériffe n*est pas seulement inté-
ressant pour ceux qui s'occupent de l'étude
de la nature: on trouve à TOrotava des per-
sonnes qui ont le goût des lettres et de la
musique, et qui ont transplanté, dans ceû
climats lointains, Faménité de la société de
l'Europe, Sous ces rapports, à Texception
de la Havane, les îles Canaries ressemblent
peu aux autres colonies espagnoles.
Nous assistâmes , la veille de la Saint-Jean ,
à une fête champêtre au jardin de M. Little.
Ce négociant 9 qui a rendu de grands services ^
savoir, de POrotava au Plno del Domajito, 3 heures \
4
du Pin à la Station des Rochers, 6 heures; et de
cette station à la Caldera, 3 heures et demie. Je
compte 9 heures pour la descente. 11 ne s'agit, dans
ces évaluations, que du temps employé à la niàrch^
et aucunement de celui qui est nécessaire, pour exa-
miner les productions du Pic , ou pour prendre da
repos. Une demi-journée suffit pour se transporter
de Sainte-Croix de Xéa^iffe à l'QroUva.
3l8 LIVRE I.
aux CaDariens lors de la dernière disette de
grains, a cultivé une colline couverte d^
débris volciiniques. Il » formé, dans ce sitft
délicieui, un jiirdin «ugKiis ; on j jouit
d'une vue magnifique sur la pyramide du
Pic, sur ies villages de tu côte et sur l'île du
Faluia qui borde la vaste éleiidue de l'Océan.
Je ne saurois conijjiirer celle vue qu'à celles
des golfes de Gènes et de Niiples : mais
rOrotava l'emporte de beaucoup pour ta
grandeur des masses et pour la richesse de
la végétation. A l'entrée de la nuit, la peota
du volcan nous ofi'ril tout-à-coup un aspect
extraordinaire. Les patres , fidèles à uno
coutume que sans doute tes EUpii^rni^s ont
introduite, quoiqu'elle date delà plus haute
aniiquilé, avoient iillunic les fi ux de la S;iint-
Jean. Ces masses de lumières cparses, ces
colonnes de fumée chassées par les tour-
billons , contrastoient avec la son^bre verdure
des forêts qui couvrent les fliuics du Pic.
Des cris d'allégresse se faisoient entendre
de loin, et seuiblolent seuls interrompre le
silence de la nature d^ns ces lieux solitaires,
La faimlie de M. Gologan possède une
maison de campagne plus rapprochée de la
CHAPITKE II. 2 19
csbte qiTe celle que je viens de décrire. Le
nom que lui a donné le propriétaire , désigne
le sentiment qu'inspire ce site iàampétre.
La maison de La Paz avoit d'ailleurs pour
nous un inlérêt particulier. M. de Borda ^
dont nous déplorions la mort > Tatoil habitée
pendant sa dernière expédition aux île^
Canaries^ G'e:^ dans une petite plaine voisine
que ce savant avoit mesuré la base à l'aide
de laquelle fl détermina la hauteur du Pic.
Dans cette triangulation ^ le grand dragon-
mer de rOrolava servoil de signal. Si quelque
fojageur instruit rouloit un jour entre-
premfare , avec plus de précision et an
moyeti de cercles répétiteurs astronomiques^
une noiivelle mesure du volcan» il faodroh
mesurer la base, non près de l'Orolava,
mais près de les Silos , dans un endroit
appelé Baritej selon M. Broussonet , il n'y
a pas de plaine rapprochée du Pic , qui
office plus d'étendue. En herborisant près
de la Fa2 , nous trouvâmes abondamment
le Lichen roccena sur les rochers basalti-
ques baignés par les e^ux de la mer. L'or-
seiUe des Canaries est une branche de
commerce très-^aneienne ; on tire cependant
â30 LIVRE t.
ce Lichen moins de lile de Ténériffe que
des îles désertes du Salvage, de la Gradosa,
de l'Alegranza, et même de Canarie et de
Hierro.
Nous quilliîmes le port de l'Ororava, le
24 juio au matin; nous dînâmes, en passant
par la Laguna, chez le consul de France- Il
eut la complaisance de se charger des col-
lections géologiques' que nous avions faites
et que nous destinions au cabinet d'histoire
naturelle du roi d'Espagne. En sortant de la
TÏlle et en fixant les yeux sur la rade de
Sainte-Croix, nous fûmes alarmés par la vue
de notre corvette le Pizarro qui étoit sous
voile. Arrivés au port , nous apprîmes qu'elle
louvoyoit à petites voiles pour nous attendre.
Les vaisseaux anglois, qui cloient en station
devant l'île de Ténériffe, avoîent disparu, et
nous n'avions pas un moment à perdre pour
quitter ces parages. Nous nous embarquâmes
seuls; car nos compagnons de voyage étbient
Canariens, et ne nous suivoient pas en Amé-
rique. Nous regrettâmes, parmi eux, Doa
M, Hergen. les a décrites dans les Annales de ciencia»
mniiniln* qu'il a publlces avec l'abbé Cavanilles.
CHAPITRE II. S21
Francisco Salcedo, fils du dernier gouver-
neur espagnol de la Louisiane, que nous
retrouvâmes à l'île de Cuba après notre retour
de rOrénoquc.
Pour ne pas interrompre la relation du
voyage à la cime du Pic, j'ai passé sous
silence les observations géologiques que j'ai
faites sur la structure de cette montagne
colossale et sur la nature des roches vol-
caniques qui la composent. Avant de quitter
l'archipel des Canaries , il sera utile de nous
arrêter encore un moment pour réunir, sous
un même point de vue , ce qui a rapport au
iaUeau physique de ces contrées.
Les minéralogistes qui pensent que le but
de la géologie des volcans est de classer des
laves, d'examiner les cristaux qu'elles ren-
ferment et de les décrire d'après leurs carac-"
tères extérieurs, sont ordinisiirement très»-
satis&its lorsqu'ils reviennent de la boocbf
d'un volcan enflammé. Ils en rapportent dt$^
collections nombreuses qui sont l'objet pc
cipal de leurs désirs. Il n'en est pas de méi
des savans qui , sans confon(fre la minéi
logie descriptive ' avec la géognosie , tende
* Oryctognosie,
I.
it22 LIVSB I.
4 s'élever à des idées d'un intérêt général,
et cherchent, dans l'étude de la natore, des
réponses aux questions suivantes :
La montagne conique d'un volcan esl-elle
entièrement formée de matières liquéfiées et
amoncelées par des éruptions successives ,
ou renferme-t-elle daûs son centre un novau
de roches primitives recouvert de laves, qui
sont ces mêmes roches altérées par le feu?
Quels sont les liens qui unissent les produc-
tions des volcans modernes aux basaltes, aux
phonolites et à ces porplivres à base feldspa-
thique qui sont dépourvus de quartz, et
qui recouvrent les Cordillères du Pérou et
du IMexique, comme le petit groupe des
M(mi-.-Durés, du Cantal et du Mézen en
France? Le uovau ceniral des volcans a-l-il
été chauffé eu place, et soulevé, dans un
état de ramollissement, par la force des va-
peurs cliisliques , avant que ces fluides eussent
coîTimuniqué, par un cratère, avec l'air esté-
rieni? Quelle est la substance qui, depuisdes
milliers d'années, entretient celle combus-
tion, l;int6l si lente, tantôt si active? Cette
cause inconnue agit-elle à une profondeur
immense, ou l'action chimique a-t-elle lieu
CHAPITRE II. 523
dans les roches secondaires superposées au
granité?
Moins ces problèmes se trouvent résolus
dans les nombreux ouvrages publiés jusqu'ici
sur l'Etna et sur le Vésuve, et plus le voja-
geur désire A'oir de ses propres yeux. Il se
flatte d'être plus heureux que ceux qui l'ont
précédé; il veut se former une idée précise
des rapports géologiques entre le volcan et
les montagnes circonvoisines; mais que de
fois il est trompé dans son espoir, lorsque,
sur les limites du terrain primitif, d'énormes
bancs de tuf et de pouzzolanes rendent im-
possible toute observation de gisement et de
superposition ! On parvient dans l'intérieur
du cratère avec moins de difficultés qu'on ne
le supposoit d'abord ; on examine le (
depuis son sommet jusqu'à sa base;
frappé de la différence qu'offrent les p
de chaque éruption , et de Vàttf
existe cependant entre les \am
volcan : mais , malgré le !
on interroge la nature j i
d'observations partielles ^
chaque pas, on revient de laC
enflammé, moins satisfait qii^
52^ LIVSB I.
se préparant à y aller. C'est après qu'on les
a étudiés sur les lieux que les phénomèDes
volcaniques pHroissent plus isoles, plus t^-
rùbles, plu5 ubscurs encore qu'on ne se les
figure en consultant les récils des vojngeurs.
Ces considérations se sont présentées à moi
€0 revenant du sommet du Pic de Ténérifle,
le premier volcan aclif que j'aye eu occasion
de visiter; elles rn'onl frappé de nouveau
cliaquefoib que, diins l'Amérique méridionale
ou au Mexique, j'iii eu occasion d'examiner
des montagnes volcaniques. En réfléchissant
sur le peu de progrès que les travaux des
mincralo^'istes et les déeouverlesen chimie ont
l'ait i'aiie à la j^éologie physique des volcans,
on no sauroit se défendre d'un senlimeot
pénible : il l'est surtout pour ceux qui, inter-
royeanl la nature sous les climats divers,
sont plus occupés des problèmes qu'ils n'ont
pu résoudre que du petit nombre de résultats
qu'ils ont obtenu.
Le Fie d'AyadyrniLi ou d'Eclieyde ' est une
montagne conique, isolée, placée dans un
Le mol echeyde, ijui signifie erif^r dans la langtic
(Jes tiuaiiciieï , a élé trausrornté par les Européeus en
CnAPITRE ir. 525
Ilot d'une très-petite circonférence. Les sa vans
qai ne considèrent pas à la fois la sarface
entière du globe, croient qoe ces tfois cir-
constances sont communes à la plupart de»
volcans. Us citent, à l'appui de leur opinion ^
TËtna, le Pic des Açore», la soufrière de la
Guadeloupe, les Trois - Sfilazes de l'île de
Bourbon , et cet archipel de volcans que ren-
ferment la mer de l'Inde et le Grand-Océan-
En Europe el en Asie, autant qne l'intérieur
de ce dernier continent a été reconnu , aucun
volcan actif n'est situé dans une chaîne de
montagnes; tons en sont plus ou moins t'Iui-
gnés. Dans le nouveau monde , an contraire ,
et ce fait mérite la plus grande attention , les
volcans les plus imposans par leurs masses
fout partie des Cordillères cernes. Les mon-
tagnes de schble micacé et de gtieiss du Pérou
et de la Nouvelle-GrenadeJ
dialement aux por]
provinces de Quito e
nord de ces c
royaume de C
groupés
dire
feu volcan:
526 LI\BE I.
éloignée des Cordillères , comme dans le
Saogay et le JoruUo ' , on doit regarder ce
phénomène comme une exception à la loi
qae la nature semble s'être imposée dans ces
régions. J'ai dû rappeler ici ces faits géolo-
giques, parce qu'on a opposé ce prétendu
isolement de tous les volcans à l'idée que le
Pic de Ténériffe et les autres cimes volca-
niques des îles Canaries sont les restes d'une
chaîne de montagne*, submergée. Les obser-
vations qui ont élé faites sur l'agroupement
des volcans eu Amérique , prouvent que l'an-
cien état de choses représenté dans la carte
conjecturale de V lllnnlide , de M. Bory de
Saint- Vincent , n'est aucuneinent contraire
' Deux volcans des (irovinces de Quixos et de
Méchoncaa , l'un de l'Iiémisphcrc austral , et l'autre
de l'Iiémlsplière boréal,
" I~i (guestioii si les Iradiiious des anciens sur l'At-
lantide reposeut sur des faits historiques est entière-
ment difiërente de celle-ci r si l'arcbipel des Canaries
et les îles adjacentes sont lefî débris d'une chaîne de
montagnes , décliiréc et sulimergée dans une dfs
grandes catastrophes qii'a éprouvées notre globe. Je
ne prétends émcllre ici aucune opinion en faveur de
l'existence de l'Atlantide; mais ie lâche de prouver
€HicPITRB II. 327
aux lois reconnues de la nature , et que rieo-
ne sfoppose à admettre que les cimes de Porto
Santo^ de Madère et des îles Fortunées
peuvent a^oir formé jadis ^ soit un système
particulier de montagnes primitives , soit Tex*
trémilé occidentale de la chaîne de FAtlas.
Le Pic de Tejde forme une masse pyra-
midale comme l'Etna, le Tungurahua et le
Popocatepetl. H s'en- faut de beaucoup que*
ce caractère physionomique soit commun à
tops les volcans. Nous en avons observé dan»
Thémisphère austral qui , au lieu d'ofiPrir la
forme d'un cône ou d'une cloche renversée ,
sont prolongés dans un sens^ ayant la croupe
tantôt unie y tantôt hérissée de petites pointes
de rochers. Cette structure est particulière à
TAntisana et au Pichincha^ deux volcans actifs
de la province de Quitto; et l'absence de la
forme conique ne devra jamais être consi-
dérée comme une raison qui exclut l'origine
volcanique. Je développerai dans la suite àm
cet ouvrage quelques-uns des rapports* ^
que les Canaries n'ont pas jAus été formées pai
volcans , que la masse entière des petites. Antilbs
L'a> été par. des madrépores.
je crois avoir aperçus entre la physionomie
des volcans et l'ancienuelé de leurs roches.
11 suffit|d'ohserver ici en général que les cimes
qui vomissent encore avec le plus d'impé-
tuosité, et aux ppo({ues les plus rapprochées ,
soutdes Pics élancés à forme conique ; que les
montai^nes à croupes prolongées et hérissées
de petiles masses pierreuses sont des volcans
très-anciens el prés de s'éteindre, et que les
sommités arrondies en forme de dômes on de
cloches renversées annoncent ces porphyres
problématiques qu'on suppose avoir été chauf-
fés en place, pénétrés par des vapeurs, et
soulevés dans un état ramolli , sans avoir
jamais coulé comme de véritables laves
Ijthoïdes, Au premier' de ces tipes appar-
tiennent le Cotopaxi, le Pic de Ténériffe et
celui d'Orizava au Mexique; le second ' est
commun au Cargueirazo et au Pichincha ,
dans la province de Quito , au volcan de
Puracé, près de Popayan, et peut-être aussi
à l'Hecla en Islande. Le troisième' et der-
' Atlas pUlorexque ,V\, -i..
'■ Ibid. , PI. I.XI.
' Ibid.. PI. xvi. (Ml V.C l'édition iu-8°.)
CHAPITRE II. 33^
nier de ses types se retroove dans la forme
majestueuse du Chimborazo, et, s'il est per-
mis de placer à côté de ce colosse une col-
line de l'Europe ; dans le Grand-Sarcôuj en
Auvergne.
Pour se former une idée plus exacte de la
structure extérieure de» volcans , il est impor-
tant de comparer leur hauteur perpendicu-
laire à leur circonférence. Cette évaluation
n'est cependant susceptible de quelque pré-
cision, qu'autant que les montagnes sont
isolées et placées sur une plaine qui se trouve
à peu près au niv«au de la mer. En calculant
la circonférence du Pic de Ténériffe d'après
une courbe qui passe par le port de l'Oro-
tava, par Garachico, Adexe et Guimar, et
en faisant abstraction des prolongations de
sa base vers la forêt de la Laguna et le cap
Nord -Est de l'île, on trouve que ce dévc^
loppement est de plus de 54.9OOO toises. ÎÀ
hauteur du Pic est par conséquent n d
circonférence de sa base. M. de Bu
trouvé ce rapport de n peur le Ycsiive
•'
* Gilbert , Annalen der Physik , B. 5 , pag. A
Vésuve a i33,ooo' palmes ou 18 milles mari
55(y LITRE I-
ce qui peiil-êtrc est moiDS certain , de sr potM-
l'Elna. Si la penle de ces trois volcans éloit
uDifonne depuis \c sommet jusqu'à Li hase,
elle seroil inclinée au Pîc deTeyde de 1 2** 29^;
au Vésuve, de i2°4i' ï et à l'Etna, de 10" j 3';
résullatqui doit surprendre ceux qui ne réflé-
chissent pas sur ce qui constitue une pente
moyenne. Dans une montée trcs-lougue , des
terrains inclinés' de trois à qjjatre degrés
allerncnt avec d'autres qui sont inclinés de
aS à 3o degrés, et ces derniers seuls fr;ippent
notre imagination , parce que l'on croit toutes
les pentes des montagnes plus rapides qu'elles
ne le sont efleclivement. Je puis citer, à l'ap-
pui de celte considération, l'exemple que
présente la montée depuis le port de la Vera-
circonrérence. La distance liorizoïit.-ile de Résina au
cratère est de 3700 toises. Des miDéralogistes italiens
ontcTaluélacirconliérence de l'Etna de 8^0,000 palmes
ou de 119 milles. Avec celte donnée, le rapport de la
hauteur à la circonférence ne scroit que de 5^; mais
je trouve, en traçant une courbe par Calania , Pa-
terno , Bronte et Piemonte , fia milles de circonfé-
fércnce , d'après des cartes les plus exactes. Le rap-
port tic ~ augmente par là jusqu'à 57. La hase
lomliL'-t-elle liors de la coui'be que j'indique?
CHAPITOE II. 35i:
Cruz jusqu'au plateau du Mexique. C'est sur
la pente orientale de la Cordillère qu'est tracé
un chemin qui^ depuis des siècles, n'a pu
être fréquenté qu'à pied ou à dos de mulet.
Depuis l'Encero au petit village indien de las
VigaSy il y a 7600 toises de distance horizon-
tale; et l'Encero étante d'après mon nivelle-
ment barométrique^ de 746 toises plus bas
que las Vigas, il ne résulte, pour la pente
moyenne, qu'un* angle de 5°4o'-
J'ai réuni, dans une même planche, les
profils du Pic de Ténériffe , du Golopaxi et
du Vésuve. J'aurois volontiers substitué à ce
dernier TEtna, parce, que sa forme est plus
analogue à celle des deux volcans d'Amérique
et d'Afrique ; mais je n'ai voulu tracer que
le contour des montagnes que j'ai visitées et
mesurées moi-même; et, quant à l'Etna,
j'aurois manqué de données pour les hauteurs
intermédiaires. Je dois faire observeij encore
que, dans les trois profils, les échelles de.
distances et de hauteurs ont les mêmes rap*
ports. Les distances ont été déterminées
d'après les cartes de Zanoni , de Borda et de
La Condamine. Le lecteur, versé dans les
opérations de nivellement, ne sera pas étonné
332 LIYBE I.
de la penle Ires-douce que paroissent pré-
senter ce« profils. Dans la nature, dd plan
incliné sons un angle de 35'^ paroil l'être de
5o". On ose à peine descendre en voiiare
Doe pente de 22", et les parties des cônes toI-
caniques inclinées de ^o" à ^2" sont déjà
presque inaccessibles, quoique le pied poisse
former des gradins en enfonçant dans les
cendres. Je réunis, dans une note particu-
lière, les expériences que j'ai faites sur les
difficultés que présente la déclivité des ter-
rains montagneux ".
' Dans lies endroits où il y avoit à l.-i fois des
penl< -i couvertes de gazon touffu et de» sables moa-
'ai nùt les r
nesures suiva
ntes:
pente d'un
En l'ran
pas, sel 01
e inclinaison déjà très - marquée.
ce, les grandes routes ne peuTent
n la loi , excéder 4" 46' ;
pfinHî trJ's
cendre ei
-rapide, que
1 Toilure ;
l'onn
e peut pas des-
, penle presque inacccs
sible à
pied.
si le sol
ent un roc nu ou un gason trop serré pour
qn'on puissi' y rornier des gradins. Le corps
de l'tiouiiufi louihc en avricre lorsque le
tiliia fiiil avre l.i plante du pied un sOgla
plus petil que 53" ;
, pi'iilc In plus inclinée qu'on puisse ffi
CHAPITEl II. 555
Les volcans isolés offrent, dans les régions
' les plus éloignées, beaucoup d'analogie dans
leur structure. Tous présentent , à de grandes
hauteurs, des plaines considérables au mi-
lieu desquelles s'élève un cône parfaitement
arrondi. C'est ainsi qu'au Cotopasi les plaines
de Suniguaicu s'étendent au-dessus de la maî-
teriede.Pansache. La cime pierreuse d'Anti-
aana, couverte de neiges éternelles, forme
un Uot au milieu d'un immense plateau dont
la surface est de douze lieues carrées , et dont
la hauteur surpasse de deux cents toises celle
du sommet du Pic de Ténériffe. Au Vésuve,
à trois cent soixante~dix toises d'élévation,
le cône se détache de la Plaine de l'Atrio dei
a pied dans un terraia «abloimeux ou couvert
de cendres Tolcaniquei.
Lonqne U pente «it da 44*, il Mt p|SfQBe ini'
possible de la gravir, quoïijue le terr^iîa
d'y former des gradins ta «ofen^ADl le pîei
oAoes dee volcaus ont u
à 4o". Les purties 1
VJMBTe , soit du Pic i
chineha et i
pente de âj^
haut, c
dS4 LITBE I.
Cavalli. Le Pic de Tént-iifle présente dcus
de ces plateaux dont le supérieur est Irès-
pelit, e( se trouve à la hauleur de l'Etna,
imniëdîjtenient au pied du Piton, tandis qoe
le second , couvert de touffes de Relama
(Sparlium iiubi^enum) s'éteud jusqu'à l'^s-
taricia de los Ingleses. Celiii-ci s'élève au-
dessus du niveau de la nier presque autant
que la ville de Qtiilo et le sommet du Mont-
Liban.
Plus une inoiilagne a vomi par son cratère,
et plus son cône de cendres est élevé en raison
de la liaulenr perpendiculaire du volcan en-
tier. Rien de plus frappant, sous ce rapport,
que la différence de structure qu'offrent le
Vésuve, le Pic de Tcnériffe et Je Picliincha.
J'ai choisi de préférence ce dernier volcan ,
parce (|uc sa cime ' entre à peine dans la
liniile inférieure des neiges perpétuelles. Le
' J'iil mesLUf ]*: sorameL de l'ichiuch.i , o'esl-à-diie
lu mimticule couvert de cendres, au-dessus du LWo
(Irl Viilciii , an nord de l'Allo de Chuqiûra. Ce moi:-
licide n'a cependant pas la forme régulière d'un cÔhb.
Quant ou Visuve , j'ai indiijiié la liaitteur moyenne du
P;iiii de Sucre, a c.iusc de la fp-.inde diflereiiec qoa
[irésentcnt les deux Imrds du crattre."
CHAPITRE XI. 333
cône du Goiopaxi, dont la forage est la plus
élégante et la plus régulière que l'on con-
Doisse^ a ô4o toises de hauteur, mais il est
impossible de décider si toute cette masse est
couverte de cendres.
NOMS DES VOLCANS.
HAUTEUR
totale
en toises.
HAUTEUR
da cône
coairert de
cendres.
RAISON
do cône
à U
haateor
totale.
Vésuve
606*
200*-
t
Pic de Téaéri£fe...*
1904*-
M*-
1
**
Pichmcha
2490*"
24o*-
"
Ce tableau semble indiquer ce que nous
aurons occasion de prouver plus amplement
dans la suite , que le Pic de ïénériflPe appai^
tient à ce groupe de grands volcans quiV
comme TEtna et TAntisana , ont plus agi pi^
les flancs que par le sommet. Aussi le cratè
placé à l'extrémité du Piton, celui que ï
désigne sous le nom de la Caldera, est-iia
gulièrement petit; et celte petitesse ai
même* déjà frappé M. de Borda et d'^in
536 LITRE I.
voyageurs qui ne s'occiipoieiit guère de
recherches géologiques.
Quant â la nature des roches qui com-
posent le sol de Ténénfre , il l'aut d'abord dis-
tinguer entre les productions du volcao actuel
et le sjslèuie des montagnes basaltiques qui
entourent le Pic, et qui ne s'élèvent pas au-
delà de cinq à six cents toises au-dessus du
niveau de l'Océan. Ici, comme en Italie,
comme an Mexique et dans les CordQlères de
Quito, les roches de la formation Irapéenne'
restent éloignées des coulées de laves mo-
dernes; tout annonce que ces deux cesses de
substances, quoiqu'elles doiventleur origiueà
des phénomènes analogues, dateut cependant
d'époques très-différentes. Il est important,
pour la géologie, de ne pas confondre les
courans de laves modernes , les buttes de
basalte, de griinslein el de phonolile qui se
trouvent dispersées sur les terrains primitifi
et secondaires, et ces masses porpliyroïdes'
' Tiapp- formation reufermant les basaltes, les
grii/cslein, les porphyres trapéens, les phoDolitcs ou j
porphyrsfliiefer , etc. j
" Ces niasses pctrusiliceuscsenchâascut «les crùtaui I
de feltUpath viticuï souvent frittes, de i'ampliiiiole, j
CHAPITRE II. 537
à base de feldspath compacte qui n'ont peut-
être jamais été parraitement Itquénées, mais
qui n'en apparlienneut pas moins au domaine
des volcans.
Dans nie de TénéritFe, des couches de
tuf, de pouzzolane et d'argile séparent le
système des coUiacs basaltiques des coulées
de laves lithoïdes modernes et des déjections ,
du volcan actuel. De même que les éruptions
de l'Epomeo dans l'île d'Iscliia et celles de
JoruUo au Mexique ont eu lieu , dans des ter-
rains couverts de porphyre trapéeos , de
basaltes anciens et de cendres volcaniques,
le Pic de Teyde s'est élevé au milieu des
débris de volcans sous-marins. Malgré la dif-
férence de composition qu'offrent les laves
modernes du Pic , on y reconnoît une c
régularité de gisement qui doit frapp
dcB j^oxënes, un peu d'olivine et
de quartz. A cetti' formation
partiennent lei porphj:
et de Riobamba en Â
neéns en Italie, et du
de même que le» iUnnila*
de-Dàme, du Fctit-CIeii
Cbopine en Anvergne.
338 MTRE r.
naturaliïites les moins instruits en géognosie.
Le grand Plateau des Genêts sépare les laves
noires, basaltiques et d'un aspect terreux,
des laves vitreuses et feldspalhtqaes dont la
base est de l'obsidienne, du peclisleîii et de
la phonolite. Ce phénomène est d'autant plus
remarquable, qu'en Bohême et en d'autres
parties de l'Europe, le pQfphjrsckiefcrb. base
de phonolite ' recouvre aussi les sommets
bombes des montagnes basaltiques.
Nous avons déjà fait observer plus haut
que, depuis le niveau de la mer jusqu'au
Portillo et jusqu'à l'entrée du Plateau des
Genêts, c'est-à-dire sur deux tiers de la hau-
teur totale du volcan , le sol est tellement
couvert de végétaux qu'il est difficile de faire
des observations géologiques. Les coulées de
laves que l'on découvre sur hi pente du Monte-
Verde, entre la belle source du Dornajito et
la Caravela , offrent des niasses noires, altérées
par la décomposition , quelquefois poreuses,
et à pores très-alongcs. La base de ces laves
inférieures est plutôt de la wakke que du
basalte; lorsqu'elle est spongieuse, elle res-
' Klingsleirij Wcriicr.
CHAPITRE II. 35g
semble aux amygdaloïdes ' de Francfort-sur-
le-Mein ; sa cassure est ^néralemcot inégale
partout où elle est conchoïde ; on peut sup-
poserque le rerroidissemeotaété plus prompt,
et que la masse a été exposée à une pression
molus forte. Ces coulées ne sont pas divisées
en prismes réguliers, mais en couches très-
minces et peu régulières dans leur inclioaî-
soq; elles renferment beaucoup d'oUvines,
de petits grains de fer magnétique , et des
pyroxèues dont la couleur passe souvent du
vert poireau foncé au vert olive, et que l'on
pourroit être tenté de prendre pour du
péridot olivine cristallisé y quoiqu'il n'existe
aucun passage de l'une à l'autre de ces
substances '. L'amphibole est en général très-
rare à Ténériffe, non seulement dans les laves
Uthoïdes modmies, mais aussi dans les basaltes ,
, comme l'a observé M. Cordier, c
' fVathmartiger MaïuIeUteia de
■ Stéffêtu, Handbuch der OryttOf
Les criataox que nous
lebeD et moi, toa» U dénomi nation
{blattHgÊr Oiivin), appartiennent, (Vi
ten, au Pyroxiae Augiie.^ Journal tin
berg, 1791, p- aiS.
34© LIVRE I,
de tous les minéralogistes qui a séjourné le
plus loDg-temps aiis îles Canaries. On n'a
point encore vu au Pic de Ténériffe de la
népheline , des leucites , de l'idocrase et de la
mejonite : car une lave gris-rougeàtre , mie
nous avons trouvée sur la pente du Monte-
Verde , et ^n renferme de petits cristaux
microscopiques, me paroît être un mélange
intime de basalte et d'unalcime •- De même
la lave de Scala, avec laquelle la ville de
Naples est pavée , offre une mélange iotiuie
de basalte, de népheline et de leucite. Quant
à cette dernière substance , qui n'a encore été
observée qu'au Vésuve et dans les environs
de Rome , elle existe peut-être au Pic de
Ténériffe , dans des coulées ancienues qui
sont recouvertes par des déjections plus ré-
centes. Le Vésuve, pendant une longue suite
d'années % a aussi \ omi des laves dépourvues
' Celte substance, que Dolomieu a tlécouTcrte dans
les ain_vgdaloïdes de Catanea en Sicile, et qui accom-
pagne les stilbites de Fassa en Tvrol, forme, avec
la chabasic de Hauy, le genre cubicîte de Werncr.
M. Cordier a trouvé à TéncriiTe de la zéolithe dans
une amygdaloïde qui est superposée aux. basaltes de
la Punta de Kaga.
- l'ar cxoinple en 1760, 1794 et i8o5.
CfliPITBE II. 341
•ûe leucites ; et s'il est vrai , comme M. de Buch
l'a rendu extrêmement probable ', que ces
cristaux nese forment que dans les courans qui
sortent soit du cratère même, soit très-près
de'son bord, il ne faut pas être surpris de ne
pas en trouver dans les lares du Pic qui sont
presque toutes dues à des éruptions latérales ,
et qui , par conséquent , ont été exposées à
une énorme pression dans Tiatérieur du
volcan.
Dans la Plaine des Genêts , les laves basal-
tiques disparoissent sous des amas de cendres
et de ponces réduites en poussière. De là jus-
qu'au sommet^ de i5oo jusqu'à 1900 toises
de hauteur, te volcan ne présente que des,
laves vitreuses à base de pechslein " et d'ob-
sidienne. Ces laves , dépourvues d'amphi-
bole et de niica, sont d'un brun noirâtre
qui passe souvent au vert d'olive Ift j
obscur. Elles enchâssent de graxu
' Lecpoid
S. aai. Giiberta
du leucrtes (amphyi
Mflxiqns , n'est foi
* Peb'osilci, résioil
S43 LIVRE I.
de feldspath qni n'est pas feodillé et qui est
rarement Titreoï. L'analogie que présentent
ces masses décidément volcaniques avec les
porphvres resiniles ' de la vallée de Tribisch
en Saxe , est très-remarquable ; mais ces der-
niers , qui appartiennent à une formation de
porphyres métallilères ^ très-répandus , coh-
' Pechitein-Porphyr, Vinaer.
' On peut distinguer aujoitrd'hui quatre formatiODS
{^HiittptTtiederlagm) rie porplivres: la première est
prinutÎTe el se troure en courbes ^ubontonnées dan^
le gneiss et dios le Khiïte micacé {^Isaac de Frti-
b^rg); ta seconde alterne aïec la sveoite, elle est
plus ancienne que la Grauwaktc et appartient trai-
sembUblement déjà sus. montagnes rie transition,
Veivrgan^-Gebîrge. Elle renferme des couches rie
peclistein t;t d'obsidienne, et niéaie du. calcaire grenn,
comme nous en Tovons l'esemple près de Heiasen
en Saie: elle est très-mélaîliitre.. et se trouve au
Mexique (Guanaxu.ito, Re^la, etc.), en Tîorwège,
en Suéde et à Schemaitz en Hongrie. Le porphyre
de Nomège couvre , prés de Skeen , de la grauwaLke
et de l'anngdaloide -. il enchâsse des crislanx de
■juarts. Près de Holmesiraudt , une couche de basalte
i|ui abonde en p\roi.ëue, se trouve intercalée dans
le porpb\re de transition. La roche de Schemniti
( le Saxuni uietaliit'erusi de Ferber et de Born) qui
repose sur le tbouscbiefer;, est rièponirue de qnartx,!
CHAPITRE II. 343
tiennent souvent du quartz qui manque dans
les laves modernes. Lorsque la base des laves
du Malpap f^it transition du pechstein à
et renferme de Famphibole «t du field^tli eoMamn.
C'est cette aeconde formation de porphyre qui parott
avoir été ]e ceiUie des pins ancienneR révolntions
volcaniques. La trouième formation appartient au grè»
ancien {Tbdlet-LieggTidt), qui sert de base 'a la pierre
calcaire alpine ( Alpen-Kalk^tein ou Zecbatein); elle
renferme les amygdaloîdes agathîfères d'Oberstein
dans le Palatinat, et recouvre quelquefois (en Thu-
ringe) des cooclieB de bouillei La quatrième forma-
tion des porphyres est trapéenns , dépourvue de
quartz , et surtout en Amérique y souvent mêlée
d'olivine et -Ae pyroxène ; elle accompagne les ba-
8alteS],le3 grunstein et les phonolites (Chimborazo,
province de los Pastoe^ DrachenGels prés de Bonn,
Puy-de-Dâme). La cbsslfîcation. des porphyres pré-
sente de grandes difricu]lt:sj le granité^,
le achisle micaeé, le tbonscbiefer^ le ehl
forment une série dans UqaeUe <
Uée à. celle qui la précède. Les porphi
traire se troRVEut comme isolés dans li
lo^qne; ib iiHVent c)'.-^
non aux sii1jstaiit.'i;s îur Lr-MjUicUes
Gmgnosi. Beob. , T. 1. S^ Je). Coaniir
de cet ouvrage il €sl *:a^nLt t^uittti»»
volcaniques et u<>i' tolei
544 LIVRE r.
l'olisidienne , la couleur 'en est plus pâle et
mélangée de gris : dans ce cas, le feldspath
passe par des nuances insensibles du commun
au vilreux. Quelquefois les deux variétés se
trouvent réunies dans un niêine fragment .
comme nous l'avons aussi observe dans les
porphyres trapéens de la vallée de Mexico.
Les laves feldspathiques du Pic , beaucoup
pensable de présenter le tableau général des forma-
tions tracé par l'illustre chef de l'école de Freiberg,
d'après ses propres observations, d'après celles de
âlM. de Bueh, Esmark et l'reiesleben , et d'après
W miennes Ces grandes divisions, susceptibles de
])eaucoup de perfectionnement, sont indépendantes
de toute hypothèse snr l'origine des porphyres : il
ne s'agit ici (jue des rapports de gisement, de super-
posiliiin et d'ancienneté relalive. On peut désigner
les ijuaire formations que nous venons de décrire,
par les noms de porpli' res primitifs ( Urporphyre) ,
de porphyres de transition {^Uebergangfiporphyre),
de porphyres secondaires {^Flœzporpkyre^ et de poi'-
phjres trapéens [Trnj'por/ihyre). En confondant la
seconde et la quatrième de ces formations soits le
nom commun de iaves porphyriques, on rejette la
fciignosip dans le vague duquel elle est à peine sortie:
il vaudroit autant embrasser le gneiss, le schiste mi-
cacé et le thonscbiefer sous le nom général de roche»
feiiillelées el schisteuses.
CHAPITRE II. 54^
moins noires que celles de l'Arso dans l'île
dischia , blanchissent au bord du cratère
par l'effet des vapeurs acides ; mais leur inté-
rieur n'est aucunement décoloré comme celui
des laves fcldspathîques de la Solfatare de
Naples , qui ressemblenlrentièrement aux por-
phyres trapéens du pied du Gbimbôrazo. Au
milieu du Malpa js , à la hauteur de la cave de
glace, nous avons trouvé, parmi les laves vi-
treuses a base de pechstein et d'obsidienne , des
blocs de véritable phonolite gris-verdAlre où
vert de montagne, à cassure unie, el«éparés
en plaques minces , sonores et à bords Icès-
'aigus. Ces masses sont identiques avec les por-
phyrschiefer de la montagne de Bilin en
Bohême ; on j reconnoît de très-petits cris-
taux alongés de feldspath vitreux.
■ Cette disposition régulière des laveslithoïdes
basaltiques et des laves vitreuses feldspatbiques
\ est analogue aux phénomènes que présentent
Ltoutesles montagnes trapéenues; elle r;ippeHe
VEs phonolites reposant sor des basaltes ircs-
jicieDs, ce'" "i-'l •■■ 'utim > '^^■ m i'nes et
efeldip^iiL I . . ■ . .1 .- .;ikke
■ou d'-Tniv^.; il. . . ■ I I'- - -™|.'-ui'<]iioi
^^dijpi.
3^ ixtmm L
■e se tnMvca*<«fles tftà b âme do Tokaa ?
oa floit-oa iMmIuie de leur j^iscnieiit qu'elles
Mtctt (f DM fbmuiioD plos receale que les Laves
Ktboides ba&aliiqoies qtâreofemieat rolinne
elleprroxt-oe . Je ne sanrob admettre cette
dernière hypodiese : car deserapticHis latérales
<Mit pu couvrir le novaa feldspathiqnc à nue
époqoe ou le cratère do PitoQ avoit cessé
d'agir. Au^ esai*e aussi on n observe de petits
cristaux de feldspath vitreus que dans les
laves tres-aDcieoQes qu'offre le cirque de
la Somma. Cts laves , ans leuciles près,
rfôsembleol assez aux dejectioDs pfaoDoti-
tiques du Pic de Ténerîffe. En général, plus
on s'éloigne des volcans modernes , et plus
les coulées , tout en augmentant de niasse et
d'étendue . prennent le caractère de véritables
roches, soit dans la régularité de leur gise-
ment , soit dans leur séparation en couches
parallèles, soit enfin dans leur indépendance
de la fornie actuelle du sol.
Le Pic de Ténériffe est , après Lipari, le
*olc;in qui a produit le plus d'obsidienne.
Celte abondance est d'autant plus frappante
que , dans d'autres régions de la terre , en
Islande, en Hongrie, au Mexique et dans le
CHAPITRE H. 347
rojaume de Quito , on ne rencontre les obsi-
diennes qu'il de grandes distances des volcans
actifs ; elles sont tantôt dispersées sur les
champs en morceaux anguleux , comme prè$
de Popayan dans l'Amérique méridionale }
tantôt elles forment des rochers isolés^ comme
au Quinche près de Quito ; tantôt ^ et ce gise-
ment est très-remarquable , elles sont disse-*
minées dans la pierre perlée ( le perlsteip
de M. Esmark ) y comme à Ginapecuaro dans
la province de Méchoacan ' et au Cabo de
Gates en Espagne. Au Pic de Ténériffe , les
obsidiennes ne se trouvent pas vers la base du
volcan qui est recouverte dejaves modernes :
cette substance ne devient fréquente que vers
le sommet , surtout depuis la Plaine de Re-*
lama , où Fou peut en recueillir de superbes
échantillons. Cette position particulière , et
la circonstance que les obsidiennes du Pic
ont été lancées par un cratère qui, depuis
des siècles , n'a pas vomi de fiammes , favo-
risent l'opinion que les verres volcaniques ,
partout où on les rencontre, doivent être
comme de formation très-ancienne.
* A l'ouest de la ville de Mexico.
348 ■LtVRB I.
L'obsidienne , le jnde et la pieri'e Indique
sont trois minéraux que, de tout temps,
les peujtles qui ne connoissent pas l'usage
du bronze et du fer, ont employés pour
fabriquer des armes tranchantes. Dans les
parties tes plus éloignées du globe, le besoin
a fixé le choix sur les mêmes substances :
nous voyons des hordes nomades traîner avec
elles , diijis des courses lointaines , des pierres
dont les niiriérjloffisles n'ont pu jusqu'ici
découvrir le gisement naturel. Des haches
de jade, couvertes d'hiéroglyphes aztèques,
que j'ai rapportées du Mexique, ressemblent,
quant à leur forme et à leur nature, à celles
dont se servoient les Gaulois, et que nous
retrouvons chez les habilans des îles de
l'Océan Pacifique. Les Mexicains exploitoieut
l'obsidienne dans des mines qui occupoient
une vaste étendue de terrain : ils en faisoient
des couteaux, des lames d'épées et des rasoirs.
De même les Guanches, qui désignoient
l'obsidienne sous le nom de Tahonn , en
iîxoient des éclats au bout de leurs lances.
Ils en faisoient im commerce considérable
avec les îles voisines; et, d'après cet usage
et la quantité d'obsidiennes qu'il falloit casser
CHàpiTKE II. 34g
avant d'en tirer partie on doit croire que
ce minéral est devenu plus rare par la suite
des siècles. On est surpris de voir un peuple
atlantique remplacer ^ comme les Américains »
le fer par une lave vitrifiée. Chez l'un et
l'autre de ces peuples , cette variété de lave
étoit employée comme objet d'ornement:
les habitans de Quito faisoient de superbes
miroirs d'une obsidienne séparée en couches
parallèles.
Les obsidiennes du Pic présentent trois
variétés. Les unes forment des blocs énormes
de plusieurs toises de long et d'une forme
souvent sphéroïde : on croiroit qu'elles ont
été lancées dans un état ramolli , et qu'elles
ont subi un mouvement de rotation. Elles
contiennent beaucoup de feldspath vitreux
d'un blanc de neige et du plus bel éclat de
nacre. Ces obsidiennes sont cependant peu
translucides sur les bords ^ presque opaques^
d'un noir brunâtre, et d'une cassure qui n'est
pas parfaitement conchoïde. Elles font tran-
sition au pechstein , et on peut les regarder
comme des porphyres à base d'obsidienne.
La seconde variété se trouve en fragmen$,
beaucoup moins considérables ; elle est gêné-
55rt LITRE r.
ruleinentd'un noir verdâtre, quclqueTois d'urt
gris de fumée, très-rarement d'un noir par-
lait, comme les obsidiennes du Hecla et du
Mexique. Sa cassure est parfaitement con-
clidïde , et elle est éminemment translucide sur
les bords. Je n'y ai reconnu ni ampliibole ni
pyroxène, mais quelques petits points blancs
qui paroissent du feldspath. Toutes les obsi-
diennes du Pic sont dépourvues de ces masses
gris de perle ou Iileu de lavande, rayonné et
à pièces séparées cunéiformes, qu'enchâssent
les obsidiennes de 0"i'"» ^^ Mexique et de
Ijipari, et qui ressemblent aux lames fibreuses
des Cl isfallid's de nos verreries , sur lesquelles
Sir James Hall . le docteur Tlioropson el
M, Flcurieu de Bellevue ont public récem-
ment des observations très-cnrieuscs '-
' ISihl. BrùnTin., T. XV, p. 3'iOi T. XXVII,
1». 1*7. Edinù. Transactions. Vol. V, Pi. t, n.° 3,
Journal de Phys. , an \ 3 floréal et an iS prairial.
On 3 donoé le uoin de cristaliites aux lames cria-
tiillisi'cs qu'encliâsse le verre refi-oiiii lentement.
W. TliMnpsouet d'autres naturalistes désignent, par le
mot verre glaslcnisê , la masse lofalo d'mi verre quij
par un refroidissement lent , s'est dét'itri/iê et a pris
l'apparcnre d'une roclic on d'wi véritalile gtassteià.
CHAPITRE II. 35l
La troisième variété des ubsidiennes du
'ic est la plus remarquable de toutes à cause
ses rapports avec les ponces. Elle est aussi
n noir-verdàtre , quelquefois d'un gris de
fumée, mais ces lames très-minces alternent
avec des couches de pierre ponce. Le superbe
cabiuet de M. Thompson , à Nuples , offre des
exemples analogues de laves lilhoïdes du
Vésuve , divisées en feuillets très-distincts et
qui n'ont qu'une ligne d'épaisseur. Les fibres
des pierres ponces du Pic sont assez rare-
ment parallèles entre elles , et perpendicu-
laires aux couches de l'obsidienne; le pins sou-
Tenl elles sont irrégulières, asbestoides, sem-
lables à une écume filamenteuse de verre :
ïu beu d'être disséminées dans l'obsidienne,
comme des cristaUiles , elles se trouvent sim-
plement adhérentes à une des surfaces exlé- i
rieures de celte substance. Pendant monJ
éjour à Madrid , M. Hergen m'avoit montré-i
[e ces échantillons dans la collection t
raiogiïpe de Don José Clavijo , et i
long-temps les minéralogistes espagi
regardoient comme des preuves^ i
tables que la pierre ponce lire son i
d'une obsidienne décolorée et botfl
552 LIVRE I.
par le feu volcanique. J'ai partagé jadis cette
opinion, qu'il faut restreindre à Une seule
variété de pouces; j'ai nitnie pensé, avec
beaucoup d'autres géologisles, que les obsi-
diennes, bien luio d'èlre des laves vitrifiées,
appartenoient aux roches non volcaniques,
et que le feu, se faisant jour à travers les
basaltes, les roches vertes, les plionolites et
les porphyres à base de peschtein et d'obsi-
dienne, les laves et les pierres ponces n'étoient
que ces mêmes roches altérées par l'action
des volcans, La décoloration eL le gonflement
extraordinaire que subissent la plupart des
obsidiennes à un feu de forge, leur passage
au petiosilex résinite, et leur gisement dans
des régions très-éloignces des volcans actifs,
me paroissoient' des phénomènes très-diffi-
ciles à concilier, lorsqu'on considère les oba-
diennes comme des verres volcaniques. Une
étude plus approfondie de la nature , de nou-
veaux voyages et des observations faites sur
les produits des volcans enflammés , m'ont fait
abandonner ces idées.
11 me paroît aujourd'hui extrêmement pro-
' jinn. du Mas. d'Hht. nat., T. III, p. 3g8.
CHAPITRE II. 353
bable que les obsidiennes et les porphyres
à base d'obsidienne sont des masses vitrifiées
dont le refroidissement a été trop rapide pour
qu'elles se fussent converties en laves litboïdes.
Je regarde même le perlstein comme une
obsidienne dévitrifiée ; car , parmi les miné-
raux déposés à Berlin , au cabinet du roi de
Prusse, il se trouve des verres volcaniques
de Lipari, dans lesquels on voit des cristal-
lites striées , gris de perle et d'un aspect ter-
reux , se rapprocher graduellement d'une
lave lithoïde grenue, analogue à la pierre
perlée de Cinapecuaro au Mixique.Les bulles
alongées qu'on observe dans les obsidiennes
de tous les continens, prouvent incontesta-
blement leur ancien état de fluidité ignée;
et M. Thompson, à Païenne, possède des
échantillons de Lipari, qui sont très-instruc-
tifs sous ce rapport, parce qu'on y trouve
enveloppés des fragmens de porphyre rouge
ou dé laves porphyriques qui ne remplissent
pas entièrement les cavités de Tobsidienne.
On diroit que ces fragmens n'ont pas eu le
temps de se dissoudre en entier dans la masse
liquéfiée ; ils contiennent du feldspath vitreux
et des pyroxènes, et sont identiques avec les
I. 23
554 LIVRE I.
fameux porphyres colonnaires de l'île de
Panaria qui, siins avoir fait partie d'un cou-
rant de laves , paroissent soulevés en l'orme
(le buttes, comme tant de porphyres en Au-
vergne, aux Monts -Euganéens et dans les
Cordillères des Andes.
L'objection contre l'origine volcanique des
obsidiennes, tirée de leur prompte décolo-
ration et de leur gonflement à un feu peu
actif, perd de sa force par les expériences in-
génieuses de Sir James Hall, Ces expériences
prouvent qu'une roche qui n'est fusible qu'à
58" du pjromèlre de Wedgwood donne un
verre qui se ramollit dès le i4% et que ce
verre, refondu et dévitriBé (^glasténisé) , ne
se trouve de nouveau fusible qu'à SS" du
même pyromètre. J'ai traité au chalumeau
des ponces noires du volcan de l'île de Bour-
bon qui, au plusléger contact de la flamme,
blanchissoient et se fondoient en un émail
blanc.
Mais que les obsidiennes soient des roches
primitives sur lesquelles le feu volcanique a
exercé son action, ou des laves refondues à
plusieurs reprises dans l'mtérieur du cratère,
l'origine des ponces qu'elles enveloppent a»
CHAPITRE II. 355
Pic de Ténériffe n'en est pas moins problé-
matique. Cet objet mé(ite d'autant plus d'être
traité ici, qu'il intéresse en général la géo-
logie des volcans , et qu^un excellent miné-
ralogiste, après avoir parcouru avec fruit
l'Italie et les îles adjacentes , affirme ' qu'il
est contre toute vraisemblance que les ponces
soient dues au gonflement de l'obsidienne.
En résumant les observations que j'ai eu
occasion de faire en Europe, aux iles Cana-
ries et en Amérique , je conclus que le mot
pierre ponce ne désigne pas un fossile simple^
comme le font les dénominations de calcé-
doine ou de pjroxène, mais qu'il indique
seulement un certain état, une fofme capil-
laire fibreuse ou filandreuse sous laquelle se
présentent plusieurs substances rejetées par
les volcans. La nature de ces substances est
aussi différente que l'épaisseur, la ténacité,
la flexibilité , le parallélisme ou la direction
de leurs fibres. On peut^ par conséquent,
révoquer en doute si les ponces doivent trou-
ver place dans un système d'oryclognosie ,
• M. Fleuriau de Bellevue {Journ. de Phya., T. LX,
p. 45i et 46i).
25*
356 LIVRB I.
ou si. de même que les roches composées,
elles ne sont pas plutôt du ressort de la
géo^nosie. J'ai vu des ponces noires dans
lesquelles on reconnoît facilemeol des py-
roxènes et de l'iimphibole; elles sout moins
légères , d'une contexture huileuse , el plutôt
criblées que divisées en fibres. On seroit tenté
de croire que ces substances doivent leur ori-
gine à des laves basaltiques : je les ai obser-
vées au volcan de Piclitncha , de m6me que
dans les tufs du Pausilippe, près de Naples.
D'autres ponces , et ce sont les plus com-
munes , sont blanc-grisâtres el gris- bleuâtres,
très - fibreuses et à fibres parallèles. On j
trouve disséminés du feldspath vitreux et du
mica. C'est à ceLte classe qu'appartiennent la
plupart des pierres ponces des îles Eoliennes,
et celles que j'ai ramassées au pied du volcan
de Sotara, près de Popayan. Elles semblent
avoir été primilivement des roches grani-
tiques, comme Dolomicu ' l'a reconnu le
premier dans son vojage aux Iles de Lipari,
Piéunies en blocs énormes, elles forment quel-
Dolomieu, Voyage aux îles de Lipari, p. Gj.
H. Mi-moires uur Us lies Pances , p. 89.
CHAPITRE II. 357
quefois des montagnes entières qui sont éloi-
gnées des volcans actifs. C'est ainsi que les
obsidiennes se présentent entre Llactacunga
et Hambatô , dans le royaume de Quito , occu-
pant un terrain d'une lieue carrée , et en
Hongrie, où M. Esmarck les a examinées
avec soin. Ce gisement singulier a fait penser
au minéralogiste danois qu^ellesappartenoient
à des formations secondaires, et que le feu
volcanique a percé les couches de ponces
comme les obsidiennes et les basaltes qu'il
regarde également comme d'origine non vol-
canique. Une troisième variété de ponces est
celle à fibres fragiles , un peu épaisses , trans-
lucides sur les bords, et d'un éclat presque
vitreux qui offre le passage de la pierre ponce
granitique au verre filandreux ou capillaire.
C'est cette variété qui est adhérente aux obsi-
diennes vertes et grisâtres du Pic de Téné-
riffe, et qui semble produite par l'action du
feu sur des matières déjà vitrifiées.
Il résulte de l'ensemble de ces considéra-
tions , qu'il est aussi peu exact de regarder
toutes les ponces comme des obsidiennes
boursouflées, que d'en chercher exclusive-
ment l'origine dans des granités devenus
358 LIVRE I.
iissiies et fibreux par l'aclion du feu ou
par celle des vapeurs acides. Il se pourroil
que les obsidieunes elles-mêmes ne fussent
que des granités liquéfiés'; mais il faut dis-
tiuguer, avec Spallauzani, entre les pouces
qui naissent immédiatement des roches pri-
mitives et celles qui, n'étant que des pro-
duits volcaniques altérés , varient comme
eux dans leur composition '. Un certain état
auquel passent plusieurs substances hété-
rogènes ou le résultat d'un mode d'aclion
particulier, ne suffisent pas pour établir une
espèce dans la classification des minéraux
simples.
' On reconnoît quelqurfois , mais Irès-rarement,
(lu niÎL-a dans les obsidiennes; et Dolomicu croit aToir
trouvé non seulement le felilspalli et le mica, mais
encore (lu quartz dans les ponces granitiques, p^oyage
aax iVes Ponces, p. las; f^oyage aux lies de Lapari ,
p. 83.
■ Le mot lave est plus vngue encore que celui Jp
pierre ponce. « Il eat tout aussi peu philosophique
de (tcmaniler une description extérieure de la lavp,
comme cspfccc or jclognos tique, qu'il l'est de deman-
der les caractères généraux de la masse qui remplit
les filons. Il JLéopold de Bach , Geognost. Becb. ,
Vol. 11, p. 173.
CHAPITAB IL 359
Les expérieQces de M. Da Gamara et celles
que j'ai faites en 1802 viennent à l'appui de
Topinion que les pierres ponces adhérentes^
aux obsidiennes du Pic de TénériflPe n'y
tiennent pas accidentellement^ mais qu'elle»
sont produites par l'expansion d'un fluide
élastique qui se dégage des verres compactes.
Cette idée avoit occupé depuis long-tehtips à
Quito un homme aussi distingué par ses talens
que par son caractère , et qui , sans connoitre
les travaux des minéralogistes d'Europe ,
s'étoit livré avec sagacité à des recherches
sur les Tolcans de sa patrie. Don Juan de
Larea, un de ceux que la fureur des factions
a immolés récemment , avoit été frappé des
phénomènes qu'offrent les obsidiennes, quand
on les expose à la chaleur blanche. Il avoit
pensé que , partout où les volcans agissent au
centre d'un pays recouvert de porphyres à
base d'obsidienne^ les fluides élastiques
doivent causer un boursouflement de la
masse liquéfiée, et jouer un rôle important
V dans les tremblemens de terre qui précèdent
les éruptions. Sans partager une opinion qqi
semble hasardée , j'ai fait , avec M. de Larea ,
une site d'expériences sur le gonflement des.
36o LIVRE I.
verres volcaniques de TéncrifTe et sur ceux
qui se trouvent au Quinché , dans le royaume
de Quito. Pour juger de l'augmentation de
leur volume, nous avons mesuré des mor-
ceaux exposés à un feu de forge médiocre-
ment actif, par le moj'en du déplacement de
l'eau dans un verre cylindrique, et en enve-
lojipant la niasse devenue spongieuse d'une
couche de cire très-mince. D'après nos ex-
périences , les obsidiennes se gonflent très-
inégalement ^: celles du Pic et les variétés
noires du Cotopaxi et du Quinché aug-
mentent près de cinq fois leur volume. Le
gonflement est, au contraire, peu sensible
dans les obsidiennes des Andes, dont la cou-
leur est d'un brun tirant sur le rouge. Lors-
que la variété rougeàtre est mêlée, en lames
minces , à l'obsidienne noire ou gris-noirâtre ,
la masse striée ressemble à la thermantide
porcellanite ', et les parties opaques résistent
long-temps à l'action du feu , tandb que celles
qui sont moins riches en oxyde de fer se
décolorent et se boursouflent. Quelle est
cette substance dont le dégagement réduit
' Porzellan-Jaspis tic Werner.
CHAPITRE II. €Gl
l'odsidienne à^ Tétat d'une ponce blanche ,
tantôt fibreuse, tantôt spongieuse et à cel-
lules alongées ? Il est facile de se convaincre
qu'il se fait une véritable perte d'un prin-
cipe colorant, et que la décoloration n'est
pas purement apparente, c'est-à-dire qu'elle
nest pas due à l'extrême ténuité à laquelle
sont réduites les lames et les fibres du verre
volcanique. Peut-on adnlettre que ce principe
colorant ' est un hjdrure de carbone, ana-
logue à celui qui existe peut-être dans les silex
pjromaques si faciles à blanchir par le feu?
Quelques expériences que j'ai faites à Ber-
lin, en 1806, conjointement avec MM. Rose
et Karsten, en traitant les obsidiennes de
Ténériffe, de Quito, du Mexique et d'Hon-
grie dans des cornues de porcelaine, n'ont
pas donné des résultats satisfaisans.
La nature emploie probablement des
' n est remarquable que ce prîncîpe n'est pas tou-
jours également Tolatil. M. Gay-Lus^ac a vu récem-
ment des obsidiennes de Faroë ne pas blanchir a
un degré de cbaleur qui décoloroit tf>tilement rk5
obsidiennes du Mexique^ quoique d'après les cara^
tères extérieurs il eût été difficile de distinguer r^t
substances les unes des autres.
?i<"j4 livre I.
au pied du Pic jusqu'au bord de la mer,
tandis que les ceudres blanches, qui ne sont
que des pooces broyées et parmi lesquelles
j'ai reconnu, a la loupe, des fragmens de
feldspath vitreux et de pjroxène , occupent
exclusivement la région voisine du Pilon.
Cette disiribulion particulière paroît confir-
mer l'observation faite depuis loufr-temps au
Vésuve , que les cendres blanches sont lancées
les dernières , et qu'elles annoncent la fin de
l'éruption. A mesure que l'élasticité des va-
peurs diminue, les matières sont projetées à
ime moindre distance , et les rapilli noirs
qui sortent les premiers, lorsque la lave a
cessé de couler , doivent nécessaire ment par-
venir plus loin que les rapilli blancs. Ces der»
niers paroissent avoir subi l'aclion d'un feu
plus aclif.
Je viens d'examiner la structure extérieure
(lu Pic et la composilion de ses produits vof-
caniqnes depuis la région des côtes jusqu'à
la cime du Piton : j'ai tâché de rendre ces
recherches intéressantes, en comparant les
pliruomènes que présente le volcan de Téné-
rilie , avec ceux que l'on observe dans
d'autres régions dont le sol est également
CHAPITRE II. 365
miné par des feux souterraius. Cette manière
d'envisager la nature dans l'universalité de
ses rapports^ nuit sans doute à la rapidité
qui convient à un itinéraire ; mais j'ai pensé
que y dans une relation dont le but principal
est le progrès des connoissances physiques ,
toute autre considération devoit être subor-
donnée à celles de Tiûstruction et de Futilité.
C'est en isolant les faits que des voyageurs,
d'ailleurs estimables , ont donné naissance à
tant de fausses idées sur les prétendus con-
trastes qu'ofFre la nature en Afrique , dans
la Nouvelle-Hollande et sur le dos des Cor-
dillères. Il en est des grands phénomènes
géologiques comme de la forme des plantes
et des animaux. Les liens qui unissent ces
phénomènes, les rapports qui existent entre
les formes si diverses des êtres organisés, ne
se manifestent que lorsqu'on a l'habitude d'en-
visager le globe dans son ensemble , et que
l'on embrasse d'un même coup d'œil la com-
position des roches , les forces qui les altèrent,
et les productions du sol dans les régions les
plus éloignées.
Après avoir fait connoître les matières vol-
caniques de l'île de Ténériffe , il nous reste
7.60 LIVRE I.'
à résoudre une queslion qiii est intimemeot
liée aux recherches précédenles , et cpî ,
d.nns ces derniers temps, a beaucoup occupé
les niinér;iiogisles. L'archipel des îles Cana-
naries rcn ferment- il quelque roche de for-
tnatiou primitive ou secondaire, ou n'y ob-
serve-t-on aucune production qui ne soit
modifiée par le feu? Ce problème intéressant
a été examiné par les naturalistes de l'expé-
dition de Macarlney et par ceux qui ont
accompagné le capitaine Baudin dans son
voyage aux Terres australes. Les opinions de
ces savans dislingués se trouvent diamétra-
lement opposées ; et une contradiction de ce
genre esl d'autant plus frappante , qu'il ne
s'agit pas ici d'un de ces rêves géologiques
que l'on a coutume d'appeler des systèmes,
mais d'un fait très-positif et facile à vérifier.
Le docteur Gillan , selon le rapport de Sir
George Staunlon ', crut observer, enire la
Laguna et le port de l'Orolava , dans des
ravins très-profonds , des lits de roclies pri-
mitives. Celle assertion, quoique répétée par
beaucoup de voyageuiï qui se sont copiés les
' f'oynye de Lord Mucartney , T. I, p. i5.
CHAPITEB tl. 567
tins les autres, n'en est pa^ inoins inexacte»
Ce que M. G^an nonune , un peu vaguement »
des montagnes itoi^ile dure et^errugineuse ^
n'est qu'un terrain de transport que Ton
trouve au pied de tous les volcans. Les couches
d'argile accompagnent les basaltes , comme
les tufs accompagnent les laves modernes.
Nulle part à Ténériffe, M. Cordier et moi,
n'avons observé une roche primitive , soit en
place> soit lancée par la bouche du Pic, et
l'absence de ces roches caractérise presque
toutes les îles de peu d'étendue qui ont un
volcan actif. Nous ne savons rien de positif
sur les montagnes des îles Açores ; mais il est
certain que l'ile de la Réunion j de môme que
Ténériffe , n'offre qu'un amas de laves et de
basaltes. Aucune roche volcanique ne pnrutt
au jour, ni dans le Gros-Morne % ni dans
' Des blocs de granité, lancés proliablemnit \mr
l'ancien volcan du Gros-Môme^ se troiivffnf \tri'n «Id
la source des Troîs-RÎTif^res; et ce Lit m^'nU' tVttti^
tant plus d'attention que h^ ile« fttWtii0*Sf t'*mtitt4'n
sous le nom des Sechelle», M/iit Uirm^^M iU* rm fii'«
granitiques. Bory de HaifU^Firumnl , f^tfyttfff nuti lUm
(TJfrique, T. I, p, iié, 1\ II, p, /,r, , T III, p, i^^r,
et 246.
368 LTTRE I.
le volcan de Bourbon, ni d;ins la pyramide
colossule du Ciniandef. qui est peut-être
plus élevée que le Pic des Cuniiries.
On assure ' cependant que les laves enve-
loppant des fragmens de j^ranile ont été trou-
vées diins te plateau de Rétama. M. Brous-
Sonet m'a mandé , peu de temps avant sa
mort , que , sur une colline au-dessus de Guî-
mar , on avoït rencontré des morceaux de
schiste micacé conlenant de belles lames de
fer spéculaire. Je ne puis rien affirmer sur
l'exaclitude de celle dernière observation ,
qui seroit d'autant plus importante à vérifier
que M. Poli, àNaples, possède un fragment
de roche lancé parle Vésuve ', que j'ai reconnu
' Bory de Saiul-rincent , Exilai sur les îles Foiy
tum-es, p. 278,
' Dans le fameiis. cahinet de M. Tliompson qui a
séjourné à Kaples jiisiju'cn i8o5, on trouve un frag-
ment de lave renldrmant un véritable granité qui esl
composé de feldspath rou^eàtre et chatojant comme
l'ailul;iire , île quartz, de mica, d'amphibi.le , et, ce
qui est treB-remaripiable , de laiulite; mais en gé-
néral les masses de roches primitives connues, je
Tcu\ dire celles qui ressemblent parfaitement à nos
graniles, nos gneiss et nos schistes micacés, sout
CHAPiTRB : n. 369
pour un véritable rsçhiste micacé. Tout ce qui
nous, éclaire sur le site du feu] volcanique el
sur le gisement des roches soumises à son
action est du plus grand intérêt pour la
géologie.
n se pourroil qu'au Pic de Ténériffe/tes
fragmens de roches primitives , rejetés par
la bouche du volcan, fussent moins rares
qu'ils ne le paroissent , et se trouvassent amon-
celés dans quelque ravin qui n'auroit point
été visité par les voyageurs. En effet, au Vé-
suve y ces mêmes fragmens ne se rencontrent
que dans un seul endroit^ à la Fossa Grande,
où ils sont cachés sous une couche épaisse de
cendres. Si , depuis long-temps , ce ravin
n avoit fixé l'attention des naturalistes^ lorsque
tris-rares dans les laves: les substances que l'on dé-
signe communément sous k non» de granités lancés
par le Vésuve, sont des mélanges de népheline, de
mica et de pyroxène. Nous ignorons si ces mélanges
constituent des roches sui generis, placées sous le
granité, et par conséquent plus anciennes que lui,
ou si elles forment simplement, soit des couches iii"
terposées, soit des filons, dans l'intérieur des mon-
tagnes primitives, dont les cimes paroissent k là
iurface du globe.
I. 24
Û7O LIVRE I.
les eaux pluviales inetlent à décoovert des
masses de calcaire grenu ou d'aulres roches
priinilites, on auroil cru celles-ci aussi rares
au Vésuve qu'elles le sont , du oioiiis en appa-
rence, au Pic de ïénérifie.
Quant aux fragmens de granité, de gneiss
et de schiste iiiic;icé, qire l'on rencontre sur
les places de Sainte-Croix et de l'Orotava,
ils ne viennent pas des côtes opposées de
l'Afrique, qui sont ciricaires : ils sont pro-
bablement dus au lest dts vaisseaux. Ils n'ap-
partiennent pus plus au soi sur lequel ils
reposent que les laves feldspathiques de
r£tna, que l'on observe dans le [lavé de Ham-
bourg et d'iiutres villes du Nord. Le natu-
ralisle est ex[)(isé à mille erreurs s'il perd de
vue les cliiingemens que les communications
des peuples produisent sur la surface du
globe. On diroit que l'homme, en s'expa-
triant. veut que tout change de patrie avec
lui. Ce ne sont pas seulement des piaules, des
insectes, et diffcrenlcs espèces de petits matn-
niifi'res qui le suivent à travers l'Océan : son
active industrie couvre encore les rivages de
roclics (]u'il a arrachées au sol dans des cli-
mats luiiituius.
SU est ccftak ^ a«» ol maiMcm i».
trail a a tiasrô jas^lci à Tcftéiifle do
coodies priniliircs, w mèmtt de ces por-
]^ jres tfjpgffns et pitiblc9nBMtM|M& , mi
coDstitvent Ll luoe de fEteai* eldeplosieim
raloprtrt d*lllfig|ni et de F\raace^ di s tiu ^^ e ki
banllo des h^es ■wdenes, ic^wd» PEim cmmm»
«ne ■wHgnr de poiflàjre saraMMtlàe de iMsalte»
coloanaiiet qid sorrent, à leur tonr, de base aux
11 nV jt qœ ces dernières qui
daes mm Toleui aelod. Les Itasaltes et lés
porphyres ^ipHrtienKiit à qa sysli^e de maata^^nes
plus aatieBiies, et qui r c c onn eat une grande pnvtit
de h Skâle. Les porphjres de PEtMi sent ir«kik«
niques, sans doate^ mais toale roche qui doit su
compositioB et sa forme à Paction du feu et des va*
peorSy n'a pas ùlt partie d'un courant de lares. C« s
édaircisseinens m'ont paru d'autant plus nécessaire s
que quelques minéralogistes très-dis6ngués ont affirmé
récemment que le Pic de TénérîHe et le Vésuve
étoient des montagnes de porphyre d'origine ucptu«
nienne, et minées par les (eux souterrains. Ou u*a
pas hésité de décrire comme une roche parliculièrai
sous le nom de GraïUtein, la lave déila Sca^a, quoi-
qu'elle soit sortie du cratère k une époque très-con-
nue, en i63i; on est allé plus loin encore* on a
supposé que la Somma présentoit le noyau intact du
0J2 LIVBE I.
volcans des Andes, il ne faut pas conclure
de ce fait isolé que tout l'archipel des Cana-
ries soit le produit des feux soiis-marins.
L'île de'la Goinère renferme des montagnes
de graoite et de schiste micacé ' , el c'est sans
doule dans ces roches très -anciennes qu'il
faut chercher ici, comme sur toutes les par-
ties du globe', le centre de l'action volca-
nique. L'amphibole, tantôt pure el formant
des strates interposés, tantôt mélce au gra-
nité, comme dans le bas«nite ou basalte des
anciens, peut, à elle seule, fournir tout le
fer que contiennent les laves lithoïdes et
noires. Cette quantité ne s'élève, dans le
basahedes minéralogistes modernes, qu'à 0,20,
tandis que dans l'amphibole elle excède o,5o.
Vésuve , quoique sa masse stratifiée , et traversée
par (les tilous remplis d'une lave plus récente, soit
ïtlentique avec la roche évitlemment fondue qui con-
stitue le cratère actuel. La Somma oUre les mêmes
Icucites qui aLondent dans la plupart des laves du
Vésuve, et ces cristaux sont eucliàssts dans une pho-
nolite qui ressemble à celle de la cime du Vie de
Ténérifle.
' Noie manuicrite de M, Broussonef.
» Dohmieu, dans le Journ„dePhys., 1798, p,4l4.
Ces granités et ces schistes micacés de la
Gk>inera étoient-ik anciennement réunis à la
chaîne de FAtlas , comme les montagnes pri-
miliTes de la Corse paroisseni être le nojam
central de la Bocheta et des Apennins? Cette
question ne pourra être résolue que lorsque
des minéralogistes auront visité les îles qui
entourent le Pic et les montagnes de Maroc ,
couvertes de neiges éternelles. Quel que soit
iin jour le résultat de ces recherches, nous
ne saurions admettre , avec M. PeronS « que,
dans aucune des îles Canaries, on ne ren**
contre de vrais granités, et que, tout l'archipel
étant eKclusivement volcanique , les partisans
de l'Atlantide doivent supposer, ce qui est
également dénué de vraisemblance, ou ua
continent entièrement volcanique, bu bien
que les seules parties volcaniques du conti-
nent ont été respectées par la catastrophe qui
l'a englouti. »
Diaprés le rapport de plusieurs personnes
instruites auxquelles je me suis adressé, il j a
des formations calcaires à la^ Grande-Canarie,
* Voyage de découverieê aux Terres Australes,
Tom. I ^ p. a4.
S^î LITHE I.
à Fortaventure et à Lanrerote'. Je n'ai pa
délerminer la nature de cette roche secon-
daire ; mais il paroîl certain que l'île de Téoé-
riffe en est totaiemeut dépourvue, et qu'elle
n'offre , parmi ses terriiins d'alluvion , que des
tufs argilo-calcaires qui alternent avec des
brèches volcaniques , et qui^ selon M. Viéra',
renferment, près du village de la Rambla, à
Lis Caleras, et près de la Gandelaria, des
végétaux, des enipreinles de poissons, des
bucciiiites et d'autres corps marins fossiles.
JVI. Gordier a rapporté de ces tufs qui sont
nnalogues à ceux des environs de Naples et
de Rome, et qui contiennent des fragmens
de roseaux. Aux îles Salvagcs , que Lapéreuse
prit de loin pour un amas de scories, on
trouve même du gypse fibreux.
' A Lancerote , on calcine la pierre calcaire aTeo
le feu alimenté par l'^lfiuiaga , nouvelle espèce de
Sonclius é|iinei!x fit urhorescetit.
' Nolicias hiatoricas, Tom. I, p. 35. L'ile de
France, qu! s'élève ea pyramide, et qui, dans U
dispositiou de ses collines volcaniques, a be.iucoup
dfi i'apports avec TÉnériDc, a une plaine nuptunienne
ilitns le quartier des Pamplemousses. Le calcaire j
pst rrinpii de madrépores. Bory de Sa'mt-T^incent t
Toni, 1 , p. an^.
CHAPITRS IX. $y$
.J'avais TU y en herborisant entre le port de
]*Orotaya et le jardin de la P(«z, des amas de
pierres calcaires gri9àtres , à cassijra impar-^
£jHlement conchoïde 9 et analogues à la for-
i^ation du Jura et de l'Apennin^ On m'avpit
appris que ces pierres étoient tirées d'une car-
rière près de la Rambla» et qu'il y en ayoit
de semblables près de Realejo et à la mon*
tagne de Roxas , au -^ dessus d'Adexa* Cette
indication, probablement peu exacte, m'in-^
duisit en erreur. Gomme les côtes du Portu-
gal présentent des basaltes superposés à la
roche calcaire coquiUiëre> je pensai qu'une
même formation trapéenne> semblable à celle
du Vicenlin en Lombardie ,. et du Harudje
en Afrique, s'étendpit depuis Içs bprds du
Tage et le cap Saint- Vincent jusqu'aux îles
Canaries, et que les basaltes du Pic recou-
yroient peut-être un calcaire secondaire. J'é^
nonçai ces idées dans une lettre qui n'étoit pas
destinée à être publiée ; elles m'ont exposé à
la critique sévère d'un physicien * selon lequel
' Examen de quelques opinions géologiques de
M. de Humbolt^ par il. G. A. Deluc {Journ, de
t^hyH,, Tom. L, PL i, p. ii4). Ce mémoire, dans
lequel on reconuoit un excellent obseryateur, est la
Sy& "LITRE I. ■ '
tonte île volcanique n'est qu'une accumula-
tion de laves et de scories, et qui n'admet
aucun fait conlraire à sa théorie des volcans.
Quoique Téncriffe appartienne à un groupe
d'îles d'une étendue assez considérable, le
Pic offre cependant tous les caractères d'une
Kionlagne placée dans un îlot solitaire. Comme
à Sainte-Hélène, la sonde ne découv're pas
de fond ' dans les atlcrages de Sainte-Croix,
de l'Orotava et de Ganicbico : l'Océan , de
mèineque les conlinens, a ses monijignes et
ses plaines; et, à l'exception des Audes, les;
cônes volcaniques se forment partout dans le»
basses régions du globe.
Comme le Pic s'est élevé au milieu d'uo
continua lion tl'un Mémoire dirigé contre M, Kirwan,
qui pense que les layes du Vésuve reposent sur le
calcaire de l'Apeimin. Ibid., Tom. XLIX, p. a3.
D'après la Théorie des Volcann, exposée par M. Deluc,
il est impossible qu'une vérilable lave renferme des
débris de substances végétales. Cependant nos cabi-
uels oITrent des morcc.mï de troues de palmiers,
enveloppés et pénétrés de lu lave très-liquide de l'île
de Bourbon. Voyez ie Mémoire intéressaot de M. d»
Fleurinii, /. c. , Tom. LX, p. 44 1.
' Voyage de l'Iais, Tom. I, p. 287. Voyage rf»
Marchand, Tom. I, p. 543.
CHAPITRE n. 577
système de basaltes et de laves anciennes^ et
t|iié toute la partie qui en est visible au-dessus
de la surface des eaux présente des matières
brûlées, on a supposé que cette immense
pyramide est l'effet d'une accumulation pro«
gressive de laves, ou qu'elle renferme dans.
5on centre un noyau de roches primitives.
L'une et l'autre de ces suppositions me pa«
roissent dénuées de vraisemblance. Je pense
^e là où nous voyons aujourd'hui les cimes
du Pic, du Vésuve et de l'Etna, il a existé
tout aussi peu des. montagnes de granité , de
gneiss ou de calcaire primitif que dans la
plaine où, presque de notre temps, s'est formé
le volcan de JoruUo qui a plus que le tiers de
l'élévation du Vésuve. En examinant les cir-
constances qui ont accompagné la formation
de la nouvelle île de Tarchipel des Âçores ' ,
^ Sabrina laland. Yojes la lettre du capitaind
TiUard à Sir Joseph Banks. PhiL Trana. for i8ia,
pr. i5a. A File Salirina, près de Pile Saint-Midiel, le
cratère s'ouvrit au jpied d'un rocher solide et de formift
presque cubique. Ce rocher, terminé par un petit
plateau parfaitement uni, a plus de aoo toises de
laideur. Sa formation est antérieure à celle du cra-
tère dans lequel, peu de jours après son ouvertajPf>
S^S MIRE I.
en lisant arec soio le récit tlétaillé el naïf que
le jt'snile Botiri.'^nignon a rioiiiié de l'anmri-
tioD lente de l'ilot de la Pelite Kanieni, près
de Santorino, on reronnoit que ces Prupliuns
exlraordiiiaires sont généralement précédées
<riin soulèvement de la croule ramollie du
globe. Des roches paraissent au-dessus d^s
caiix avant que les flammes se fassent jour,
et que la la\ e puisse sortir du cratère ; il faut
distinguer entre le noyau soulevé et les amas
de laves et de scories qui, successivement, en
jiuginentent les dimensions.
Il est vrai que, dans toutes les révolutions
de ce genre, qui ont eu lieu depuis les temps
historiquesj la hauteur perpendiculaire du
la mer fit une Irruption. A Kanieni , la fumée ne fiit
m^me Tislble que vingt- six jours après l'apparitioa
des rochers soulevés. P/iil. Trans., Vol. XXVI,
p. 69 et 5O0; Vol. XXVII , p. 353. Tous ces pliéno-
ffièncs, sur lesquels M . H^inkltiB a recueilli des ob^er-
valions précieuses pendant son séjour à Santorino,
ne favurisent pas l'idée iju'un se (orme vulgairement
de l'origine des montagnes volcaniques, par une
accumulation progressive de matières liquéfiées et par
des i:i)ajn:!iemcns de laves sorties d'une boucUc cen-
lrrtl.\
CHAPITRE II. 379
iiojau pierreux ne paroit jamais avoir excédé
cent cinquante à deux cents loises , même en
faisant entrer en ligne de compte la profon-
deur de U mer dont le fond a été soulevé :
mais lorsqu'il si^agit des grands effets de la
jiature et de l'intensité de ses forces^ ce n'est
pas le volume des masses qui doit arrêter le
géologue dans ses. spéculations. Tout nous
annonce que les changemens physiques , dont
la tradition a conservé le souvenir, ne pré-
sentent qu'une foible image de <;es catas-
trophes gigantesques qui ont donné aux
montagnes leur forme actudle, redressé les
couches pierreuses 9 et enfoui des coquilles
pélagiques sur le sommet des hautes ÂlpesJ
d'est sans doute dans ces temps reculés , qui
ont précédé l'existence du genre humain ,
que la croûte soulevée du globe a produit
ces dômes de porphyres trapéens , ces buttes
de basaltes isolées sur de vastes plateaux,
ces noyaux solides qui sont revêtus des laves
modernes du Pic, de l'Etna et du Cotopaxi,
Les révolutions volcaniques se sont sucédées
après de longs intervalles'et à des époques très-
différentes. Nous «n voyons les vestiges dans
les montagnes de transition ^ daïis les terrains
5So LIVRE I.
secondaires el dans ceux d'alluvion. Les vol-
cans plus anciens que les grès et les roches
calcaires, sont éteints depuis des siècles; ceux
dont l'aclivité dure encore, ne sont généra-
lement environnés que de brèches et de tufs
modernes : mais rien n'empêche d'admeltre
que l'arcliipcl des Canaries puisse présenter
de véritables roches de formation secon-
daire, si l'on se rappelle que les feux souter-
rains s'y sont rallumés au milieu d'un système
de basaltes et de laves très-anciennes.
Ce scroit m'écarler trop lonj:^- temps de
l'objet principal de mes recherches que de
poursuivre une carrière dans hiqueile les
conjectures remplacent les faits géologiques.
De ces temps obscurs où les élémens, assu-
jélis aux mêmes lois, n'avoient pas encore
atteint leur équilibre acluel , je reviens à une
époque moins tumultueuse, plus rapprochée
de nous, et sur laquelle la traduction el l'his-
toire peuvent fournir des éclaircissemens.
Eu vain cherchons- nous dans les Périples
d'Hannon el de Scylax les premières notions
écrites sur les éruptions du Pic deXénériffe.
Ces navigateurs se traînoient liniidemeiit le
long des cotes; rentrant tous les soirs dans
CHAPITRE II. 38 i
ime bare pour y mouiller , ils n'eurent aucune
Gonnoissance d'un volcan qui est éloigné de
56 lieues du continent de rÂfiique* Cepen-
dant Hannon rapporle qu'il vit des torrens
lumineux qui sembloient se jeter à la mer;
que /toutes les nuits, la côte étoit couverte
de feux, et que la grande montagne, appelée
le Char des Dieux y a voit paru lancer àes
gerbes de flammes qui s'éle voient jusqu'aux
nues. Mais celte montagne, placée au nord de
l'île des Gorilles', formoit l'extrémité ocd-
•
dentale de la chaîne de l'Atlas; et il est en
outre très-incertain si les embrasemens aper-
çus par Hannon étoient l'effet de quelque
* Cest dans cette île que l'amiral Cartliaglnoi's
TÎtj pour la première fois, une espèce de grandi
singes anthropomorphes, les Gorilles. H les décrit
cormme des femmes à corps entièrement velu et très-
mécbarftes-, parce qu'elles se défendoient des onglet
et des dents. H se yanle d'en avoir écorcfaé tnià
ponr en consenrer les peaux. M. Goisefin plâce Pfls
des Gorilles à Fembouchure de la ririère de No
mais, d'après ce rapprochement, Fétang o& Hai
TÎt paître une multitude d'éléphans se trouTeroi^
les 35 degrés et demi de latitude, presque à Vi
mité septentrionale de l'Afrique. Reché nsr la '€
dtê Jlncùna, Tom. I, p. ji et g8. -
503 LITP.C T.
éruption volcanique, ou s'il faut les attribuer
à l'habitude qu'ont tant de peuples de mettre
le feu aux forêts et à l'herbe sèche des savanes.
De nos jours, des doutes semblables se sont
présentés à l'esprit des naturalistes qui, dans
l'expédition du contre- amiral d'Entrecas-
teaux, ont vu l'ile d'Arasterd:un couverte
d'une fumée épaisse '. Sur la côte de Caracas,
des traînées de feu rougeàtre alimenté par de
l'herbe enflammée, m'ont offert, pendant
plusieurs nuits, l'aspect trompeur d'uo cou-
rant de laves qui descendoit des montagnes et
se partageoit en plusieurs branches.
Quoique les journaux de route d'Hannon
et de Sc^lax, dans l'état où ils nous sont
parvenus, ne renferment aucun passage que
l'on puisse raisonnablement appliquer aux îles
Canaries, il est pourtant Ires-probable que les
Carthaginois et même les Phéniciens ont eu
connoissance ' du Pic deTénériffe. Du temps
' F'ojagede Laliilitirdrère,'Tota.J,p. Wi.Wojag»
de d' Entrecasteaux , Tom. I, p. 45,
' Yoyez une iiotice cie M. Ideler, insérée dam
mes Tableaux de la Nature, Tom. I, p. i4l, et
Goasetia, Reck. , Tom. I, p. iS.^-iSg, Un des saTans
lei plus illusUes de l'-Uiemague, M. Heereo, fcasfl
CHAPITRE II. 383
de Platon et d'Aristote , des notions vagues
en étoieni parrennes aux Grecs , qui regar-
doient toute la côte d'Afrique j située au delà
des c<rfonnes d'Hercule » éomme bouleversée
par le feu des volcans ^ Le site des Bienheu-^
renx , qu'on avoit cherché d^abord dans le
Nord, au delà des Monts Riphées», chez les H j-
perboréens *, et puis au sud de la C/rénaïque ,
que les Iles Fortunées de Diodore de Sicile ^ont
Madère et Porto Santo, Afriha, Tom. 1, p. j24.
(Make^Brun, HUt, de la Géogr., p. 76, 90 et 194.)
* Ariêt, Mtrab, Auscultai, {ed, Casaub,), p. 7o4.
Soliii cKt de l'Atlas , pertex semper nwnlia lucet noo-
tumU ignibus; mais cet Atlas qui, semblable à la
nwntagne Merti des Hindoux, oIYre un mélange
é*iâéeê posîtireset de fictions mythologiques, n'étoit
pas situé sur une des iles Hespérides, comme l'ad-
mettent l'abbé Viéra, et après lui plusieurs voyageurs
qni ont décrit le Pic de Ténériffe {Plera, Tom. F,
p. 72S ; Bory de Saint-Vincent, p. 395). Les passages
tomas ne hnssent aucun doute à cet égtipd. BBmmdm,
IV, 194; Strabo, XYll (ed. Faleông^^ l^m, Ui
p. 1167)) Âfela, m, 10; Plinê,Y,i'y Satim^y^
et même Diod. Sicul., lil {ed. fFe^êel. Tom. I^pi
* Mannert, Geogr. der Oriechen, Tom. JV
L'idée dn bonheur, de la grande drilyatio
la richesse des hahitans du Nord étoit comoM
jBrecs, aux peuples definde et aux Bfexiaubl
38i LIVRE I.
fut placé dans des terres qu'on se figiiroît
vers l'ouest, là où finissoit le monde connu
des anciens. Le nom d'îlesFortunées eut long-
temps une significalion aussi vague que celui
du Dorado chez les premiers conquérans de
l'Amérique. On se liguroit le bonheur à l'ex-
trémité de la terre , comme on cherche les
jouissances les plus vives de i'esprït dans
un monde idéal au delà des limites de la
réalité.
Il ne fau t point être surpris qu'avant Arîstote
on ne trouve chez les géographes grecs aucune
notion exacte sur les îles Canaries et les volcans
qu'elles renferment. Le seul peuple dont les
navigations se soient étendues vers l'ouest et
le nord, les Carthaginois , avoit de l'intérêt
à jeter un voile mystérieux sur ces rcgioDS
lointaines. Le sénat de Carthage s'opposanl à
toute émigration partielle , désigna ces îles
comme un Heu de refuge dans des temps de
troubles et de malheurs publics : elles dévoient
être pour les Carthaginois ce que le sol hbre
de l'Amérique est devenu pour les Européens,
au milieu de leurs discordes civiles et reli-
gieuses.
Les Canaries n'ont été mieux connue^
CHAPITRE II. 385
des Romains que quatre-vingts ans avant le
régne d'Octavien. Un simple particulier vou-
lut exécuter le projet qu'une sage prévoyance
avoit dicté au sénat de Carthage. Sertorius ,
vaincu par Sylla, fatigué du tumulte des
armes , cherche un asyle sûr et paisible. Il
choisit les iies Fortunées^ dont on lui triace un
tableau attrayant sur les côtes de la Bétique.
n réunit avec soin les notions qu'il peut acqué-
rir par les voyageurs ; mais dans le peu qui
nous a été transmis de ces notions et des des-
criptions plus détaillées de Sebosuset de Juba^
il n'est jamais question de volcans et d'érup-
tions Volcaniques. A peine y reconnoit-on
nie de Ténériffe et les neiges dont le sommet
du Pic est revêtu en hiver , dans le nom de
Nivaria donné à Tune des iles Fortunées. On
pourroit conclure de là, que le volcan ne
lançoit pas de flammes à cette époque, s'il
étoit permis d'interpréter le silence de quel-
ques auteurs que nous ne connoissons que
par de simples fragmens ou par d'aridet
nomenclatures. Le physicien cherche en vain
dans l'histoire les documens des première!
éruptions du Pic; il n'en trouve nulle part' que
dans la langue des Guanches> danslàqaeUe
386 LIVKE I.
le mot echeyde dtsîgnoit à la fois Venfer
et le volcan de Ténériffe '.
De tous les témoignages écrits, le plus
ancien que j'aie trouvé de l'activité de ce
volcan date du comme n cément du seizième
siècle. Il est contenu dans la relation du
TO^age ' d'AIoysio Cadamusto, qui aborda
' La niènie montagne porta le nom à'^yn~dyrma,
«ians lequel Hom (lAr Origînib. Americ, \i. i55 et
i85) croit reconnoilre l'ancienne dé uomi nation de
l'Allas, qui, d'après Strnboa, Pline et Solin, étoil
Dyn.\. Cette éI)niologic est assez douteuse; mnîa, en
n'accordant pas plus d'importance auXToyelles qu'elle»
n'eu ont chez le8 ])euiiles de l'Orïeul, on retroiiïe
presque en entier Dyis dans le mol Haran , par
lequel les géograplies arabes désignent lu partie orien-
tale du Mont-Âtlai.
' Bec silendiim puto de însula Teneriflàe qnx el
e\iniie colitur et iuter orbis insulas est eminenlior.
Kam ea'lo sereno euiinus conspicitur, adeo ut qui
abstint iib ea ad leucas bispanas sexagiuta vel septus'
ginta, non diDîeulter eam intueantur. <Jood cemalur
a longe id elTicit acuminatus bqiis adamautinus, instar
pyramidis in mejio. Qui metiti sunt lapidem aîunt
aliiluiHne leiicariim quindecïm nieiisuram e&cedere
ab imii ad suiuiuum Terticeni. Is lapi$ jugitcr flagr^t,
instar jËtna; uioulisj id afiLrmaat nostri Cbristiani qui
CHAPITRE II. 387
aux Canaries en i5o5. Ce vojageur «e fut
témoin d'aucune éruption ; mais il affîrme
positivement que^ sei»blable à l'Et^^ , cette
montagne brule sans injterruptiqq , et que le
feu en u été aperçu par des GI^*étiens retenus
comme esclaves par les Guanches 4e Téné-
riffe. Le Pic n'étoit donc point alors d^ns
cet état de repos dans lequel nous l.e vojons
aujourd'hui: car il est certain qu'aiicpq payir
gateur et aucun habitant dje TénériiQEe n'pn|;
vu sortir de la bouche du Pie, je ne dirai pas
des flammes , mais seulement une fuiQée qui
fût visible de loin. Peut-rêtre seroîl-il à désirer
que le soupirail de la CqMera s'ojjvrit de
nouveau ; les éruptions latérales eifi sçroient
moins violentes , et tout le groupe d'il^^auroit
moins à craindre les effets des trembleinen^
de terre '•
cupii alîqaando haec jan.imadyertera. Aloyw Cadcb^
inusH Navigatio ad terras ificognita, c. 8.
' A TénérilTe, les secousses ont été jusqu'ici pea
considérables y et de plus limitées à de petites éten-
dues de terrain. On observe la même cbose à Pile de
Bourbon, et presque partout $lu pied des volcao^
actifs. A Naples, les tremblemens de terre précisent
les éruptions du Yésuye^ ils cessent lorsque la lart
\
588 LITBE I.
J'ai entendn , a l'OroIava, agiter la question
lie savoir si l'on peut admettre tjue , par la suite
des siècles, le cratère du Pic recommencera
à agir. Dans une matière aussi douteuse,
l'analogie seule peut servir de guide. Or,
d'après le rapport de Braccini , l'intérieur du
cratère du Vésuve ctoit couvert d'arbustes
en 161 1. Tout y annonçoit la plus grande
tranquillité ;et cependant, vingt années après,
le même gouffre, qui paroissoit se transfor-
mer en un vallon ombragé , lançoit des gerbes
de feu et une énorme quantité de cendres.
Le Vésuve redevint aussi actif en i65i qu'il
l'avoît été en 1 5oo. 11 seroil possible de même
que le cratère du Pic cliaiigeàt de face un
jour. C'est une solfatare semblable à la solfii-
tare paisible de Pouzzole ; mais elle est placée
à la cime d'un volcan encore actif.
Les éruptions du Pic ont été très-rares
depuis deux siècles, et ces longues intermit-
tences pa missent caractériser les volcans
extrêmement élevés. Le plus petit de tous,
s'est r.iit iour, et ils sont en général très-foiblës en
comparaison de ceux que l'on éprouve sur la penlc
des Âpeuumâ calcaires.
^^ CHAPITRE II. %'V
montagne sort de terre ; il se forme un cr.itëre <|
à la cinie^ qui vomit un courant de lavetJ
de cent toises de largeur , et de plus de J
s5oo toises de longueur. La Inte se jctie à la J
mer; et, en élevant la tempéniture de l'eau , i
elle f;iil périr tes poissons ■ à de grandes di$-,l
tancée à l'eutour. m
Anivée 1646. ■
Le lù novembre, une bouche s'ouvTe dansl
ri'ile de Palmn , près de Tij^alale. Deux autres I
se forment au rivage de la mer. Les laves qui I
sortent de ces crevasses font tarir la fameuse I
source de Foucalientc ou Fucnle Santa,!
dont les eaux minérales alliroicnt les maladet I
qui s'y rendoienl même de l'Europe. Selon 1
une tradition populaire, l'éruption cessa d'une |
manière assez étrange. L'image de Notre-I
Dame-des-Neiges de Sainte-Croix fut portée
à l'ouverture du nouveau volcan , et soudain
it tomba une si énorme quantité de neige ,
' Ce même phéaomrne a eu lieu, en 1811
Ad Âçores, lurstjue le volcan de Sabrina s'ouvrit!
dons ip fond Ac l'Océan, Le squelette calciné d'uttfl
rcjuiii Tut trouvé dans le cratcre inottdû et éteiiit.f
3gS LITRE I.
que le feu en fut éteint. Dans les Andes de
Quito , les Indiens croient avoir observé que
l'abondance des eaux de neige infiltrées aug-^
naeote l'aclivité des volcans.
AiTwÉE 1677,
Troisième éruption à l'île de Palma. La
montagne de las Cabras jette des scories et des
tendies par une multitude de petites bouches
f|ui se forment successivemeqt.,
Aknée 1704.
Le 5i décembre. Le Pic de Ténéri ffèÎAW
une éruption latérale dans la plaine de loa
Infantes, au-dessus d'Icore, dans le district,
de Guimar. D'épouvantables tremblenieiis de
terre ont précédé cette éruption. Le 5 jan-
vier 1705 , une seconde bouche s'ouvre dans,
le ravin d'AImerchiga , à une lieue d'Icore^
Les laves sont si abondantes que toute le vallée
de Fasnia ou d'Areza en est comblée. Cette
seconde bouche cesse de vomir le i3 janvier.
Une troisième se forme , le 2 février , dans la
Canada de Arafo. Les laves divisées en troii
tourans menacent le villajje de Guimar, mai*
elles sont retenues duns Ui vallée de Melusac
CHAPITRE II. Sg?
par une arrête de rochers qui leur oppose un .
obstacle invincible. Pendant ces éruptions, la.
villed'OrotaYa, séparée des nouvelles bouches
par une digue très-étroite , ressent de fortes
secousses.
Année 1706L
•
Le 5 mai. Autre éruption latérale du Pîc
de Ténériffe. La bouche s'ouvre au sud du
port de Garachîco qui étoît alors le port le
plus beau et le plus fréquenté de TilcLa ville ^
populeuse et opulente , étoit bâtie au bord
d'une forêt de lauriers, dans un site très-pit-
toresque. Deux courans de laves la détrui-
sirent en peu d'heures : aucun édifice ne resta
sur pied. Le port, qui avoit déjà souffert en
1645 parles attçrrissemens qu'avoit causés une
grande inondation , fut comblé au point que
les laves accumulées formèrent un promon-
toire au milieu de son enceinte. Partout, dans
les environs de Garachico , la surface du ter-
rain changea d'aspect. Des monticules s'éle-
vèrent dans la plaine ; les sources disparurent,
et des rochers, ébranlés par de fréquens trem^
blemens de terre , restèrent nus , sans végé-
tation et sans terreau. Les pêcheurs seub ean-
5g4 LIVhE r.
servèrent l'amour (lu site natal. Courageux,
comme les (labitans de Torre del Grèce, Uï
reconstruisîreQt un petit village sur des amas
de scories et sur le roc vitrifié.
■ Année lySo.
Le i.e''seplemhre. Une révolution des plus
cITrajantes loiileverse la moulée de l'île de
Lancerote. Un rtouveaii volcan se forme à
Teraanfuya, Les laies qui en découlent et
les Ireniblemeus de terre qui accom patinent
l'éruplion , détruisent un grand nombre de
villages, pjirnii lesquels se trouvent les trois
anciennes bourgades guanches de Tingafa,
Macinliile et Gualisca. Les secousses durent
jusqu'en 1756, cl les habitaus de L<incerote
se sauvenl en grande partie à l'île de Fuer-
taventura. Pendant cette éruplion , doni nous
avons déjà pailé dans le chapitre précédent,
on voit sortir de la nier une colonne de fumée
épaisse. Des rocliers pyramidaux s'élèvent au-
dessus de la siirlace des eaux , et , en s'agran-
(lissant, ces nouveaux écucils se réuaisseat
peu à peu à I ile même.
AtiKGii 1798,
Le 9 juin. Éruption latérale du Pic de TV-
CHinnE IL ^i
nériffe, par le flanc de h ■wtigt dtCkë-
horra ou Veoge % daw un Kett eabèreaKaiÉ
ioGulte , «Q sud dlcod, pns da viibge de
Guia, TaDcieiibon. Cette moolagiie , ados-
sée au Pic, a été de tout tempifCjgardée cKwane
un Tolcan éteint. Quoique formée de sialirrcs
solides , elle est , par rapport mi Vie, oeqoe
le MoDte-RosBo âe^é en 1661 , on la Bodie
nuove ouvertes en 1794 , aoni k YEêmkê et an
VésDte. L'émption de Ckaliom dnra froii
tnois et nx )oars. Les lares et les scories
forent lancées par quatre boncbes placées sur
une même ligne. La bve ainoncdée k txim
ou quatre toises de hanteor s'avança de trots
pieds par heure. Cette éruption n'ayant pré-
cédé que d'un an mon arrirée à Ténérifle ,
l*impression en étoit encore tres-vive parmi
les habitans. Je vis chez M. Le Gros^ au
Durasno , un desun des bouches de Cbahorra,
qu'il avoit fait sur les lieux. Don Bernardo
Cologan avoit visité ces 1>ouches huit jours
après leur ouverture , et il avoit décrit les prin-
' La pente de la montagne de Venge, sur laquelle
se fit Péruptien, s'appeHe Chazafane. Vojez NétoUi^
SegUndo de Franqui dans CavanUleê y Hergen ,
Anaks de historia natural, T. I> p. a^H.
3f)6 LIVRE I.
cipaux phénomènes de cette éruption dans
un mémoire dont il me remit une copie pour
l'insérer dans la Relation de mon voyage.
Treize années se sont écoulées depuis celte
époque; etM.Bory de Saint-Vincent m'ayant
devancé dans la publication de ce mémoire,
je renvoie le lecteur à son intéressant 2issni
sur/esî/es Fortunées ', Il ne me reste ici qu'à
donner quelques éclaircissemens sur la liau-
leur à laquelle des frag'mens de roches très-
considérables furent projetés par les bouches
de Chahorra. M. Cologan ' compta 12 à i5
' Bory de Sainl-J^'inaent , f. ai)6.
• " Trois de ces pierres , dit M. Bory , demeit-
rèrenl douze à quinze secondes pour s'élever iusqu'à
[icrtc de vue et pour retomber à terre. » Si telle
étoit l'observution de M, Cologan, le résultât du
calcul seroit différent de celui que )"ai donné. Mais
l'observateur dit tout exprès, dans le manuscrit que
je conserve : « De noehe se observô con relox ea
mano y a muy corta dislancia de la tercera bocca del
volcan de Chahorra cl tlempo que desde su mas alto
punto de elevaciou hasta perderlas de visla en SU
oaida, gastahan las picdras mas faciles de distinguir
y de très conque se hizo la experiencia, dos cayeron
en dicE segiindos cada una y la olra eu quinze, u
M- Cologart observe que la durée de la chute étoit
CHAPITRE tî. jitg^
iseèoncles pendant la chute de ces pierres >
c'est-à-dire en commençant à compter da
moment où elles avoîent atteint le maximum
de leur hauteur^ Cette expérience curieuse
prouve que la bouche lança des roches à plus
de trois mille pieds de hauteur*
Toutes les éruptions marquées dans ce
résumé chronologique appartiennent aux trois
âes de Palma , de TénériSe et de Lancerote '•
n est probable qu'avant le seizième siècle ,
les autres îles ont aussi éprouvé les effets
du feu volcanique. On m'a donné quelques
notions vagues d'un volcan éteint qui est situé
dans le centre de l'ile de Fer , et d'un autre
dans la Gran Ganaria, près d'Arguineguin.
Mais il seroit curieux de savoir sî l'on trouve
les traces de feux souterrains dans les forma*
lions calcaires de Fuertaventure ou dans les
même un peu au delà de quinze secondes^ parce qu'il
ne put suivre les pierres jusqu'à leur contact avec la
terre. Ce genre d'observation est susceptible d^une
grande exactitude, comme je m'en suis assuré dans
des expériences analogues que j'ai faites pendant
l'éruption du Vésuve en i8o5.
• Fiera, NoUcias, Tom. II, p. 4o4j Tom. 111/
p. i5i, a38; 35a^ 356 et âi6.
oifO tnsE I.
granités et les scliistes micacés de la Gi>
mère.
L'action purement latérale <Iii Pîc de Téaé-
ri0e est un phénomène géologique d'autant
plus remarquable qu'elle contribue à iaire
paroître isolées les montagnes qui sont ados-
sées au volcan principal. Il est vrai que, dans
l'Etna et le Vésuve, les grandes coulées de
laves ne viennent pas non plus du cratère
même, et que l'iibondance des matières fon-
dues est généralement en raison inverse de
la hauteur à laquelle se fait la crevasse qui
vomil les laves. Mais, au Vésuve et àTËtoa,
une éruption latérale fmit constamment paï
un jet de flammes et de cendres qui se fait par
le cratère, c'est-à-ilire par le sommet même
de la montagne. Au Pic de Ténériffe, ce phé-
nomène ne s'est point manifesté depuis des
siècles. Encore récemment dans l'éruption de
i-()8,onavu le cratère dans la plus grands
inaction. Son fond ne s'est point abaissé, tan- •
dis qu'au Vésuve, comme l'observe ingénieu-
sement M. de Buch , la profondeur plus ou
moins considérable du cratère est un.indice
presqueînfaillibledc la proximité d'une nou-
velle éruption.
chapithis ir. 399
Je pourrois terminer ces aperçus §^éolo-*
giques en discutant quel est le combustible
qui entretient > depuis des akiUiars d'années ,
le feu dn Pic de Téoéri^ ; je pourrois exa-
miner si ce sont le Sodium et le Potassium ,
ou les bases métalliques des terres , ou des
carbures d'hydrogène , ou le soufra pur et
combiné avec le fer qui brûlent dans le vol-
can ; mais voulant me borner à ce qui pei^t
être l'objet d'une observation directe 9 je ne
me hasarderai pas à résoudre un problème
sur lequel nous manquons encore de données
suffisantes* Nous ignorons s'il faut conclure
de l'énorme quantité de soufre que contient
le cratère du Pic » que c'est cette substance
qui entretient la chaleur du volcan ^ ou si le
feu, alimenté par un combustible d'upe natiire
inconnue , opère simpleo^ent )a svib)im9tipa
du soufre* Ce que l'pbservatioa nous démon^
. tre f c'est que dans les cratères encore acUËf^
le soufre est trèsHrare , tandis que les volcans
anciens finissent tous par être de véritables
soufrières. On diroit que dans les premierf
le soufre se combine avec l'oxjgène , tandis
qu^ dans les autres il est purement sublimé ;
car vm ne uqw ^y^p^se jusqu ici à 9l^m»fl9
4od LivhE i.
qu'il se forme dans l'intérieur des volcaos
comme l'ammoniac et les sels neutres. Lors-
qu'on ne connoissoit encore le soufre que
flisséminé dans le j^jpse muriatifère et dans
la pierre calcaire alpine , l'on étoit presque
forcé de supposer que dans toutes les parties
du globe le feu volcanique agissoit sur des
roches de formation secondaire ; mais des
observations récentes ont prouvé que le soufre
existe abondamment dans ces mêmes roches
primitives que tant de phénomènes désignent
comme le centre de l'action volcanique. Près
d'Alausi, sur le dos des Andes de Quito,
j'en ai trouvé une immense quantité dans
une couche de quartz interposée à des couches
de schiste micacé ' , et ce fait est d'autant
' Il faut distinguer eu géognosîe sept fonmationa
Ae soufre, qui sont d'une ancienneté relaliTe trcs-
diEFérente. La première appartient iu scliiste micacé
(Cordillères de Quito) ; la seconde, au gjpse de tran-
sition (Bex en Suisse); la troisième, aus porphyres
trapéens ( Antisana en Amérique , Montserrat dans
l'arcliipel des petites Antilles, Mont-d'Or en France);
la quatrième, à la pierre calcaire alpine (Sicile); U
cinquième, au gjpsc muriatifère, placé entre le grès
et le calcaire alpin (Thuringe) ; la sixième , au gypse
qui est plus rccent que la craie (Moatmartre, pr»
CHAPITRE II. 40l
plus important qu'il se lie très-biea à Tobser-
vation de ces fragmeus de roches anciennes
qui sont rejetés intacts par les volcans.
Nous venons de considérer Tîle de Téné-
rifie sous des rapports purement géologiques;
nous avons vu s'élever le Pic au milieu des
couches fracturées de basalte et d'amjgda-
loïde : examinons maintenant comment ces
masses fondues se sont revêtues peu à peu
d'une enveloppe végétale, quelle est la distri-
bution des plantes sur la pente rapide da
volcan , quel est l'aspect ou la physionomie
de la véc^étation dans les îles Canaries.
Dans la partie septentrionale de la zone
tempérée, ce sont les plantes cryptogames
qui couvrent les premières la croûte pier-
reuse du globe. Aux lichens et aux mousses
qui développent leur feuillage sous la neige,
succèdent les graminées et d'autres plantes
Paris); et la septiëme, aux terrains d'alluvion argi-
leux (Venezuela, Bas-Orénoque , Mexique). Il est
presque inutile de faire remarquer ici que , dans cette
énumération , il n'est point question de ces petites
masses de soufre qui ne sont pas contenues dans des
touches , mais dans les filons qui trayersent des roches
de diverses formations.
I. 36
I
4o3 llTHE I.
phanérogames. Il n'en est point ainsi sur les
bords de la zone torride et dans les pajs ren-
fermés entre Ii-S tropiques. On y trouve, il
est vrai, quoi qu'en aient dil quelques voya-
geurs, non seirleinent sur les montagTies,
mais aussi d;iirs les endtoiis humides et om-
bragés, presque au niveau de la mer, des
Funaria, des Dicranum et des Br-jum; ces
genres, parmi leurs espèces nombreuses, en
offrent plusieurs qui sont communes à la
Lapponie, au Pic de Ténérilfe et aux nion-«
lagnes bleues de la Jamaïque' : cependant,
en général , ce n'est pas par les mousses et les
lichens que comuieiice la végétation dans les
contrées voisines des deux tropiques. Aux îles
Canaries, comme en Guinée et sur les côtes
rocheuses du Pérou, les premières plantes
qui préparent le terreau, sont les plautes
' Ce fait eitraordinairc, sur lequel nous reTÎen-
drons jiar la suite, a éié obseivé il'abor J par M, Swari,
11 s'est trouvé confirmé par l'esamen soigneux que
M- Willileoow a fait de nos lieibiers, suitout de la
collectiou de plantes cryptogames que nous avoiis
recueillies sur le dos des Andes, dans une rijgion du
inonde où d'ailleurs les êtres organisi's différent to-
talemeai de ceu& de l'ancien continent.
CHAPITRE II. 4^3
grasses ; dont les feuilles munies d'une infinité
d'orifices ' et de vaisseaux cutanés enlèvent à
Fair ambiant Tean qu'il tient en dissolution.
Fixées dans les fentes des rochers volcaniques,
elles forment pour ainsi dire cette première
couche végétale dont se revéfônt les Cïoiiléei
de laves lithoïdes. Partout où ces laves soni
scorifiées et où elles ont une surface lustrée
comme dans les buttés basaltiques pincées aii
nord de Lancerote , lé développement de \i
végétation est d'une' lenteur extrême, et plu-
sieurs siècles suffisent à peine poUr y faire
naître des arbustes. C*est seuletiieni lorsque
les laves sont couvertes de tufs et de cendres ,
que les îles volcaniques perdent cette appa-
rence de nudité qui les caractérise dans leur
origine, et qu'elles se parent d'une riche et
brillante végétation.
Dans son état actuel, l'île de Ténériffe, h
Chinerfe * des Guanches, offre cinq zones de
plantés % <Jue l'on peut distitigiiér par les
* Les pores corticaux àe M. De Gandollé, décou-
verts par Gleîcben et figurés par Hedwig.
* De Chinerfe, les Européens ont fait , pir corrup-
lion, Tihineriffe et Ténériffe.
3 J'ai tracé en partie ce tableau de la végâation des
»6*
4o4 tITRB I^
noms de Région des Vifjnes , Réjfion des Lau-
riers, Réjjion des Pins, lîé^ion du Retaraa
et Rt'gîon des Graminées. Ces zones sont
placées, comme par élages, les unes au-
dessus des .lutres, et elles occupenl, sur la
pente rapide du Pic , une hauteur perpendi-
cnlaire de^ 1700 toises; tandis que, quinze
degrés plus au nord, dans les Pyrénées, les
neiges descendent déjà jusqu'à treize uu qua-
torze cents toises d'éliivalioii absolue. Si les
plantes , à Ténériffe , n'atteignent pas le som-
met du volcan, ce n'est point parce que des
glaces éteroelles ' et le froid de l'atmosphère
Canaries, d'après des notes manuscrites de M. Brous-
sonet. Lorsque je puliliai mon premier Eisai tur
la géographie des plantes équinoxiaUs du nouveau
confinent, je priai ce célèbre naturaliste, (]iiî a¥oit
résidé long-temps àMoguclordans l'empire de Maroc
et à Sainte-Croix de TéucriHe, de me commuoii^uer
ses idées sur la distribution giîograpblque des végé-
taux dans ces contrées. Jl céda à ma prière avec
cette prévenance et cette amabilité qu'il a constam-
ment déployées dans ses relations avec les savans
étrangers.
' Quoique le Pic de TénérilTe ne se couvre de
neiges que pendant les mois d'hiver, il se pourroit
C£pendont que le volcau atteignit la limite des neiges
ambiant leur posent des limites qu'elles ne
peuvent franchir: ce sont les laves scorifié es
du Malpajs et les ponces broyées et arides
perpétuelles , qui correspond à sa latitude ^ et que
l'absence totale des neiges en été ne fût dne qu'à
la position isolée de la montagne au milieu des mers,
à la fréquence de vents ascendans trës-chauds, ou
à la température élevée des cendrés du Piton. Il
est impossible de lever ces doutes dans l'état actuel
de nos connoîssances. Depuis le parallèle des mon*
tagnes du Mexique jusqu'à celui des Pyrénées et des
Alpes ^ entre les ao** et les 45^^ la courbe des neiges
perpétuelles n'a été déterminée par aucune mesure
directe; et, une infinité de ces courbes pouvant être
tracées par le petit nombre de points qui nous sont
connus sous les o*, ao**, 45^ > ^2** et 71* de lati-
tude boréale, le calcul supplée trës-imparfaitement
à l'observation. Sans avancer rien de très -positif, on
peut dire qu'il est probable que, par les 28" 17', la
limite des neiges se trouve au-dessus de 1900 toises.
Depuis Téquateur , où les neiges commencent à 246o
toises , c''est-à-dire à peu près à la bauteur du Mont-
Blanc, jusqu'aux 20^ de latitude, par conséquent
jusqu'aux limites de la zone torride, les neiges ne
descendent que de cent toises : or , doit-on admettre
que, buît degrés plus loin, et dans un climat qui porte
presque encore tout le caractère d'un climat des
tropiques, cet abaissement soit déjà de quatre cents
^,o6 LIVRE I.
du Pilon qui empêchent la migration des
véf^étaux vers les bords du cralcre.
hixpremicre zone, celle des Vig;iies, s'étend
toises? El» supposant m^me un nb.-iUsement en pro-
gression aritlimtlKjue depuis les ao aux. ■'i5 degré»
dt^ lalitudc, supposition qui est contraire an\ fails
oljscrïés (^Rec. d'Obs. atilrnn.. Vol. I, p. i3i), les
ncipcs perpétuelles ne commenceroienl sous le pa-
riiUèle (lu Pic qu'à anSo toisi^s de hauteur au-dessus.
du niveau de l'Océan, par conséquent 55o toises
plus haut qu'aux Pyrénées et en Suisse. D'antres
considérations viennent à l'appui de ce résultat. La
températuie moyenne de la couche d'air, avec la-
quelle les neiges sont eu conUct pendant l'été, est,
ans Alpes, de quelques degré? au-dessous, et, sons
l'équateur, de quelques degrés au-dessus du point Je
la congélation {/., c.,p. iS?). Enadmettant que, sous
les 28 degrés cl demi, celte température soit léro,
im trouve, d'après la loi du décroissement du calo-
rique, en comptant 98 toises par degré centésimal,
que les neiges doivent se conserver à ao58 toïses de
hauteur au-dessus d'une plaine dont la température
moyenne est de ai degrés, et par conséquent égale
a celle des côtes de Ténériiie. Ce noiultrc est presque
identique avec celui que donne la supposition d'un
itbaissement en progression arithmétique. Une deg
hautes einifs de la Sierra Nevada de Grenade, le Pica
de Vcleta , dont la hauteur absolue est de 1 781 toises^
(
CHAPITRE ir. 407
depuis le rivage de la mer jusqu'à deux ou
trois cents toises de hauteur : c'est celle qui
est la plus habitée y et la seule où le sol soit
est perpétuellement couvert de neiges; raais^ la limite
inférieure de ces neiges n'ayant pas été mesurée ^
cette montagne, placée sous les Zj^ 10' de latitude^
ne nous apprend rien sur le problème que nous tâ«r
chons de résoudre. Quant à la position du Yolcan de
Ténériffe, au centre d'une île de peu détendue, il
ne paroit pas que cette circonstance puisse causer
un relèvement de la courbe des neiges perpétuelles.
Si, dans les îles, les hivers sont moins rigoureux,
les étés y sont moins chauds, et ce n'est pas autant
de la température moyenne de l'année entière que
de celle des mois d'été que dépend la hauteur des
neiges. A l'Etna, les neiges commencent déjà à i5oo
toises et même un peu au-dessous , ce qui est assez
extraordinaire pour une cime placée sous le3 3/ de-
grés et demi de latitude. Vers le cercle polaire, ou
les ardeurs de l'été sont diminuées par les brumes
qui s'élèvent constamment au-dessus de l'Océan, la
différence entre les îles, ou les cotes et l'intérieur du
pays, devient extrêmement sensible. En Islande, par
exemple, sur l'Osterjôckull, sous les ^^^ de lati-
tude, les neiges perpétuelles descendent à 482^ toises
de hauteur, tandis qu'en Norwège, par les 67* loin
des côtes, dans des sites où les hivers sont beaucoup
plus rigoureux et où par conséquent la température
é^oÊ LlVnE I.
cultivé avec soin. Dans ces basses régions;
au port de i'Orotava et partout où les vents
ont un accès libre, le thermomètre centi-
grade se soutient en liiver, aux moias de jan-
vier et de fcvrier, à midi, entre i5 et 17 de-
grés : les plus fortes chaleurs de l'été n'ex-
cèdent pys 25 ou 2G degrés : elles sont par
conséquent de 5 à 6 degrés au-dessous des
extrêmes que le thermomètre atteint annuel-
lement à Paris, à Berlin et à Pétersbourg,
Ces résultats sont lires des observations faites
nioyeniie de tannée est plus petite qu'en I^ande,
les oeiges ne descendent qu'à 600 toises ^Léopold
de Bucli dans les AnnaUs de Gilbert, iSia, Tom. II,
p. 3j et 'i3). D'après ces rapproclientens, il paroit
assCE prolwhle que Bouguer et Saussure se sont trom-
pés quand ils ont admis que le Pic de Ténérifie
atteint le terme intérieur constant des neiges (i^i-
gure de la terre, PI. xlviii , et Voyage dans Ui
-Alpes, Toin. JV, p. io3). On irouïe ce terme pour
aS» 1;' de lalitude, au moins à i<(5o toises de hau-
teur, même en la calculant par intoqiolatjon entre-
l'Elno el les volcans du Mexique. Celle matière sera
entièrement éelaircie lors(pi'on aura mesuré la partie
occidentale de l'Atlas qui, pris de Maroc, sous les 3a
degri's cl demi de lalitude, eat couvert de neigea per-«
pcluclles.
CHAPITRE II. 409
par M. Savaggî, depuis 1796 jusqu'en 1799.
La température moyenne des côtes de Téné-
riffe paroît au moins s*élever à 2 1^ (i6<*,8 R.)^
et leur climat tient le milieu entre le climat
de Naples et celui de la zone torride. A Tîle
de Madère, les températures moyennes des
mois de janvier et d'août sont, d'après Heber-
den, de 17^,7 et de 23^,8, tandis qu'à Rome
elles s'élèvent à 5®,6 et 26^,2, Mais, malgré
l'analogie extrême que l'on observe entre les
climats de Madère et de Ténériffe , les plantes
de la première de ces îles sont généralement
moins délicates à cultiver en Europe que les
plantes de Ténériffe, Le Cheiranlhus longi-
folius de VOrotava, par exemple, gèle à
Montpellier , d'après l'observation de M. De
GandoUe, tandis que le Cheiranthus muta-
bilis de Madère y passe l'hiver en pleine
terre. Les chaleurs d'été sont moins prolon-
gées a Madère qu'à Ténériffe,
La Région des Vignes offre, parmi ses pro-
ductions végétales, huit espèces d'Euphorbes
arborescentes, des Mesembryanthemum , qui
^e trouvent multipliés depuis le cap de Bonne^
Espérance jusque dans le Péloponnèse, le
Cacalia KJeinia, le Dragonnier et d'autres
4lO LITRE r.
plantes qui , dans leurs troncs nus et tortuenx,
dans leurs feuilles suoculeutes et leur teinte
d'un vert bleoàtre, offrenl les traits qui dis-
tinguent la végétation de l'AlVique. C'est dans
cette zone que l'on cultive le diittîer, le bana-
nier, la canne à sucre, le fifj^nier d'Inde,
l'Arum colocasia , dont la racine offre au bas-
peuple une fécule nourrissante, l'olivier, les
arbres fruitiers de l'Europe, la vigne et les
céréales. Les blés y sont moissonnés depuis
la fin de mars jusqu'au commencement de
mai, et l'on y a essayé avec succès la culture
de l'arbre à pain d'Olaliîti, celle du cannel-
lîerdes îles Moluques, de calier de l'Arabie
et du cacoyer de l'Amérique, Sur plusieurs
points de la côte, le pays prend tout le ca-
ractère d'un paysage des tropiques; et l'on
reconnoît que la Région des Palmiers s'étend
aa-dclà des limites de la zone torride. Le
Chama:irops et le dattier viennent Irés-bîen
dans les plaines fertiles de Murvîedro, sur
les cotes de Gênes , et en Provence près
d'Amibes, sous les 5g et ^\ degrés de lati-
tude : quelques arbres de cette dernière
espèce, plantés dans I enceinte de la ville de
Rome, résibteat mûiue à des froids de 2'',5
CHAPITRE II. 4ll
aa-dessous du point de la congélation. Mais
si l'Europe australe ne participe encore que
foiblement aux dons que la nature a répandus
dans la zone des Falniiers, l'île de Ténériflê,
placée sous le parallèle de l'Egypte, de la
Perse méridionale et de la Floride , est déjà
ornée de la plupart des formes végétales qui
relèvent la majesté des sites dans les régions
voisines de l'équateur.
En parcourant les différentes tribus de
plantes indigènes , on regrette de ne pas y
trouver des arbres à petites feuilles pennées
et des Granùnées arborescentes. Aucune
espèce de la famille nombreuse des Sensi-
tives n'a poussé ses migrations jusqu'à l'archi-
pel des îles Canaries, tandis que sur les deux
coDtinens on en a découvert jusqu'aux 38
et 4o degrés de latitude. En Amérique, le
Schranckia uncioata de Willdenow ' s'avance
jusque dans les forêts de la Virginie;
Afrique, l'Acacia gummifera végète sur les
collines : de Mogador en Asie , à l'o
la mer Caspienne , M. de Biberstein 9 4
plaines du Chyrvau couvertes de l'Acw
' Mimosa Lorridiila>Micbaax.
4l4 LITBE T-
phaniana. En examinant avec plus de soin lei
végétaux des îles de Lanrerote et de Forta-
venlure, qui sont les plus rapprochées des
côles de Maroc, on trouvera peut-être quel-
ques IVIimoses parmi tant d'autres piaules de
la Flore africaine.
La seconde zone, celle des lauriers, ren-
ferme la partie boisée de TénérifTe ; c'est
aussi la région des sources qui jaillissent au
milieu d'un ^azon toujours fcais et humide.
De superbes i'orèls couronnent les coteaux
adossés au volcan ; on y reconnoît quatre
espèces de lauriers', un chêne voisin du
Qucrcus Turiicri des montagnes du Tibet,
le Visnea Moeanera, le Mjrica Faya des
AcoreSj un olivier indigène (Olea excelsa)
qui est le plus grand arbre de cette zone,
deux espèces de Sideroxylun dont le feuil-
lage est d'une rare beauté, l'Arbutus callj-
carpa et d'autres arbres toujours verts de
' Laurus ntca L fœtsns, L. noTiills et L. Til.
Avec CCS arl res e t ouvert nii'lt'îs ArJisia excelsa,
Hliuniuiis glan lulo us Erica ailiorea , E. Texo.
' Qucrc s c\Ti en Broiissonct ( If^ilUl. Enum,
plant, ho l B roi ifaoj, p. g/S ).
CHàPlTRE II. 4l3
la famille 'des mjrlest. Des liserons et nu
lierre très-diflPérent de celui d'Europe (He-^
dera canariensis) tapissent les troncs des
lauriers: à leur pied végètent une innom-
brable quantité de fougères ' , dont trois
espèces' seulement descendent jusqu'à la
région des Vignes. Partout le sol, couvert
de mousses et d'une herbe fine, brille des
fleurs du Gampanula aurea, du Ghijsantbe-*
mum pinnatifidum, du Mentha canariensis
et de plusieurs espèces frutescentes d'Hjpe-
ricum ^. Des plantations de châtaigniers sau-
vages et greffés forment une large ceinture
autour de la région des sources, qui est la
plus verte et la plus agréable de toutes.
La troisième zone commence à neuf cents
toises de hauteur absolue , là où paroissent
les derniers groupes d'Arbousiers , de Mjrica
Faja et de cette belle brujère que les indi*
' Woodwardîa radicans , Aspleniam palmatam , A.
canariense, A. latifoliom , ^ othalama subcordata , Tri-
chomanes canariensis , T. speciosum et DaTallia cana*
nensis.
* Deux Acrostichom et l'Oph joglossnm losîtanlcanv
^ Hj-pericom canariense^ H. fioriboudomet B* glan-
4l'> LITIIE I.
cupent des hauteurs qui égalent celles de*
cimes les plus inaccessibles des Pyrénées.
C'est la partie déserte de l'île, où des amas
de pierre ponce, d'obsidiennes, et de laves
brisées mettent des entraves à la végéta-
tion. Nous avons déjà parlé plus haut de
ces touffes fleuries de genêts alpins (Spar-
tium nubigenum) qui l'ormcnt des Oasis au
milieu d'une vaste mer de cendres. Deux
plantes herbacées, le Scrophularia glabrata
et le Viola cheiranthiloHa, s'avancent plus
loin jusque dans le Midpajs. Au-dessus d'un
gazon brûlé par l'ardeur du soleil africain,
le Cladonia pascbalis couvre des terrains
arides; les pâtres y mettent souvent le feu
qui se propage à des distances considérables.
Vers le sommet du Pic, des Urcéolaires et
d'autres végétaux de la famille des Lichens
travaillent à la décomposition des matières
scoriiiées. C'est ainsi que, par une action
non interrompue des forces organiques ,
l'empire de Flore s'étend sur les îles boule-
versées par des volcans.
En parcourant les différentes zones de la
végétation de Ténériffe, nous voyons que
rUe entière peut être considérée comme une
lirét de lauriers, d'arbousiers et de puis,
Ibnt les hommes ont à peine défriché la
pîère, et qui renferme dans son centre no
|rrain nu, rocailleux, également impropre
ija culture et ati pâturage. M. Broussonet
^serve qu'on peut diviser i'arcliipel des
ianaries en deux groupes d'îles. Le premier
seoferme Lancerote et Fortaventure; le se-
»nd, Ténéiiffe, Canarie, La Gomèrc, Fer
K«t Palma. L'aspect de la végétation diffère
^eotiellement dans ces deux groupes. Les
i orientales , Lancerote et Fortaventure,
■eot de grandes plaines et des montagnes
s-peu élevées : on n'y rencontre presque
> de sources, et ces îles, plus encore que
[ autres, portent le caractère de terrains
narés du continent. Les vents y souHlcut
insla même direction et aux mêmes époques :
Buphorbta maurîtanica, l'Atropa fcutescens
et des Sonchus arborescens y végètent dans
des sables mobiles, et servent, comme en
Erique , de nourriture aux chameaus. Le
©upe occidental des Canaries présente ua
Errain plus élevé, plus boisé, plus arrosé
■ des sources.
^Quoique l'archipel entier renferme plu-
27
4l8 LIVRE I.
sieurs végétaux qui se retrouvent en Portugal ',
en Espagne, aux îles Açores et dans le nord-
ouest de l'Afrique, un grand nombre des-
pèces, et même quelques genres, sont propres
àTénériffe, à Porto Sanlo et à Madère. Tels
sont le Mocanera, le Plocama , le Bosea, le
Canarina, le Drusa et le Pittosponioi. Une
forme que l'on pourroit appeler boréale, celle
des Crucifères ', est déjà beaucoup plus rare
■lîousaTonsreconnu, M. WilUenowei mol, parmi
les plantes du Pic de Ténériffe , le beau Satjriuni
dipbyllum ( Orchls cordaU , "Willd. ) que M. Liiik a
découvert ea Portugal. Les Canaries ont de commua
avec la Flore des Açores, non le Dicksona Gulcita j
la seule fougère aboresccnte que l'on trouve sous les
^9 degrés de latitude, mais l'Asplenîum palmatumet
le Mjrica Faya. Cet arbre se rencontre en Portugal, à
l'état sauvage : M. de Tloffmannsegg en a vu des Ironcs
très-anciens ; mais il reste douteux s'il est indigène
ou introduit dans cette partie de notre continent. En
réfléchissant sur les migrations des plantes et sur la pos-
sibilité géologique que des terrains submergés aient
réuni jadis le, Portugal, les Acoi-es, les Canaries , et
la cliaine de l'Atlas, on conçoit que l'esistence du
Myrica Paya dans l'Europe occidentale est un plié-
nomfene pour le moins aussi frappanl que le seroitrexis-
tence du pin d'Alep aui îles Atorcs.
^ Parmi le pelit nombre d'espèces de Grucii(;re& que
CHAPITHE n.
bx Canaries qu'en Espagne el en Grèce.
Plus an
ncore, dans la réf^ion
equi-
ratnt
ni
noxîale des deux contïnens , où la tempé-
ratnre moyenne de l'air s'élève au-dessus
de 2 3 degrés, les Crucifères disparoisseat
iqoe entièrement. ■
On a agité de nos jours une question
^i intéresse vivement l'Iiistoire du déve-
loppement progressif de l'organisation sur
globe, celle de savoir si les plantes poly-
lorphes sont plus communes dans les îles
volcaniques ? La végétation de Tcnériffe ne
iTOrise point l'hypothèse d'après laquelle
admet que lâ nature, dans des terres
tuvelles, se montre moins asservie à des
irmes constantes. M. Broussonet, qui a
lidé si long-temps aux Canaries, assure
ic les plantes variables n'y sont pas plus i
tomntunes que dans l'Europe australe. Ne
doit-un pas admettre que les espèces poly- j
morphes qu'offre si fréquemment l'ile d6 J
urbon, sont dues plutôt à la nature dal
infermels Flore de Ténérifie, nous citerons ici :Che!«fl
ranthuslongifolius, l'IIerit. ; CIi. frutescens, Vent,;
Ch. scoparius, Brouss . Erj-simiun bicorne, Aitoa} I
Crambe strigosa ï C. IxTi^ala, Brouss
4iô LIvnE I.
sol et au climat qu'à la nouveauté de la
végétation ?
Je viens d'esquisser le tableau physique
de l'île de Ténérifîe; j'ai lâché de donner
des notions précises sur la conslilution géo-
logique des Canaries, sur la géograpliie des
plantes propres à cet archipel, et sur leur
agroupement à différentes hauteurs au-dessus
du niveau de l'Océan. Quoique je me flatte
d'avoir répandu quelque lumière sur des
objets qui tant de fois ont été traités par
d'autres voyageurs , je pense pourtant que
l'histoire physique de cet archipel offre en-
core un vaste champ à exploiter. Les chefs
des expéditions scientifiques , dont l'Angle-
terre, la France, l'Espagne, le Danemarck
et la Russie ont donné des exemples si bril-
Jans , se sont généralement trop bâtés de
quitter les Canaries. Ils se sont imaginé que
ces îles dévoient être exactemeul décrites,
parce qu'elles sont très-rapprochées de l'Eu-
rope : ils ont oublié que, sous le rapport
de la géologie, l'intérieur de la Nouvelle-
Hollande n'est pas plus inconnu que ne le
sont les roches de Lancerole et de la Gû-
nière, celles de Porto Santo et de Terçeir*
CBkvmt ir.
bnsvoyonsanniielIcraeDt un grand nombrff
e Siivans parcourir, sans but déterminé, les
prlies les plus fi-équentées de l'Europe. H
put espérer qu'il s'en trouvera parmi eus
guidés par un véritable amour poOr
i science , et capables de poursuivre un
bn de plusieurs anuées, voudront examiner
Ma fois Tarcbipel d(;s Acores, Madère, les
iannries, les îles dn cap Vert et la côte nord-
Best de l'Alrique. C'est en réunissant des
bservalions f'iiiles sous le même point de vue ,
^ns les îles Atlantiques et sur le continent
!t>isin, que l'on parviendra à des connois-
Rinces précises sur la gxiologie et sur la géo-
Lopaphie des animaux et des plantes.
l ^_ Avant de quitter l'ancien monde pour passer
Isa nouveau, il me reste à parler d'un objet
i offre un inlérêl plus jj^énéral , parce qu'il
ptient à l'histoire de l'homme et à ces révolu-
009 l'unestes qui ont Tait disparoître des peu-
i^ades entières de la surface du globe. On se
I tlemande , à l'ilc de Cuba^ à Saiut-Domingue
let à la Jamaïque, où sont restés les babi-
tans primitifs de ces contrées : on se demande
à Ténéi'iffe que sont devenus les Guaucbes,
dont les momies seules, enfouies dans des
433 LIVRE l.
cavernes, ont échappé à la destniction. An
quinzième siècle, presque toutes les nations
Commerçantes, surtout les Espagnols et les
Portugais, cherchoient des esclaves aux îles
Canaries, comme on en cherche aujourd'hui
sur la côte de Guinée '. La religion chré-
tienne qui, dans son origine, a favorisé si
puissamment la liberté des hommes, servoit
de prétexte à la cupidilé des Européens. Tout
individu, fait prisonnier avant d'avoir reçu
le baptême, étoit esclave. A celle époque on
n'avoit pas encore essayé de prouver que
les noirs sont une race intermédiaire entre
l'homme et les animaux : le Guanche basané
et le nègre africain étoienl vendus à la fois au
marché de Séville , sans que l'on agitât la
question de savoir si l'esclavage doit pesep
seulement sur des hommes à peau noire et à
cheveux crépus.
L'archipel des Canaries éloit divisé en pla-
sieurs pelils ctats ennemis les nns des atilres.
Souvent une même île éloit sujette à deux
' Les liistoriens espagnols citent des expéditions
faites par les Huguenots di; la Bocbelle poi.r pnleïei-
des esclaves guaaclies. Je doute de ces expéditions ijii
auroieat éié {iQMéricures à l'année i53o,
CnAl'lTRE II. 433
pinces iadépeDdans , comme cela arrive daos
es fies de la mer du Sud, et partout où la
Ociété n'est point encore très-avancée. Les
^atious commerçantes , guidées par cette poU-
ique astucieuse qu'elles suivent encore au jour-
l'iiui sur les cotes d'Afrique , enltctinrenl les
guerres intestines. Un Guanche devint alors
1 propriété d'un autre Guanche , qui le ven-
loit aux Européens; plusieurs préiërèrent la
Qorta la servitude, et se tuèrent eux et leurs
infans. C'est ainsi que la population des Cana-
îes avoit déjà considérablement souffert par
s commerce des esclaves , par les enlèvemens
les pirates, et surtout par on carnage pro-
Dngé, lorsque Alonzo de Lugo en acheva la J
enquête. Ce qui restoit des Guanches périt I
m grande partie en i4<)''i > dans lu famease j
(este appulée la Modona, que l'on attribuoit J
à la quantité des cadavres que les Espagaol&fl
avoient laissés exposés à l'air , après la batailla
tie la Laguna. Lorsqu'un peuple, à fkmM
sauvage el dépouillé de ses propriétésaj
■forcé de vivre dans une même coni
une nation policée, U cîierche à sIm
les montagnes et dans les forais. 1
p5t le seul que peuvent cbobîr des i
5^4 LIVRE I.
aussi celte belle natioa des Guanches éloît
pour ainsi dire éteinte au commencemeat du
dix-septième siècle; on n'en trouvoit plia
que quelques vieillards à la Gandelaria et à
Guiniar.
n est consolant de penser que les blan(»
n'ont pas toujours dédaigné de s'allier aux
indigènes; mais les Canariens d'aujourd'hui,
que les Espagnols désigne sur le simple nom
d'/j/eSojj ont des nioliùlrès-puissans pour nier
ce mélange. Le temps efface, daus une longue
suite de générât! .ns, les marques caractéris'
tiques des races; et, comme les desccndans
des Andaloux établis à Ténériffe ont eux-
mêmes le teint assez rembruni, on conçoit
que le croisement des races ne peut pas avoir
produit un changement sensible dans la coU'
leur de la peau des blancs. li est bien prouvé
qu'il n'existe aujourd'hui dans toute l'île au-
cun indigène de race pure ; et quelques voya-
geurs , d'ailleurs très - véridiques , se sonl
Ironipéslorsqu'iisontcruavoireupourguides,
au Pie , de ces Guanches à taille svelle et
légers à la course. Il est vrai que quelques
familles de C;iuyiiensse vantent de leur pa-
reulé avec le dernier roi pasteur de Guiiuar ;
CniPITRE II. 433
lis cespréleotions ne reposent pas sur des-
itidemens irès-solides : elles se renouvellent
temps en temps, lorsqu'il prend envie à
in Iiorame du peuple, plus basané que ses- -
incitoyens, de solliciter un gr^ide d'ulEcier. .
service du roi d'Espagç.
Peu de temps après la découverte de l'Amc-
îque, lorsque l'Espagne étoit parvenue aiv
(lus haut degré de sa splendeur , on se pUù-
lit à célébrer la douceur de caractère des
oaiiches, comme on a célébré de nos jours
innocence des habitans d'Otabiti. Dans l'un
l'autre de ces tableaux, le coloris paroît
loius vrai que brillant. Quaud les peuples,
itîgués des jouissances de l'esprit, ne voient
us dans ie raffinement des mœurs que !e
germe de la dépravatioD, ils sont flattés de
l'idée que, dans une région lointaine, à la-j
première aurore de la civilisalion . des socic— j
naissantes jouissent d'un bonheur pur et J
nstant. C'est à ce sentimeul que Tacite dut J
«ne partie do son succès lorsqu'il retraça aux. .
Romains, sujets des Césars, le tableau des-,
«nœurs germaniques ; ce même sentiment J
lonne uu charme inevprimablc au récikj
s voj-ciçeurs qui , depuis la fin du ûa-*'
430 LlVItC 1.
nier siècle, ont visilé les îles du Grand
Océan.
Les liabîtansde ces îles, trop vantés peut-
ëlre, et jadis anthropophages, ressemblent,
sous plus d'nn rapport , aux Guanclies de
ïénéiiffe. Nous voyons gémir les uns et les
antres sous le joug d'un gouvernement féo-
dal. Chez les Guanclies , celle institution,
«[ui facilite et perpétue les guerres, éloit
sanctionnée par la religion. Les prêtres di-
soient au peuple ; « Le Grand-Esprit, Acha-
man, a créé d'abord les nobits, les Aclii-
menceys, auxquels il a distribué toutes les
chèvres qui existent sur la terre. Après les
nobles, Achaman a créé les plébéiens, Achi-
caxnas; celte race, plus jeune, eut le courage
de demander aussi des chèvres; mais l'Ètre-
Snprème répondit que le peuple éloit des-
tiné à servir les nobles, et qu'il n'avoit besoin
d'aucune propriété. » Celte tradition étoit
faite sans doute pour plaire anx riches vas-
saux des rois pasteurs. Aussi le Faycan ou
grand-prêtre exerçoit le droit d'anoblir, et
une loi des Guanclies porloit que tout Acbi-
mencey , qui s'avills^oit à traire une chèvre
de SCS mains, perdoit ses titres de noblesse.
. <^ «SI «aiwiê
■ méftis, dfes le <m»-
utiles de ra^iiodtatv ef de b ne pastorale.
lies Gusncfaes, c étebies ^paf- lear laSI»
élaacèe, étoieiM ks PiMaigDns de t*An«:i
monde, et les htstorieBsexagrruicnl \a fnn
musculaire des Goancbes, comme, araot l
voyages de BougainrOIe et de Cordobji , »
allribuoit une stature colossale à b (UMipIa»
qui habile l'extrémitc méritlionale de l'Aîné
riqiie. Je n'ai va des mornics guanrhcs qtf
daos les cabinets de l'Europe : à l'époque d
mon voyage, elles étoient trés-rnres h Ti-iiéJ
rifle; on en trouverait etîpendani on grudl
nombre si, par le travail des mineur,'
tâchoit d'ouvrir les cavernes sépulcrnle» (
sont taillées dans le rac sur la penli! orimU
du Pic, entre Arico cl fînimar. Cn riior
sont dans un état de deSMcenlioii %i rvlfi
dioaire
qui
leles
corps endent, tnimr* d" I
intégamens, ne pèsent «oiiveotqtff »!« kn
livres,
c'est-à-dire un lirr» df limim '('«I
squelette d'un iodividii t\* U wéiw HfiltiA
dépouUé téctmwÊpt de U rMri n
428 tITRi! I.
Le crâne offre, dans sa conformation, quel-
ques légers rapports avec relui de la race
blanche des anciens Egyptiens, et les dents
incisives sont éinoussées chez les Guanches
comme dans les momies trouvées sur les
bords (lu Nil, Mais cette forme des dents est
due à l'artseul; et, en examinant plus soigneu-
sement la physionomie des anciens Canariens ,
des analomisles habiles' ont reconnu, dans
les oszy^omaliques et la mâchoire inférieure,
des différences sensibles avec les momies
«.■gjpticnnes. En ouvrant celles des Guanches
on y trouve des restes de plantes aromatiques,
])arnii lesquelles on distingue constamment le
Chenopodium ambt'osioïdes ; souvent les
cadiivres sont ornés de cordelettes auxquelles
sont suspendus de petits disques de terre cuite
qui paroissent avoir servi de signes numé-
riques, et qui ressemblent aux quippos des
Péruviens, des Mexicains et des Chinois.
Comme en général la popnlalioD des îles
est moins exposée aux changernens qui sont
l'effet des migrations, que la population des
' Siamenbach Decns quinta Collect. suce Cranio'
riun divtnaruni geniium iiùtsir. ^ i8o8 , p. 7..
g;
CBÂriJtat 'IL
mlinens, on peut supposer fpic, «lu trrmpii
lesCartbaginios f:t tics Grecs, l'urcliipcl dus
lanaries étoît Labîté pur cctlc nii^iiic raca
l'bommes qu')' trouvèrent les ruinfUcmiM
noriuantU et cspugnols. Le seul niunuiiicat
propre à répandre quclcjuc lumière sur l'ori-
gine des Cii;iDcbes, e»t teur Ungtiet mai»
latbeureusemenl il ne nous en e'it resli- j peu
rès que cent ctnquanle mots, dont plnieort
expriment les mêmes objets selon le dialecte
des différentes îles. Outre ces moL«, qn'nn
a recaeillis avec soin, il eiiste encore dei
frag;mens précieux dans le:s dépo oû iialîo—
«Ton grand nombre de bameaux, de colUac»
et de Talloos. Les CoaadMa, otnae k*
Baoqaes, les Hiodovx, les PêratieMCtlOM
les penples primitif, 3Toiea< aoHMii le» fass
d'sprês b qualité du sol qa% carluvoMaty
^afris la fonne des rocfaéf», ioa* k» c»-
vctaa IcBT serroiest d'abri, ^apfci la MIMB
desatbroqoioaibraiçeoîmiloMMmifc^
Ob a petne lo ag l einy «fse b hmfÇKt dta
Cjaiwhr^ ae prôeMoéi we—c j » i l» y e j««s
le» iMfBe» n*a«ie»; nam, étfmn ^m l« ^
TByage<fcBorneinaiH>efl«»fecl>fTffcetiwy'
»ae3ULXan4«» aVeiMi* oai lhM> J
43(5 LlTttE I.
l'aUention des savans sur les Berhers tfnt,
comme les peuples slaves , occupent une im-
mense étendue de terrain dans l'Afrique
boréale, on a reconnu que plusieurs mois
guanches ont des racines communes avec des
mots des dialectes Cliilfaa et GebuU '. Nous en
citerons comme exemples t
Ciel, en guanche > Tigo^ en berbère , Ti^ot.
Lait Jho Âclui.
Orge Temasen ....... TbmzGen,
Panier Carianas Carian.
Eau Aenum Anan.
Je doute que cette analogie prouve une
communauté d'origine; mais elle indique des
liaisons anciennes entre les Guanches et les
Berbers, peuple montagnard, dans lequel se
trouvent refondus les Numidicns , les Gétules
et les Garamanles , et qui s'élcnd depuis l'ex-
Ircmité orientale de l'Atlas , par le Harudjé
et le Fezzan , et jusqu'aux Oasis de Syuah
et d'Audjeluli. Les indigènes des îles Canaries
s'appeloient Guanches, de guan, homme,
' AdçlungimdFater, MithHdales.Tom.UI ,r,.Go-
CBArraiB n.
connne les Tongouses s'appellent fyv et
donAt , mots qui ont la même signîfîcalion
qae gium. D'ailleurs les Dations qui parlent
la langue berbère ne sont pas toutes d une
même race ; et la description que ScjrUx
donne dans son Périple des liabitans de Cerne y
peuple pasteur d'une taille élancée et à lun^e
chevelure > rappelle les traits qui caracté-
rtseut les Guanclies Ganarieus.
Plus on étudie les langues sous on pobi de
Tue pliilosopiiique , et plus ou observe* qu'aii-
cooe d'elles n'est entièrement isolée ; la Unguc
desGuaoches' le paroîtroil moins cneore si
Ji'oD avoit quelques données «ir son i
■ D'après les recherctic* de M. VaIct^ la [■■giin
•he offre les aiMlogi» tainaiet arec it% langcu'*
i-éloigoé* Inunadt^a autre*; rkUn,ihtt
■ BnrOBs américain*, aguUnon; chet !«■ Omuctn,
s .- homme, t^*t le» Pénmena, ttati i titra l'^
• , coron .- /M , ebei lea Haaimgoa êlrtninf,
m; cWa lea G<uaid>e» , iHoi»t*y. Ijt »em de
fSe de Gonnc «e ntrvwc iam eclaî 4t t^omrt «)•( i
éé^igae one tr^m ie Kcrfen. ( KtMr Unuttuslt. hUr
Amaika,^. 170.) Leti(*»p M >«cl « t»,«(fe»^g<-, Uirti,
«t wfawg ar M , temfte . f ur o m t»* i^mmg«h^m wfâift ,
iM màmt daaa cette ieniite hmpit ! , atmtkarriim
4Sa tivtiE I.
uisme et sa structure (jramniiiticale , deux élé-
mens plus înipurtans que la forme des mots
et l'identité des sons. Il en est de certains
idiutnes comme de ces êtres organisés qui
semblent se refuser à toute classification dans
la série des familles n;iturellcs. Leur isole-
ment n'est qu'apparent ; il cesse dès qu'en
embrassant un plus grand nombre d'objets,
on parvient à découvrir les chaînons inter-
médiaires. Lessavans qui voient des Egyptiens
partout où il y a des momies , des hiéro^
glypbes ou des pyramides, penseront pent-
ètre que la race de Typliun éttiit liée aux
Guancbes par les Beibers, véritables Allantes,
auxquels appartiennent les Tibbos et les Tua-
rycks du désert '. Mais il suffît de faire
observer ici que cette Iiypotbèse n'est appuyée
par aucune analogie ^ entre la langue berbère
et la langue copte , que l'on regarde avec
raison comme un reste de l'ancien égyptien.
Le peuple qui a remplacé les Guancbes,
descend des Espagnols , et en très-pelite partie
' Voyage de Hornemann du Caire à Moursoukf
Tom. JI, p. 4o(;.
■ Mic/iridates , Tom. IJI. p. 77.
CHAPITRE Xt.
S Normands. Quoique ces deux races aient
teé exposées depuis trois siècles au même cli-
iat, la dernière se distingue cependant par
Aie plus grande blancheur de la peau. Les
descendans des Normands habitent la vallée
de Teganana , entre Punta de Naga et Punta
: Hidalgo. Les noms de Grandville et de
pampierre se trouvent encore assez fréquem-
ment dans ces cantons. Les Canariens sont, un
«up'e honnête, sobre et religieux; ils dé-
ploient moins d'industrie chez eux que dans
s pays étrangers. Un esprit inquiet et entre-
ttenant conduit ces insulaires , de tr.ême que
sBiscayens et lesCatalans, aux Philippines, '
t Marianes , en Amérique , partout où il j
ides établissemens espagnols , depuis le Chili
tLa Plata jusqu'au Nouveau-Mexique. C'est
«ux que sont dus en grande partie les progrès
TÉIé l'agriculture dans ces colonies, L'archipel
entier ne renferme pas 160,000 habitans, et
et les Islcnos sont peut-être beaucoup plus
lombreux au nouveau continent que dans
leur ancienne patrie. Le tableau suivant offre
;out ce qui a rapport à la statistique 4e c« '
bays.
î8
43'i
ARCaiPEL
'^1:
iiJf
,C,j8.
.74s.
176S.
1790.
«il
Tf.nèûïïe
tS
.ig,.,î
60,318
66,354
70,000
o-ss
rurmrenlure. .
15
V.Mi
8,863
9,000
i4i
:3i,iDdtC»a^,rie.
r.„
ia,458
33,864
41,081
5o,oou
853
Palm.
37
13.S5Ï
i7.5bo
19,195
îi,6oo
■ 857
r.nncerolc
16
7,110
9,705
10.000
384
lîoi»"»
1-1
4,3:5
6,ï5i
6,645
7,4,.o
526
7
3,197
3.687
4,01,
S.oon
7.4
Total
.Vo|
i3r3,igi
i55,SW
174,000
644
L"dfDi,mbr£roensdeiG78.i74
el 1768 ont élép
abliéi
par Vicra. L'éïuliialîon de i^qo est i
eM. Ledm.Popi
iBlîon
elécalcnlceipQUrlH première fois, eiavtc on HimpBMiculier,
par M. Ollmanns' . d'apri) Ui canes de Borita ci de Varcla.
Bëcolte du vin k TénériB'e , 20 à i4,uoo piucs donl 5ooo de
friëolei. La culiare de la canne à aacre el da colon «u pea
imporlanlB, fllei grandi objeHdacommer ce «oDilenin, In
eaui-de-vle , l'orieille el la londe. BeTena beat , 7 tompns
' Ëleiiiluc de la larface des Canaries exprimée pins Ciac-
ii î; For.avenmre.Ssîi Canarie,35^ Palraî, i54. Lan-
crr.,11, |41( ei, enycoinprrnaniles(,.=iitestlei voisine..
■Si; Gomére.8, el Fer, 3 î : loial , i53i. On peui !ue
surpris que M. Haisel , dans son excellent outrage sor la
iiaimique d,^ l'Euiope, asMgne anx Canaries aoe populalioo
phiqnes carrés, (S/D/. l'mriss. Hefi. 1, S. .7 )
Je n'entrerai pas dans des dîsônssîons d^éoG^
nomie politique sur Timportance des île^
Canaries pour les peuples commerçans de
l'Europe. Livré long-temps à des recherches
statistiques sur les colonies espagnoles , étroit
tement lié avec des personnes qui avoient
occupé des emplois importans à Ténériffe i
j'avois eu occasion^ pendant mon séjour à
Caracas et à la Havane, de recueillir beau-:*
coup d'éclaircissemens sur le commerce de
Sainte-Croix et de l'Orotava. Mais plusieurs
savans ayant visité les Canaries après moi>
ils oDt puisé aux mêmes sources , et je n'hésite
pas de retrancher de mon journal ce qui a été
exposé , avec beaucoup de précision , dans
des ouvrages qui ont précédé le mien. Je me
tornerai ici à un petit nombre de considé-
rations qui termineront le tableau que je
viens de tracer de l'archipel des Canaries.
11 en est de ces îles comme de l'Egypte,
de la Crimée et de tant d'autres pays que
les voyageurs, qui désirent frapper par des
contrastes , ont loués ou blâmés à l'excès.
Les uns , débarquant à TOrotava , ont décrit
TénérilTe comme le jardin des Hespérides ;
}h ont vanté la douceur du climat , la fertilité
456 tlVRB I.
du sol et la richesse de la culture : d'antres^
forcés de séjourner à Sainte-Croix, n'ont th
dans les îles Fortunées qn'un pnys nu , aride,
habité par un peuple misérable et slupide. Il
nous a paru q»e, dans cet archipel comme
dans tous les pays montueux et volcaniques,
la nature a distribué très-inégalement ses
bienfaits. Les iles Canaries manquent géné-
ralement d'eau ; mais partout où il y a des
sources, des irrigations artificielles, ou des
pluies abondantes , le sol y est de la plus
grande ferlilité. Le bas peiiple est laborieux ,
mais son activité se développe plus dans des
colonies lointaines qu'à Tcncriffe où elle
trouve des obstacles qu'une administration
sage pourroit éloigner progressivement. Les
émigrations seront diminuées si l'on par-
vient à répartir entre les particuliers les terres
domaniales incultes , à vendre celles qui sont
annexées aux majorais des grandes familles,
et à abolir peu à peu les droits féodaux.
La population actuelle des Canaries paroît
sans doute peu considérable , si on !a com-
pare à celle de plusieurs contrées de l'Eu-
rope, L'île de Malte , dont les babitans indus-
irieux cultivent yn roc presque déoué de
CHAPirnE II.
terreau, est sept fois plus petite que Téa
riffè, et cependant elle est deux fois plusr
peuplée : mais les écrivains qui se plaisent
à peindre , avec de si vives couleurs , la dépo-
pulution des colonies espagnoles, et qui
attribuent la cause à la hiérarchie ecclésii
tique , oublient que partout , depuis le règne
de Pliilippe V, le nombre des habitans a pris
un accroissement plus ou moins rapide. Déjà
la population relative est plus grande dans
les Canaries que dans les deux Gastilles , en
Estraniadure et en Ecosse. Tout l'archipel
(éuni présente un terrain montueux dont
l'étendue est d'un septième plus petite qi
la surface de l'île de Corse , et qui nouri
cependant le miime nombre d'habîtans.
Quoique les îles Fortaventure et Lî
rote , qui sont les moins peuplées , expori
des grains , tandis que TéiiériDe ne prodl
ordinairement pas les deux tiers de sa ci
sommation, il ne faudroit pas en concli
que , dans celle dernière île , le nombre
habitans ne puisse plus augmenter par dél
(le subsistances. Les îles Canaries sont cm
bien loin de sentir les maux qu'entraîne
population trop coocentrée , et dont M.
po-
4î3 iivRE r.
tîius a développé les causes avec tant de jus-
tesse et de saf^iictié. La misère du peuple a
diminué considérablement depuis qu on a
introduit la culture de la pomme de terre '
et qu'on a commencé à semer plus de maïs
que d'orD;e et de froment.
Les liabitans des Canaries offrent les traits
qui caractérisent un peuple à la fois monta-
gnard et insulaire. Pour les bien apprécier,
il ne suffît pas de les voir dans leur patrie où
de puissantes entraves s'opposent au déve-
loppement de l'industrie ; il faut les étudier
dans les steppes de la province de Caracas,
sur le dos des Andes , dans les plaines brû-
lantes des ilesPliilippines , partout où, isolés
dans des contrées inhabitées, ils ont eu occa-
sion de déployer cette énergie et cette acti-
vité qui sont les véritables richesses d'un
colon.
Les Canariens se plaisent à considérer leur
pays comme faisant partie de l'Espagne euro-:
péenne. Ilsont en effet augmenté les richesses
de la littérature castillane. Le nom de Cla-
' Tessier et Desautoy, sur l'agriculture des Cana-
ries. ( Mé/n, de l'InslUuC^ Tom. T^ p. aâa et 37g.
i
CHAPITRE n. 45g I
Mjo, auteur du Peiisador ^ ceux de Viera,
d'Yriarte et de Bclancourt sOnt honorable-
ment connus dans les sciences cl les lettres ;
le peuple canarien est doué de cette vivacité
•d'imagination qui distingue les babitans de
l'Andalousie et de Grenade , et l'on peut
espérer qu'un jour les îles Fortunées où
l'homme éprouve , comme partout, les bien-
faits et les rigueurs de la nature , seront
^dignement célébrées par un poète indigène.
FIN D-C PHEMIER VOLUME.
TABLE DES MATIÈRES
cnsTiKUEa DASï 1,1: rBEiiiËa voldme.
Introduction. Pag
LIVRE PREMIER.
Chapitre pnEMir.R. Préparatifs, — InstTTJinetis.
Déiiart d'Espagne. — Relàclie aux îles
Canaries, i
Chapitbe ]I. Séjour à Tênérifle. — Voyage
(le Sainte-Croix à l'Orotava. — Escur-
EÎou à la cime du pic de Te^de.
ERRA TA.
Page 1S7, ligne 9 de la première noie, tupprimrz la ligne
tonimençant [.ar ces mois : Dans ces mêmes paraf;es , etc.,
pour la meltre, même page, ù i.i fin àe la seconde note.
Fagei^^. Ladmiirme nuteopparlicnl à la page aî4, «( vUt
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